Ouragan Irma: Les critiques à l'égard du gouvernement sur la gestion de la crise sont-elles justifiées?
CATASTROPHE•Plusieurs opposants politiques et des ONG pointent depuis dimanche des lacunes dans la réponse apportée par l’Etat après l’ouragan Irma aux Antilles…Fabrice Pouliquen
L'essentiel
- Manque d’anticipation, trop peu de moyens mobilisés et incapacité de faire face aux pillages....Le gouvernement n'échappe pas aux critiques.
- Valérie November et Elsa Peinturier, spécialisées dans la gestions des risques naturels, comme Thierry Velu, responsable d'ONG, invitent toutefois à ne pas oublier l'ampleur inédite d'Irma et la complexité de la situation actuelle aux Antilles.
- Malgré tout, une commission d'enquête parlementaire sera bénéfique pour apprendre des erreurs.
L’Etat a-t-il fauté dans la gestion de l’ouragan Irma qui ont frappé les îles Saint-Martin et Saint-Barthélemy ? Alors qu’Emmanuel Macron est attendu ce mardi à Saint-Martin, le gouvernement est en tout cas attaqué de toutes parts, sur la réponse apportée à cette catastrophe naturelle d’une ampleur inédite. De Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon, en passant par le député Les Républicains Eric Ciotti, tous demandent la création d’une commission d’enquête parlementaire pour analyser les supposés ratés du gouvernement.
Un phénomène nouveau
Pêle-mêle, on lui reproche un manque d’anticipation, trop peu d’évacuations, la faiblesse des moyens mobilisés ou l’incapacité à enrayer les pillages. Le Premier ministre Edouard Philippe a déploré ce lundi « une polémique politicienne » alimentée par des responsables politiques « alléchés par la souffrance ».
Valérie November, directeur de recherche au CNRS et spécialisée dans l’analyse des risques urbains, environnementaux et naturels, juge aussi les critiques faciles. Elle commence déjà par replacer l’ouragan Irma à la hauteur de l’événement. « Les Antilles sont chaque année à cette période frappées par des cyclones. On n’en parle pas parce qu’ils n’ont jamais été de l’ampleur d’Irma. Avec Irma, on est dans le hors-norme. C’est du jamais-vu en Atlantique. L’ouragan est à comparer au typhon Haiyan, qui avait frappé très durement les Philippines en 2013 avec des vents de plus de 300 km/h [faisant plus de 10 000 morts]. Face à ce genre de catastrophe, on a beau être préparé, le bilan est lourd. »
Des ouragans qui savent cacher leur jeu ?
Surtout, avant de frapper, un ouragan sait cacher son jeu compliquant ainsi le déploiement des secours. « Quarante-huit heures avant de toucher Saint-Martin et Saint-Barthélemy, Irma était encore un ouragan de catégorie 3 et sa trajectoire restait imprécise, menaçant une zone allant des Caraïbes à la Floride », rappelle Thierry Velu, sapeur-pompier et président de l’ONG Groupe de secours catastrophe français. Dix secouristes de son ONG s’envolent ce lundi soir pour Saint-Martin, « alors qu’il y a quelques jours nous pensions plutôt concentrer notre intervention sur Haïti et la République dominicaine. Ces deux pays pauvres ont finalement été très peu touchés par Irma. »
Dans son discours de rentrée, ce week-end, Marine Le Pen a aussi déploré « des moyens de secours et de maintien de l’ordre tout à fait insuffisants ». « Ce n’est pas qu’une question de moyens, mais aussi de conditions météorologiques, juge Valérie November. Avant et après le passage d’Irma, Saint-Martin et Saint-Barthélemy ont été frappées par de fortes houles, de fortes pluies et des vents violents. Tous les moyens de communication avec Saint-Barthélemy et Saint-Martin étaient aussi rompus. »
Dans le sillage d’Irma, José n’a rien arrangé non plus. Samedi, cet autre ouragan, de catégorie 4, est finalement passé plus au nord que prévu. Mais il a longtemps menacé Saint-Martin et Saint-Barthélemy. « La question s’est alors posée : fallait-il envoyer plus de secouristes à terre au risque de mettre leur vie en danger? » observe Thierry Velu.
Pas facile d’évacuer une île
Fallait-il alors organiser des évacuations préventives à Saint-Martin et Saint-Barthélemy dès l’identification d’Irma comme une menace pour les Antilles ? C’est un autre point reproché au gouvernement ces derniers jours, en comparaison à la Floride qui a donné ordre d’évacuer à 6,3 millions de personnes en prévision de l’arrivée d’Irma. « Mais Saint-Martin et Saint-Barthélemy sont des îles, explique Elsa Peinturier, doctorante en géographie dont les travaux portent sur la gestion de la crise en cas de catastrophe naturelle, notamment d’ouragans. On les évacue bien moins aisément. Elles sont à plusieurs milliers de kilomètres du continent et n’ont pas les infrastructures nécessaires en temps normal pour des évacuations de cette ampleur. Et où amène-t-on les populations évacuées ? Vers la Guadeloupe ou la Martinique ? Ces deux îles étaient aussi sous la menace d’ouragan. »
Une commission d’enquête bienvenue
Malgré tout, si la critique peut-être jugée facile, personne n’écarte les bienfaits d’une commission d’enquête parlementaire sur l’intervention gouvernementale à Saint-Martin et Saint-Barthélemy.Pas même Gérard Colomb, le ministre de l’Intérieur. Une fois la crise passée, Valérie November et Elsa Peinturier sont pour également. « Les retours d’expérience font partie du processus de gestion d’une catastrophe, note Elsa Peinturier. D’autant qu’il faut s’attendre désormais à faire face, notamment au vu des vulnérabilités territoriales que l’on connaît aujourd’hui, à des catastrophes de l’ampleur d’Irma ou d’Harvey. »
Et la recherche d’améliorations ne doit pas se limiter à la gestion de crise. Des questions de fond se posent aussi, estime Valérie November. « Sur la manière dont nous habitons les zones littorales sur ces îles comme en métropole d’ailleurs, estime Valérie November qui rappelle aussi la tempête Xynthia. Les bords de mer sont forcément prisés, mais ce sont des zones aussi plus exposées. Il y a toujours des arbitrages qui se font entre pressions foncières, développement territorial, et prise en compte des risques naturels. »
Quand une catastrophe frappe, elle marque les esprits les premières années puis s’estompe peu à peu dans les mémoires. « Pour les inondations, on parle d’une période de sept ans, indique Valérie November. Au-delà, les pressions foncières tendent à prendre le dessus sur la gestion des risques naturels. »