VIDEO. Glyphosate: La France peut-elle sortir de l’herbicide avant tout le monde?
AGRICULTURE•L’Europe a voté lundi un renouvellement pour cinq ans de la licence commerciale du glyphosate. Mais la France persiste et signe : elle veut se passer de l’herbicide d’ici trois ans. Possible ?….Fabrice Pouliquen
L'essentiel
- Emmanuel Macron demande au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour l’utilisation du glyphosate soit interdite en France au plus tard dans trois ans.
- La France peut juridiquement sortir de l’herbicide le plus utilisé au monde deux ans avant les autres pays européens.
- La Confédération paysanne salue une décision courageuse et souligne que des alternatives existent déjà. Tout l’inverse de la FNSEA qui admet que l’agriculture française peut réduire encore l’utilisation de produits phytosanitaires mais pas s’en passer à ce jour.
La France serait décidée à faire cavalier seul sur le dossier glyphosate. Alors que les 28 Etats membres de l’Union européenne se sont entendus lundi pour renouveler pour cinq ans la licence commerciale de l’herbicide controversé, Emmanuel Macron, lui, garde le cap d’une sortie d’ici trois ans. « J’ai demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans trois ans », affirme-t-il ainsi sur Twitter.
« Techniquement possible »
Mais comment compte s’y prendre la France ? Peut-on interdire une molécule qui restera autorisée ailleurs en Europe ? « Techniquement oui, répond Eric Thirouin, le président de la commission environnement de la FNSEA. L’Union européenne a homologué lundi le glyphosate en tant que molécule. Chaque produit utilisant du glyphosate [comme le Roundup, le produit phare de Monsanto] doit ensuite obtenir une Autorisation de mise sur marché (AMM) de la part des pays où il souhaite être distribué. J’imagine que c’est sur ce point que la France veut jouer. » Le glyphosate ne serait pas une première. La France interdit depuis février 2016 le diméthoate, un insecticide utilisé pour les cerisiers alors qu’il reste autorisé ailleurs en Europe.
Mais le ministère de l’Agriculture avait alors fait usage de la clause de sauvegarde prévue au niveau européen pour faire obstacle à l’entrée de cerises traitées au diméthoate sur le marché français.
La crainte de la distorsion de concurrence
Il sera néanmoins difficile de faire de même avec tous les produits traités au glyphosate, l’herbicide le plus utilisé au monde. La FNSEA, syndicat agricole majoritaire, s’oppose vigoureusement à ce projet. « La molécule serait donc interdite en France, mais pas chez ses voisins européens ? Ce n’est pas sérieux, Nous évaluons déjà à deux milliards d’euros par an le surcoût pour l’agriculture française qu’engendrait une sortie du glyphosate. Il faudrait ajouter à cette estimation initiale le coût de la perte de compétitivité de nombreux agriculteurs français qu’engendrait une sortie plus rapide de l’herbicide en France que pour le reste de l’Europe. »
Très efficace pour un prix modeste, la FNSEA estime l’utilisation du glyphosate comme une nécessité économique encore aujourd’hui pour de nombreuses cultures. Mais les agriculteurs français ne s’insurgent pas tous pour autant contre une sortie en trois ans de l’herbicide le plus vendu au monde. La Confédération paysanne, syndicat agricole opposé aux pesticides chimiques, voit d’un bon œil les annonces d’Emmanuel Macron. « Tout en restant prudent, ce ne sont à ce jour que des paroles, précise tout de même Jean Sabench, président de la commission « pesticides » à la Confédération paysanne. Une sortie en trois ans est en tout cas tout à fait possible. Les alternatives techniques existent. »
L’exemple des 3.000 fermes Dephy
Le député En Marche, Matthieu Orphelin, membre de la mission d’information sur les pesticides à l’Assemblée nationale, renvoie alors aux résultats prometteurs des fermes Dephy, un réseau lancé à partir de 2009 et qui rassemble des exploitations agricoles engagées dans une démarche volontaire de réduction de l’usage des pesticides. Le réseau compte aujourd’hui près de 3.000 exploitations agricoles et « les résultats sont encourageants », estimait fin octobre Eric Millet, chef du projet Dephy Ecophyto, sur le site Internet du ministère de l'agriculture. Dans un contexte général où la réduction des pesticides semble complexe, ce réseau ferme affiche des réductions de l’ordre de 10 à 20 % en fonction des filières et des conditions climatiques. » Ceci tout en préservant le même niveau de production et de rentabilité.
« Moins de pesticides ne veut pas forcément dire moins de rentabilité, retient Matthieu Orphelin. Il faut parvenir à faire de cette sortie du glyphosate un avantage concurrentiel. » Jean Sabench, tout comme Jean-Claude Bevillard, responsable des politiques agricoles de France Nature Environnement (FNE), abonde également dans ce sens. « Personne ne dit que ce sera facile, admet ce dernier. Mais des alternatives agronomiques existent. En arboriculture et viticulture, par exemple, le glyphosate était utilisé pour désherber le pied des arbres ou des vignes. De nombreux agriculteurs s’en passent aujourd’hui, préférant laisser pousser l’herbe quitte à effectuer un ou deux passages de plus dans l’année pour la couper. Dans les cultures céréalières, on peut imaginer aussi une plus grande diversification et une meilleure rotation des cultures. »
« Limiter mais pas encore s’en passer »
Eric Thirouin évite toutefois à ne pas se méprendre. « Ces bonnes pratiques, celles notamment mise en pratique dans les 3.000 fermes Dephy et ailleurs, permettent de réduire notre utilisation de produits phytosanitaires dont le glyphosate, rappelle-t-il. C’est positif et nous continuons de travailler dans ce sens. Mais ces solutions ne nous permettent pas encore de nous en passer. »
Pour le secrétaire adjoint de la FNSEA, le délai des trois ans voulu par le gouvernement ne tient alors pas. « Il n’y a rien encore dans les cartons pour remplacer le glyphosate, insiste-t-il. Supposons qu’une solution émerge dès demain, il faudrait alors au minimum six années pour que celle-ci arrive sur le marché. Les processus d’homologation sont toujours très longs. »