Journée mondiale du recyclage: «Il y a de l’or dans nos poubelles»
INTERVIEW•Président de Citeo, un éco-organisme qui organise le recyclage des emballages ménagers en France, Philippe-Loïc Jacob invite à changer de regard sur nos emballages ménagers qui finissent encore trop souvent, dans la poubelle au lieu du bac de collecte…Fabrice Pouliquen
L'essentiel
- Ce mercredi 15 novembre est la Journée mondiale du recyclage. En 2016, les Français avaient recyclé 68 % de leurs emballages ménagers.
- C’est mieux qu’en 1992 lorsque la France partait de zéro en matière de recyclage, les déchets étaient jusqu’alors tous jetés dans la poubelle. Mais 68 %, cela reste au-dessous de l’objectif fixé en 2007 par le Grenelle de l’environnement. Il fixait à 75 % le taux de recyclage à atteindre d’ici 2012.
- Où est-ce que ça coince encore ? « Dans les grandes villes où le taux de recyclage est encore très faible », répond Philippe-Loïc Jacob, qui vient de faire paraître Green is the new gold.
«Il y a de l’or dans nos poubelles ». En ce 15 novembre, Journée mondiale du recyclage, ça vaut le coup de le rappeler. Philippe Loïc-Jacob, lui, ne cesse de le répéter. Il est président depuis dix ans d’ Eco-Emballages, rebaptisé Citeo depuis septembre, un éco-organisme agréé par l’État pour organiser superviser et accompagner le recyclage des emballages ménagers en France.
Partie d’une feuille blanche en 1992, la France a recyclé 68 % des 4,8 millions d’emballages ménagers produits en 2016. Pas mal mais peux mieux faire ! Dans Green is the new gold (éditions Cherche midi), le président de Citeo retrace le chemin parcouru ces 25 dernières années et liste les freins à lever pour améliorer le tri et le recyclage des déchets. Et ça commence par changer de regard sur nos déchets. Philippe Loïc-Jacob répond aux questions de 20 Minutes.
Pourquoi cela vous énerve-t-il qu’on assimile trop souvent les emballages à des déchets ?
On fait souvent la guerre aux emballages en laissant croire qu’ils sont arrivés pendant les Trente glorieuses avec la grande consommation et qu’ils sont toujours superflus. Ce n’est pas vrai. Les emballages existent depuis la nuit des temps et ont des vertus indéniables. L’emballage donne des informations sur le produit (sa date de fabrication, sa composition…), le protège des microbes et des manipulations intempestives. Mais il évite aussi le gaspillage, en vous permettant de stocker un produit sans qu’il ne perde ses qualités gustatives. Penser qu’on pourra un jour se passer de l’emballage est illusoire. Le problème n’est d’ailleurs pas tant l’emballage que les comportements « sauvages » consistant à les jeter n’importe où.
Faut-il tout de même tendre vers des emballages responsables ?
Bien sûr et cette démarche est bien intégrée aujourd’hui dans les mœurs des entreprises. Il en va de leur image mais aussi de leurs finances. Citeo compte 50.000 entreprises adhérentes. Ce sont elles qui nous financent via une éco-contribution calculée en fonction du tonnage et du nombre d’unités d’emballages qu’elles produisent. Certaines, les plus grandes, paient plusieurs millions d'euros chaque année d’éco-contribution. Elles savent donc très bien la valeur d’un emballage. L’une des missions de Citeo est d’accompagner ses adhérents vers l’éco-conception. C’est-à-dire vers des emballages moins volumineux, quand c’est possible, et évitant le plus possible le mélange de matériaux. Il existe par exemple sept familles différentes de plastiques. Dès que vous mélangez ces polymères, vous créez une complexité au recyclage. Nous nous battons aussi sur les tout petits emballages que les particuliers ont plus tendance à jeter avec leurs ordures ménagères, persuadés que c’est moins grave ou que ces petites unités ne se recyclent pas. Un exemple sympa : la société Roxane, propriétaire de la marque d’eau de source Cristalline, a mis au point un bouchon qui ne se sépare plus de la bouteille. Ce qui peut paraître être un gadget est en réalité très important : on réduit la probabilité que ce bouchon finisse dans le caniveau ou dans la poubelle.
En 2016, sur 4,8 millions de tonnes d’emballages ménagers produits, 3,3 millions ont été recyclés… Que représente aujourd’hui cette économie du recyclage ?
Une fois collectés puis triés et regroupés par familles (carton, verre, papier, aluminium, plastiques…), les déchets sont revendus à des industriels du recyclage ou des négociants. Ces matériaux sont acheminés vers des usines spécialisées afin d’en refaire de la matière première qui deviendra à son tour de nouveaux objets, emballages ou autres. Ces deux secteurs de la collecte et du recyclage représentent 28.000 emplois aujourd’hui. Ce chiffre augmente. Il y a deux ans, ces tonnes d’emballages ménagés recyclés en France avaient été valorisées à plus de 250 millions d’euros sur une année. Nous avions alors atteint un pic, parce que toutes les planètes étaient alignées, notamment un prix du baril de pétrole élevé, à plus de 100 dollars. La valeur d’un matériau recyclé est très dépendante du cours du pétrole, en particulier le plastique produit à base d’hydrocarbures. Si le prix du pétrole augmente, le coût des résines vierges de plastique en fera de même, si bien qu’un fabricant d’emballages aura tout intérêt à acheter du plastique recyclé. Le prix du baril de pétrole n’est plus à 100 dollars aujourd’hui, mais je suis confiant pour que les planètes s’alignent encore à l’avenir. Voilà pourquoi je dis qu’il y a de l’or dans nos poubelles. Tout ne dépend pas d’ailleurs du coût du baril. Les consommateurs ont aussi un rôle à jouer en favorisant les entreprises qui conçoivent leurs emballages à partir de matériaux recyclés.
En 2007, le Grenelle de l’environnement fixait l’objectif d’arriver en 2012 à un taux de recyclage des emballages ménagers de 75 %. Nous en étions à 68 % en 2016… Qu’est-ce qui coince aujourd’hui ?
Ça coince dans les villes. La Loire est une frontière aussi dans le recyclage. Les taux de tri sont meilleurs au nord du fleuve, en particulier quand on va vers l’ouest, moins bon au sud. Aujourd’hui, des personnes qui habitent en pavillon, dans l’ouest de la France, en milieu semi-urbain ou rural, ont un taux de recyclage proche de 100 %. A l’inverse, dans les grandes villes, les taux de tri varient entre 0 et 30 ou 40 %. C’est indéniable, l’habitat vertical crée de l’irresponsabilité. Le summum étant atteint lorsque le vide-ordures est encore installé sur le palier. Malodorants, mal éclairés, les locaux à poubelle sont aussi peu valorisés. Des initiatives sont à l’étude pour améliorer la collecte des villes. Pour ma part, je crois beaucoup à l’idée de sortir les bacs à collecte dans les rues. A Paris, c’est le projet « Trilib », que nous portions au départ et auquel Anne Hidalgo a très rapidement adhéré. En décembre dernier, 40 stations Trilib’ ont été installées sur la voie publique dans quatre arrondissements de la capitale (2e, 13e, 18e et 19e). Chaque station compte cinq bacs organisés pour recevoir les papiers et les journaux, les plastiques, les briques alimentaires, les verres… Est-ce contraignant de sortir ses emballages usagés le matin en allant au travail ? Je ne pense pas. Il faut que ce geste devienne un réflexe. Et puis Trilib’offre un autre avantage : celui de pouvoir trouver un autre usage au local à poubelle. Pourquoi pas en faire un espace pour les poussettes, les vélos, les trottinettes ?
Y a-t-il aussi encore des améliorations à apporter aux techniques de recyclage ?
Effectivement, nous devons en permanence travailler en recherche et développement ne serait-ce que pour s’adapter aux innovations dans l’emballage. La filière du verre est aujourd’hui totalement maîtrisée. L’acier et l’aluminium sont aussi aujourd’hui très faciles à recycler. Pour le carton, les huiles, les encres et les résines de colle qu’on appose sur l’emballage peuvent complexifier le recyclage, mais globalement la filière est bien maîtrisée aujourd’hui. Il reste les plastiques, le véritable défi aujourd’hui. Il y a dans cette famille des polymères très différents qui ne se recyclent pas de la même façon. Mais sur ce point encore beaucoup de chemin a été accompli en 25 ans. En 1992, la France ne comptait que quatre centres de tri. Rapidement, il y en a eu jusqu’à 300. Mais depuis les années 2000, le nombre diminue, les plus petits fusionnant pour former des centres plus grands. Cette concentration a du bon dans la mesure où elle permet aux collectivités de disposer de centres performants dernier cri. Les centres les plus sophistiqués sont aujourd’hui dotés de machines de tri optique qui utilisent la reconnaissance des déchets par infrarouge et de séparateurs à courants de Foucault qui récupèrent l’aluminium. L’objectif est d’avoir un réseau de 100 centres dans l’Hexagone.