Loup: La hausse des abattages remet-elle en cause la survie de l’espèce en France?
ANIMAUX•Depuis trois ans, la population de loups stagne en France autour des 300 individus, un chiffre loin d’assurer la survie de l’espèce à long terme. Quatorze scientifiques invitent à revoir la politique d’abattage en France…Fabrice Pouliquen
Il serait responsable de la mort de sept brebis dans la Nièvre début janvier. Il aurait été aperçu également à deux reprises près de Cannes depuis mi-février, de même que dans le sud-ouest de la Marne le 15 mars…
Lui, c’est le loup. Le canidé avait disparu du territoire français au milieu des années 1930 pour ne subsister que dans notre imaginaire collectif où il a toujours eu une place très particulière et peu enviée. Mais depuis 1992, le voilà de retour. Les premiers, venus d’Italie, ont passé les Alpes pour s’établir dans le parc du Mercantour. Vingt-cinq ans plus tard, le dernier décompte fait état de 292 loups et 35 meutes dans l’Hexagone.
Le territoire progresse, les effectifs stagnent
L’Office national de la chasse et de la faune sauvage (Oncfs), chargé du suivi de l’espèce, constate une présence récurrente du loup dans les massifs alpins, la Lorraine, le Massif Central, et à l’est des Pyrénées. Ce qui n’empêche pas le loup d’étendre son aire de présence de 10 % par an, note un rapport, publié vendredi, par quatorze chercheurs missionnés par le ministère de l’Environnement pour établir une stratégie de préservation du loup en France à l’horizon 2025-2030.
Si son aire de présence progresse, tout ne va pour le mieux pour le loup dans nos contrées. L’étude ne déborde pas d’optimiste. Elle évalue notamment entre 2.500 et 5.000 le nombre d’individus adultes à atteindre au minimum pour assurer la viabilité à long terme de l’espèce en France.
Avec 292 individus, on est loin du compte. Plus inquiétant, la population de loups en France stagne autour des 300 individus depuis 2014. « Elle progressait pourtant de façon continue depuis 1992 », note Madeline Reynaud, directrice de l’Aspas (Association pour la protection des animaux sauvages).
La hausse des abattages en cause ?
Pour Madeline Reynaud, le responsable est tout désigné : la hausse des prélèvements de loups (abattages pour être plus clair) depuis 2013. Chaque année, l’Etat fixe un nombre maximal de loups pouvant être tué de juillet au mois de juin de l’année suivante pour endiguer les attaques de bétail. Ce plafond était de 24 pour la saison 2014-2015 et a grimpé à 36 pour les deux dernières saisons.
L’étude note aussi cette « corrélation temporelle » entre la stagnation de la population et l’augmentation des prélèvements. Mais sans émettre de certitudes, la population de loups en France n’étant pas connue avec certitude.
Fait paradoxal, la population semble stagner en France alors que le nombre de meutes observées, lui, augmente. « Nous en comptons six nouvelles pour 2016, indique Eric Marboutin, spécialiste des loups à l’Onfcs. L’an passé, nous avions déjà constaté une meute supplémentaire sans pour autant observer une hausse des effectifs 2016. Avec six meutes supplémentaires, nous pouvons être plus optimistes cette fois-ci. »
De nouvelles dérogations pour fin 2016
En attendant le nouveau comptage de l’Oncfs, publié mi-avril, l’écophysiologiste Yvan Le Maho, qui a participé au rapport, invite « à la prudence » : « Si les données 2017 stagnent ou baissent, cela voudra dire alors que nous ne pourrons pas tuer davantage de loups au risque de remettre en cause la viabilité de l’espèce ».
L’Etat jouera-t-il d’ici là prudence ? Madeline Reynaud en doute : « 35 loups abattus sur les 36 autorisés ont déjà été abattus pour la saison 2016-2017, rappelle-t-elle. Deux arrêtés ministériels sont en préparation pour relever le quota de quatre loups supplémentaires. »
Claude Font, responsable du dossier « loup » à la Fédération nationale ovine, espère l’adoption de ces deux arrêtés dès mai. « Peut-être que la population stagne, ce qu’on sait c’est que le nombre d’attaques sur nos élevages ne cesse d’augmenter », justifie-t-il. 2.800 attaques (ayant fait l’objet d’une indemnisation de l’éleveur) ont été recensées en 2016 contre 1.500 en 2011.
Des attaques malgré tout en hausse
Puisque les attaques comme les prélèvements augmentent, l’étude publiée vendredi pose alors la question de l’efficacité de ces abattages légaux. « Il peut y avoir des effets contre-productifs, glisse Yvon Le Maho. Ces prélèvements fragilisent les meutes, poussant les loups à se rabattre sur des proies d’élevage, plus facile d’accès que le gibier sauvage (chevreuils, cerfs, lapins…) qui constitue normalement l’essentiel de leur régime alimentaire. »
Le ministère de l’Environnement a formé un groupe de travail pour plancher sur d’autres solutions pour se prémunir de ces attaques. « Les éleveurs y participent activement, rappelle Claude Font. Nous ne sommes pas pour tirer à vue sur les loups. » « Tant mieux si des techniques non-létales émergent », poursuit-il, tout en précisant qu’à ce jour « aucune ne marche sur le long terme ».