Suisse: Sortir du nucléaire, est-ce la garantie de devenir plus écolo?
ENERGIE•Comme les Suisses dimanche, l’Italie, l’Allemagne ou encore le Japon ont tenté de sortir du nucléaire. Au risque parfois de privilégier des énergies fossiles et polluantes…Fabrice Pouliquen
L'essentiel
- Dimanche, les Suisses ont voté par référendum la nouvelle loi sur l'énergie qui interdit la création de nouvelles centrales nucléaires et l'arrêt proggressif des réacteurs existants.
- L'Italie, après Tchernobyl, ou l'Allemagne et le Japon, après Fukushima, ont déjà acté une sortie du nucléaire.
- Cela ne leur a pas permis toutefois de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, bien en contraire même parfois.
Aucune nouvelle centrale, un soutien accru aux énergies vertes et un plan pour réduire la consommation énergétique… Dimanche, les Suisses ont voté à 58,2 % la nouvelle loi sur l’énergie tournant progressivement le dos au nucléaire.
Moins dépendante de l’atome que la France
Le virage avait été entamé après l’accident nucléaire de Fukushima au Japon en mars 2011. « Mais il s’agissait d’une décision de principe, rien n’était inscrit dans la loi, explique Christian Van Singer, conseiller nationale suisse et porte-parole de Sortir du nucléaire. Ce référendum entérine un plan et des moyens financiers pour se passer du nucléaire. »
Facile ? Comparé à la France et ses 58 réacteurs nucléaires qui assurent 77 % de la production d’électricité (en 2014), la Suisse a un avantage de taille : elle dépend beaucoup moins de l’atome. Le pays ne compte que cinq réacteurs nucléaires qui produisent un tiers de son électricité. L’énergie hydroélectrique, véritable point fort suisse, en assure 60 % et un panel d’énergies renouvelables (biomasse, éolien, thermique…) apportent le reste.
« Le risque d’augmenter ses émissions de gaz à effet de serre »
Les Suisses devront tout de même à terme réussir à se passer des 33 % que représente le nucléaire dans leur production d'électricité. C’est sur ce point que Jan-Horst Keppler, professeur d’économie à Paris-Dauphine, directeur scientifique de la Chair european electricity market (CEEM), attend le pays au tournant. « Un tel projet comporte des risques, rappelle-t-il. Celui de devoir augmenter ses importations d’énergie et de se tourner vers des énergies fossiles, plus émettrices de gaz à effet de serre. »
Les Suisses ne sont pas les premiers à vouloir tourner le dos au nucléaire. L’Italie a ainsi fermé ses centrales dès 1986 aprèsla catastrophe de Tchernobyl. Le pays en est réduit aujourd’hui à importer 75 % de son énergie et dépend beaucoup du pétrole (35,1 %), du gaz naturel (34,5 %) ou du charbon (9 %). Trois énergies fossiles et polluantes.
Jan-Horst Keppler prend le Japon comme exemple plus récent. « Après Fukushima, le pays a fermé la totalité de ses centrales nucléaires [avant d’en rouvrir quelques-unes depuis 2015], rappelle-t-il. Pour compenser, les Japonais se sont eux aussi tournés massivement vers le gaz mais aussi le charbon dont la part est passée de 27 % en 2010 à 34 % en 2014. » Résultat : en 2014, le Japon a quasi égalé son record d’émission de gaz à effet de serre qui datait de 2007.
L’Allemagne, pas forcément un bon élève
Même l’Allemagne ne fait pas figure de bon élève. Après Fukushima, le pays a lui aussi décidé la fermeture de ses 17 centrales, un processus qui s’achèvera en 2022. L’Allemagne a massivement investi dans les énergies renouvelables pour compenser et produit toujours suffisamment d’énergie pour pouvoir en exporter. « Mais le charbon reste le pilier de son système électrique allemand, rappelle Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française d’énergie nucléaire, qui rassemble des ingénieurs et scientifiques du nucléaire. Cette énergie représente 40 % de sa production d’électricité. »
Résultat : l’Allemagne émet ce mardi après-midi 317 grammes d’équivalent CO2 par kWh produit (g CO2 eq/kWh) si on en croit electricitymap, une carte qui indique en temps réel l’intensité carbone de la production électrique en Europe. Cette piètre performance la classe parmi les mauvais élèves européens. La France fait bien mieux avec 50 g CO2 eq/kWh, seulement battue par la Norvège et la Suède.
Valérie Faudon y voit alors une des raisons de réhabiliter l’énergie nucléaire, décriée en France pour les problèmes de sécurité, de traitement des déchets ou du coût des nouvelles générations de réacteurs que la filière pose. « Le nucléaire a un taux d’émission de C02 par kWh très bas, de l’ordre de 10 g, et ne rejette aucun polluant atmosphérique, un grand enjeu aujourd’hui dans les villes, indique-t-elle. Or, quelle est la priorité aujourd’hui ? Lutter contre le réchauffement climatique en réduisant les émissions de CO2 ou sortir à tout prix du nucléaire ? »
La Suisse a une carte à jouer…
Comme la France, la Suisse est aussi parvenue aujourd’hui avoir une des énergies les plus décarbonées au monde. « Ce serait un rétropédalage regrettable si le pays, en tournant le dos au nucléaire, en venait à augmenter ses émissions de gaz à effet de serre », lance Valérie Faudon.
Christian Van Singer pense son pays de taille pour relever le défi. « Nous n’avons ni le climat, ni la place pour développer massivement le solaire ou l’éolien, concède-t-il. Mais nous pourrions très bien être à la pointe sur l’isolation thermique des bâtiments, voire dans la construction de maisons à énergie positive. »
… la France peine à exploiter les siens
La France aurait aussi des atouts de taille pour mener à bien une transition énergétique, estime Yannick Rousselet, chargé des questions nucléaires àGreenpeace France. « Nous avons sans doute même le plus grand potentiel d’Europe pour développer les énergies renouvelables, observe-t-il. Notamment des milliers de km de côtes propices à l’essor de l’éolien. »
La France s’est engagée d’ici 2025 à réduire à 50 % la part du nucléaire dans sa production d'électricité. « On n’y arrivera pas si on ne ferme pas très vite des centrales nucléaires, poursuit Yannick Rousselet. Les experts s’accordent pour dire que la consommation d’électricité devrait stagner ou légèrement augmenter à l’avenir. La France n’a donc pas d’intérêt à produire plus d’énergie qu’elle le fait aujourd’hui. Elle doit juste laisser plus de place aux renouvelables. »