Pollution à New Delhi: A-t-on déjà connu un pareil «smog» en Europe?
BROUILLARD•Depuis le 7 novembre, la capitale indienne fait face à un taux de particules ultrafines (PM2.5) jusqu’à 20 fois supérieur au taux maximum préconisé par l’OMS…Fabrice Pouliquen
L'essentiel
- Ce lundi encore, des taux très élevés de PM2.5 (des particules ultrafines particulièrement nocives) ont été enregistrés à New Delhi, la capitale de l’Inde, plongé dans un brouillard de pollution depuis le 7 novembre.
- Un pic de pollution d’une telle intensité est peu envisageable en Europe où le grand smog de Londres en 1952 a poussé à une prise de conscience politique et publique des dangers en Europe.
- Le processus est aussi engagé en Inde comme en Chine, même s’il reste encore beaucoup à faire.
Un jour de plus dans le rouge pour New Delhi. Ou plutôt même dans le mauve si on se réfère au code couleur de l’ambassade américaine en Inde qui, chaque jour, heure par heure, relate sur son site Internet le taux de particules ultrafines (les PM2.5, dont le diamètre est inférieur à 2,5 micromètres) par mètre cube d’air dans l’atmosphère de la capitale indienne.
Ce lundi 13 novembre, ce taux a oscillé autour de la barre des 500 microgrammes de PM2.5 par mètre cube d’air (ug/m3), ce qui, dans l’échelle de l’ambassade américaine, place New Delhi dans la catégorie violette « Hazardous » [dangereux].
A ce stade, l’ambassade américaine met particulièrement en garde les personnes âgées et celles atteintes de maladies cardio-respiratoires, mais aussi contre de sérieux risques de complications respiratoires pour la population en général.
Rien à voir avec ce qu’a connu Paris en décembre 2016
Depuis le 7 novembre, New Delhi n’a pas échappé un instant à ce smog consistant, fait de particules de pollution. Dimanche, toujours selon les mesures de l’ambassade américaine, le taux de microgrammes par mètre cube d’air atteignait même les 676 microgrammes, soit 27 fois le taux maximum préconisé par l’ Organisation mondiale de la santé (OMS).
Du jamais vu? « Moscou avait atteint des taux de PM2.5 très élevés lors des immenses feux de forêts à l’été 2010, répond Mathias Beekman, directeur de recherche au Lisa (Laboratoire interuniversitaire des systèmes atmosphériques). C’était donc lié à une situation exceptionnelle. »
A Paris, l’épisode de pollution avait fait couler beaucoup d’encre l'hiver dernier. Le pic avait atteint le 1er décembre 2016 avec 146 ug/m3 enregistré en moyenne horaire pour cette journée. « Mais la valeur prise était les PM10, précise Airparif. Ce taux prend en compte les PM2.5 mais aussi toutes les particules dont le diamètre est inférieur à 10 micromètres. Autrement dit, le 1er décembre 2016, le taux de PM2.5 par m³ d’air était bien plus faible que 146. »
De multiples sources de combustion
New Delhi n’en est pas à son premier smog. Pendant plusieurs années, la mégalopole a figuré de nombreuses fois à la première place du classement des villes les plus polluées au monde publié par l’OMS. « New Delhi concentre une multitude de sources de combustion, rappelle Benjamin Guinot, chercheur au CNRS, membre du Laboratoire d’aérologie. On parle d’une mégalopole de 20 millions d’habitants, avec un trafic routier de plus en plus important et mal contrôlé, une activité industrielle intense… Quand on marche à New Delhi, on est surpris par la quantité de choses qui brûlent à droite à gauche. Pas seulement les déchets. La ville est aussi au milieu des terres agricoles les plus fertiles du pays, une activité qui ajoute de la pollution. »
Mais aux sources de combustion s’ajoutent ces jours-ci des conditions climatiques qui n’aident en rien la dispersion des particules fines. « Le Pakistan et le nord-ouest de l’Inde sont traversés actuellement par un anticyclone, indique Mathias Beekman. Il n’y a ni vent, ni précipitation pour disperser les particules de pollution. Elles restent plaquées au sol là où elles ont été émises et s’accumulent. »
La combinaison des deux, anticyclone et sources de combustion multiples, donne un cocktail particulièrement nocif. « Plus elles sont fines et plus ces particules de pollution sont dangereuses, explique Jean-Baptiste Renard, directeur de recherche au CNRS et rattaché aulaboratoire LPC2E à Orléans. Elles entrent plus profondément dans l’organisme jusqu’à s’infiltrer dans le sang à travers les poumons. Ces pics ont des conséquences à court terme avec des risques accrus de crises d’asthmes et de crises cardiaques, mais aussi des conséquences à long terme avec des concentrations de carbone importantes dans le corps. »
Comme le grand smog de Londres en 1952 ?
Un tel smog est-il imaginable en Europe ? « Non, pas à ce niveau-là sauf à imaginer une catastrophe industrielle locale, estime Jean-Baptiste Renard. Les contrôles sont drastiques aujourd’hui sur les rejets industriels et nous avons tout de même beaucoup moins recours qu’avant au charbon.»
«Mais il est fort probable que nous ayons connu de telles concentrations de particules au siècle dernier, dans des vallées industrielles lorsqu'elles connaissaient des conditions atmosphériques stables, avance Benjamin Guinot. Mais il n’y avait pas à l’époque d’instruments de mesure aussi précis. »
Jean-Baptiste Renard renvoie notamment au grand smog de Londres du 5 au 9 décembre 1952, reconnu comme l’un des épisodes de pollution les plus significatifs de l’histoire. « On lui a imputé après coup 12.000 morts, précise le chercheur. Ce grand smog a provoqué une prise de conscience politique et publique des dangers de la pollution dans les années qui suivirent en Europe jusqu’à l’adoption de premières lois visant à lutter contre la pollution de l’air dans les années 1960. »
Une prise de conscience moins rapide en Inde ?
Cette prise de conscience serait aussi en cours en Inde comme en Chine dont les villes n’échappent pas non plus au smog. « L’organisation de grands événements internationaux, l’exposition universelle à Shanghai (2010) et les Jeux Olympiques de Pékin (2008), ont poussé les autorités chinoises à se préoccuper de la pollution de leurs villes, explique Benjamin Guinot dont la thèse portait sur la pollution atmosphérique et le développement urbain dans ce pays. Le régime est par ailleurs très centralisé et autoritaire, ce qui favorise l’instauration rapide de normes.
L’Inde est plus à la traîne. La gestion du smog à New Delhi par les autorités locales fait d’ailleurs grincer des dents. Malgré un taux de PM2.5 dans l’air toujours très élevé, les écoles de la ville ont été rouvertes ce lundi après plusieurs jours de fermeture, provoquant la colère des associations de parents d’élèves.