Un jour, peut-être, nous contrôlerons les ouragans
CATASTROPHE CLIMATIQUE•Largage de gaz carbonique, avions supersoniques, bombe nucléaire, entonnoir géant pour refroidir l’eau… Plusieurs pistes ont été envisagées depuis 1940 pour contrôler la trajectoire et l’intensité des ouragans. Sans succès jusqu’à présent…Fabrice Pouliquen
Déjà sept ouragans ont déferlé sur l’Atlantique nord depuis juin, quand la moyenne est de cinq sur une année. Deux, Irma et Maria, ont charrié des vents dépassant les 250 km/h, les faisant entrer d’office dans la catégorie 5 (la plus haute possible) sur l’échelle de Saffir-Simpson qui classe l’intensité des cyclones tropicaux.
Un aveu d’impuissance face aux ouragans ?
Plus que leur fréquence, c’est au final l’intensité des ouragans qui inquiète à l’avenir Caroline Muller, chargée de recherche au CNRS et Maître de conférences attachée à l’Ecole normale supérieure, spécialisée dans les événements climatiques. « Il n’y a pas à ce jour de signal indiquant qu’on se dirige vers une hausse du nombre d’ouragans formés chaque saison, précise-t-elle. En revanche, l’augmentation de la température des océans et la présence accrue de vapeur d’eau dans l’atmosphère, deux phénomènes imputés au réchauffement climatique, sont de nature à augmenter leur intensité. »
Pas rassurant donc. Ces dernières semaines ont montré à quel point il pouvait être difficile de déterminer la trajectoire précise d’un ouragan, son intensité et sa potentielle dangerosité. Certes, des mesures de sécurité sont lancées pour limiter les dégâts, mais une fois prises, « il nous reste malheureusement plus qu’à attendre le passage pour espérer que les dégâts soient le moins possibles importants », concédait ce lundi encore Annick Girardin, la ministre de l’outre-mer, en faisant le point sur la situation en Guadeloupe et en Martinique avant le passage de l’ouragan Maria.
Diverses tentatives pour contrôler les ouragans
Il y en a tout de même qui ont tenté de dompter la bête. Plusieurs expériences scientifiques ont cherché à dévier la trajectoire des ouragans et/ou à faire baisser leur intensité », raconte Caroline Muller. Dès 1947, dans le cadre du programme Cirrus financé par l’armée américaine et la firme General Electric, un avion ira jusqu’à larguer 36 kg de gaz carbonique au-dessus d’un cyclone dans l’Atlantique pour en modifier l’enveloppe nuageuse. Dans la foulée, le projet Stormfury, financé par le gouvernement américain de 1963 à 1982 et testé sur quatre cyclones différents, visait à ensemencer l’extérieur de l’œil du cyclone avec de l’iodure d’argent afin de former un œil plus grand et de ce fait moins puissant.
Dans un autre genre, Hugh Willoughby, professeur à l’université de Miami, proposait en 1990 d’envoyer une bombe nucléaire au cœur des ouragans, tandis qu’Arkady Leonov, professeur en physique mathématique à l’université d’Akron (Ohio) proposait de faire voler des avions supersoniques autour de l’œil de l’ouragan, l’énergie déployée lors du passage du mur du son pouvant, selon lui, refroidir l’air et affaiblir la structure de l’ouragan. Deux mauvaises idées, douche le Huffington Post. La première étant dangereuse pour la planète, la deuxième dangereuse pour les pilotes et, l’une comme l’autre ne pouvant rivaliser avec l’énergie produite par un cyclone.
Des micro-ondes depuis l’espace ?
« On sait aussi qu’une eau chaude, en surface, est le principal carburant d’un ouragan, poursuit Caroline Muller. D’autres projets ont alors travaillé à des techniques pour dévier la trajectoire des ouragans et les amener vers des courants d’eau froide. » C’était notamment l’idée du procédé « Salter Sink » imaginé par l’entreprise Intellectual Ventures et rendu public en 2009. L’idée était de placer des entonnoirs géants dans les couloirs empruntés par les ouragans pour y capter l’eau de surface et l’expédier dans les profondeurs où elle serait mélangée à des eaux plus froides.
Même la Nasa s’en mêle. En 2004, le chercheur Ross Hoffman a reçu 500.000 euros de fonds de l’agence spatiale américaine pour son projet qui consisterait à envoyer des micro-ondes depuis l’espace sur les cyclones afin d’en dévier la trajectoire.
Que des échecs jusqu’à présent…
Le bilan est implacable. Ces idées sont soit onéreuses, soit farfelues, soit même dangereuses pour la planète. « Les ouragans nous mettent face à des échelles sur lesquelles l’homme n’a pas d’impact, conclut Caroline Muller. Il faut bien avoir conscience de l’énergie déployée par un ouragan et de l’ampleur de ces phénomènes. » La semaine dernière, Irma, l’un des ouragans les plus puissants jamais enregistré dans l’Atlantique, laissait voir aux images satellites une masse nuageuse compacte d’environ 700 km de diamètre.
Pour Caroline Muller toutefois, cela vaut la peine de continuer à plancher sur des solutions pour contrôler à l’avenir les ouragans. « Tout comme nous devons encore parfaire nos connaissances des ouragans, précise-t-elle. Nous comprenons aujourd’hui les processus à l’œuvre dans les ouragans, ce qui les nourrit, ce qui peut les affaiblir, mais nous ne comprenons pas encore très bien comment naissent les cyclones, comment des perturbations atmosphériques venues d’Afrique dégénèrent pour certaines en ouragan. »