EPR de Flamanville: Pourquoi l'ASN a-t-elle donné son feu vert et pourquoi la route est encore longue?
ENERGIE•Malgré des anomalies détectées sur la cuve, le gendarme du nucléaire a donné un premier feu vert au démarrage de l’EPR de Flamanville. Mais le chantier n’a pas encore vu le bout du tunnel…Fabrice Pouliquen
«Une très bonne nouvelle pour l’EPR. » Laurent Thieffry, directeur du projet de Flamanville chez EDF, n’a pas caché sa joie après l’avis préliminaire rendu par l’ Autorité de sûreté nucléaire (ASN) sur la conformité de la cuve du futur EPR de Flamanville.
Le gendarme du nucléaire autorise l’EPR à démarrer avec sa cuve initiale mais sous condition. L’avis était très attendu après deux ans de procédures et de tests entamés fin 2014 après la détection d’anomalies sur le fond et le couvercle de la cuve. Mais l’avis rendu mercredi n’est que le premier d’une longue liste. Explications.
Qu’elles sont les anomalies détectées sur l’EPR de Flamanville ?
A ce jour, c’est la cuve qui pose problème. La pièce est maîtresse d’un réacteur nucléaire puisque c’est ce chaudron de 425 tonnes et de 11 mètres de haut pour cinq mètres de diamètre, qui abrite le cœur du réacteur le plus puissant du monde (1.650 MW).
Cette cuve doit résister à l’irradiation, mais aussi à de très fortes chaleurs et à de fortes pressions, et ceci, pendant toute la durée de vie de la centrale, soit 40 ans minimum pour l’EPR de Flamanville. Or, fin 2014, des anomalies ont été détectées sur le fond et le couvercle de la cuve, forgée à l’usine Creusot Forge d’Areva.
Il a été détecté un excès de carbone au niveau de ces deux pièces. « L’acier de la cuve doit normalement contenir 0,2 % de carbone. Là, on est à 0,3 %, explique Yves Marignac, directeur de Wise-Paris, un institut spécialisé dans la recherche énergétique. Cela paraît infime, mais ça suffit pour modifier les propriétés mécaniques de l’acier et réduire de moitié le facteur de sécurité qu’on a sur la tenue mécanique de la cuve. »
De fortes concentrations en carbone dans une pièce ont pour conséquence une diminution des propriétés de ténacité de l’acier, c’est-à-dire de la capacité du matériau à résister à la propagation d’une fissure en cas de défaut préexistant, note alors l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire dans une note publiée mercredi.
L’ASN donne-t-il un blanc-seing à EDF ?
Si l’ASN a donné un premier feu vert pour que l’EPR de Flamanville puisse démarrer avec sa cuve initiale, c’est bien sous conditions. EDF devra effectuer des contrôles réguliers sur le fond de la cuve pendant toute sa durée d’exploitation « afin de s’assurer de l’absence d’apparition ultérieure de défauts ». Quand au couvercle, de tels contrôles sont actuellement infaisables. L’ASN exige alors d’EDF qu’elle change ce couvercle d’ici la fin 2024, une opération qui coûterait 100 millions d’euros à l’énergéticien.
Cette cuve est-elle suffisamment sûre pour être mise en service ?
Dans son avis rendu mercredi, l’ASN a suivi les conclusions de son groupe permanent d’experts pour les équipements sous pression nucléaire (GP-ESPN). Mardi, il avait rendu un rapport sur la conformité de la cuve.
« Le GP-ESPN a considéré globalement que cette cuve reste suffisamment sûre dans la mesure où elle conserve des marges de sûreté par rapport au risque de rupture », explique Yves Marignac, membre de ce groupe d’experts depuis trois ans. Considérant que « cette marge de sûreté était réduite de moitié », Yves Marignac a décidé d’émettre un avis minoritaire, « le premier en trois ans » et a été rejoint dans sa démarche par un autre expert du GP-ESPN qui en compte 31.
L’ASN a-t-elle cédé à des impératifs économiques ?
C’est ce que craint Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire pour Greenpeace. Il pointe une contradiction dans l’avis préliminaire rendu par l’ASN. « D’un côté, elle demande à changer le couvercle parce qu’il n’est pas sûr et admet que la faisabilité technique de contrôles sur le couvercle n’est pas acquise, mais de l’autre elle autorise le réacteur à fonctionner à pleine puissance. »
Pour Greenpeace, l’ASN aurait alors cédé à des impératifs économiques au détriment de la sûreté. Le chantier de l’EPR de Flamanville a pris à ce jour six ans de retard et vu le coût du projet triplé pour atteindre aujourd’hui 10,5 milliards d’euros.
« EDF et Aréva étaient au pied du mur, poursuit Yannick Rousselet. Un rejet de la cuve par l’ASN aurait eu un effet domino. Les autres projets EPR vendus par EDF et Areva à Hinkley Point (Royaume-Uni), en Finlande ou en Chine seraient notamment tombés à l’eau. C’était la fin de la filière nucléaire française. »
L’EPR de Flamanville a-t-il franchi le plus gros obstacle ?
Mercredi, l’ASN n’a donné qu’un avis préliminaire. Le définitif sera rendu en octobre. « Mais on ne parle là que de la cuve. Ce n’est qu’un petit élément dans l’autorisation de mise en service de tout le réacteur, rappelle Yves Marignac. Cette mise en service passe par des batteries d’essais de tous les équipements du réacteur. La détection de nouvelles anomalies est possible. C’est un réacteur complexe, le premier du genre, et le chantier a enregistré beaucoup de retards si bien que des équipements resteront inutilisés bien plus longtemps que prévu. »
EDF prévoit une mise en service de l’EPR de Flamanville dans le courant du deuxième trimestre 2019. Yves Marignac table plutôt sur 2020. A Greenpeace, Yannick Rousselet veut croire que d’ici là l’ASN imposera des règles de pilotage et d’utilisation du réacteur plus forte à EDF. « On peut espérer par exemple que l’ASN s’oppose à une utilisation à pleine puissance du réacteur. »
L’ONG surveille aussi de près la réaction de Nicolas Hulot. « Il doit se saisir du dossier, estime Yannick Rousselet. Ce dossier est éminemment politique. On la voit bien dans la décision rendue mercredi par l’ASN, qui est finalement un compromis entre un enjeu de sûreté et des enjeux économiques. »