Nappes phréatiques, rivières… La qualité de l’eau continue de se dégrader en France
POLLUTION•L’UFC Que-Choisir s’alarme de l’état calamiteux des rivières et des nappes phréatiques en France qu’elle impute à l’agriculture intensive «qui est loin d’avoir corrigé ses pratiques». Elle réclame alors l’application stricte du principe «pollueur-payeur»…Fabrice Pouliquen
L'essentiel
- Après celle de 2005, l’UFC-Que Choisir lance une nouvelle campagne de sensibilisation sur la piètre qualité des eaux de surface et de nappes phréatiques en France pour lesquelles les teneurs en nitrates et en pesticides sont en de nombreux endroits au-dessus des normes autorisées.
- L’association de consommateurs cible comme premier responsable l’agriculture intensive et exige une stricte application du principe «pollueur-payeur».
«Dans un état calamiteux »… Alors que débute ces jours-ci la deuxième phase des Etats généraux de l’alimentation, destinés à promouvoir des pratiques agricoles plus durables, l’ UFC-Que-Choisir en a profité ce mardi pour lancer une campagne de sensibilisation, baptisée « S. Eau S », sur la mauvaise qualité des eaux des rivières et des nappes phréatiques en France.
« Des dégradations environnementales toujours massives »
L’association avait déjà mené une première campagne d’information à ce sujet en 2005, « mais force est de constater que les dégradations environnementales sont toujours aussi massives », écrit UFC-Que Choisir. Dans la moitié du territoire français, les pesticides sont présents dans les cours d’eau à des doses supérieures à la norme autorisée dans l’eau potable, relate le rapport. Cette norme est aussi dépassée dans le tiers des nappes phréatiques.
La situation n’est guère mieux pour les nitrates, qui résultent de l’épandage d’engrais azotés. Sur 15 % du territoire, leurs taux dépassent la valeur guide européenne, soit 25 mg/l, un niveau au-delà duquel il devient difficile de rendre l’eau potable. Dans les nappes phréatiques, cette valeur guide est dépassée dans 43 % du territoire.
L’agriculture intensive dans le collimateur
Pour UFC-Que Choisir, le principal responsable est tout trouvé : l’agriculture intensive « loin encore d’avoir corrigé ses pratiques ». « Les quantités d’engrais n’ont pas baissé en vingt ans et l’utilisation des pesticides a même augmenté de 18 % en cinq ans », déplore l’association. L’ONG France nature environnement (FNE) arrive aux mêmes conclusions : « Nous ne pouvons que dresser un bilan alarmant des milieux aquatiques en France, indique Marine Le Moal, coordinatrice du réseau Ressources en eau et milieux aquatiques à FNE. Si nous avons conscience de la difficulté du métier d’agriculteur, certaines pratiques doivent impérativement changer aujourd’hui. »
Qu’on se rassure, l’eau du robinet, celle que le consommateur boit, est de « très bonne qualité pour près de 96 % des consommateurs », rappelle l’UFC-Que Choisir qui dirige sur ce point vers une autre de ses études publiée en janvier dernier. « Mais on obtient cette qualité au prix d’une coûteuse dépollution, regrette Olivier Andrault, chargé de mission « Alimentation et agriculture » à l’UFC-Que Choisir. La Cour des comptes évalue ainsi le surcoût de la dépollution de l’eau dû aux pratiques agricoles entre 640 millions et 1,14 milliard d’euros par an en France. »
Le principe « pollueur-payeur » baffoué
C’est le principal grief pour UFC-Que Choisir. Non seulement cette dépollution est onéreuse, mais elle est très majoritairement financée par les usagers domestiques. Très peu en revanche par les agriculteurs. L’association invite alors à revoir en profondeur la gouvernance des six agences de l’eau en France, créée en 1964 et chargée de gérer les ressources en eau sur le bassin qui lui est associé. Pour mener à bien leurs missions, elles perçoivent une redevance « pollution » et une autre « prélèvement », fondées toutes les deux sur le principe « préleveur-pollueur-payeur ». Autrement dit, plus je consomme et/ou plus j’occasionne de pollutions sur la ressource et plus je paie.
« D’une certaine façon, ce principe est encore réalité aujourd’hui puisque chaque usager paie en fonction des m³ d’eau prélevés et de la pollution estimée, résume Olivier Andrault. Mais des barèmes différents ont été appliqués suivant les utilisateurs et ils favorisent grandement les agriculteurs et les industriels, bien moins mis à contribution que les consommateurs. »
Cette entorse au principe « pollueur-payeur » avait déjà été pointée du doigt par la Cour des comptes en février 2015. L’UFC-Que Choisir le dénonce de nouveau aujourd’hui. Via leur facture d’eau, les consommateurs paient 88 % de la redevance « pollution », illustre l’association, quand l’agriculture, « pourtant responsable à elle seule de 70 % des pollutions en pesticides, de 75 % des pollutions en nitrates », n’en paie en moyenne que 7 %. La part payée par les agriculteurs a quelque peu progressé entre 2005 et 2015, passant de 1 à 7 %, mais c’est encore trop peu pour l’association.
Ne pas tout voir en noir ?
Alors que faire ? Pour UFC-Que Choisir, c’est tout vu : il faut une application stricte du principe « préleveur-pollueur-payeur », de façon à encourager des pratiques agricoles plus vertueuses, moins gourmandes en engrais, en pesticides et en eau. « Est-ce juste ?, demande Eric Thirouin, secrétaire général adjoint de la FNSEA, le premier syndicat agricole où il préside la commission environnement. Une partie non négligeable du budget des agences de l’eau va aux collectivités pour leurs projets d’assainissement, la rénovation de leurs canalisations percées. Ce n’est pas la faute des agriculteurs. »
Eric Thirouin invite aussi à ne pas voir la situation tout en noir. En Bretagne, région marquée par les algues vertes, la teneur en nitrate des eaux s’est améliorée ces dernières années pour revenir au niveau des années 1980. En septembre 2016, un rapport du ministère de l’environnement constatait aussi, avec des guillemets, une légère baisse (10 %) de la teneur en pesticides dans les cours d’eau entre 2008 et 2013, liée entre autres à une interdiction de certains herbicides.
« Les agriculteurs font des efforts, assure alors le responsable syndical. En grignotant sur nos exploitations, nous avons implanté 400.000 kilomètres de bandes enherbées de cinq mètres de larges le long des cours d’eau [qui servent de zone tampon]. Nous devons poursuivre ses efforts, mais l’agribashing auxquels nous faisons face n’est guère encourageant. »