L’irruption de Cyril Hanouna sur le plateau du Grand Journal (Canal +), le 19 octobre dernier, n’avait laissé que très peu de temps à Yvan Bourgnon de parler du projet « Sea Cleaner » pour lequel il était invité. Le navigateur franco-suisse maintient le cap malgré tout, bien décidé à mettre à flot, en 2021, Manta, le plus grand multicoque au monde pour nettoyer les océans. Yvan Bourgnon en dit plus à 20 Minutes sur ce projet qui mobilise aujourd’hui une dizaine de personnes.

Yvan Bourgnon, le 26 juin 2015 à Thaïti.
Yvan Bourgnon, le 26 juin 2015 à Thaïti. - GREGORY BOISSY / AFP

Comment passe-t-on de la course au large à un projet écologique comme The Sea Cleaners ?

En course, les skippeurs heurtent régulièrement des Ofni [Objets flottants non identifiés]. On l’a vu encore récemment lors du Vendée-Globe. Et puis, en 2013, je me suis lancé aussi dans un tour du monde sur catamaran non habitable. J’étais au plus près de l’eau et je les ai vus ces déchets. Forcément, cela interpelle. Je continue la course au large, mais je partage désormais mon temps avec Sea Cleaners.

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Manta fera 60 mètres de long pour 49 mètres de large. Pourquoi fallait-il un bateau aussi grand ?

Monter ce projet avec des bateaux existants entraînait trop de compromis pour peu de résultats. Il nous fallait alors imaginer un bateau sur-mesure. Le plus grand possible justement pour ratisser un maximum de déchets. Nous nous sommes calés sur les dimensions du canal de Panama. Soit 49 mètres de large depuis qu’il a été refait à neuf l’an dernier. Il nous fallait aussi un bateau très long pour couvrir un maximum de périmètres avec nos herses. Ces herses seront nos râteaux. Elles permettront de collecter les déchets à l’arrière du bateau et de les faire remonter via un tapis roulant jusqu’aux coques du Manta.

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Quelle sera la capacité de stockage du Manta ?

Nous tablons sur 600 m3. Les coques au milieu seront suffisamment volumineuses pour accueillir des conteneurs. Nous devrions être capables de ramasser 100 tonnes de déchets plastiques avant de devoir faire route vers un port pour décharger. Sur une année, nous espérons ramasser 1.200 tonnes de déchets environ. C’est toujours trop peu, mais on commence à être efficace. Dans le cas d’un tsunami, si nous sommes sur zone, nous pourrons remplir le bateau de déchets en deux jours et regagner le port le plus proche. Sur une zone peu contaminée, il faudra compter un mois pour remplir le bateau.

Pourquoi le Manta serait la solution efficace pour dépolluer les océans ?

Une autre solution est celle du Néerlandais Boyan Slat. Son projet Ocean Cleanup consiste à installer une barrière flottante pour collecter les déchets plastiques. C’est très intéressant, mais cela ne marche que près des littoraux lorsqu’il y a peu de fond et du courant. Pour ramasser les déchets au large, à ma connaissance, nous sommes les seuls aujourd’hui à proposer une solution.

Quelles sont les prochaines étapes de votre projet ?

Nous n’avons pas encore communiqué sur ce point, mais en attendant que le bateau soit construit, à l’horizon 2021, nous allons lancer une à deux expéditions par an dans les zones contaminées pour récupérer des informations : quel type de plastique on y trouve, à quelle densité… On commencera cet automne. Il nous faudra aussi travailler cette année sur la mise au point des collecteurs lâchés à l’arrière du bateau. Les fameuses herses. C’est le gros défi technologique de notre projet. Nous mettrons alors en construction à la fin de l’année un bateau test, à l’échelle 1/10e, afin de tester trois versions de collecteurs.

Fin 2016, vous avez collecté 151.585 euros sur Kiss Kiss Bank Bank. Un bon début ?

C’est très bien oui. Au-delà de la collecte de fonds, cette campagne de crowfunding était un moyen de valider le projet, de voir si les gens y adhéraient. Sur ce point, nous n’avons pas été déçus. Il nous reste encore beaucoup de fonds à collecter. Avec le Manta, nous partons sur un budget global de 15 à 20 millions d’euros. C’est certes cher, mais ce bateau fonctionnera sur 30 à 40 ans. Surtout, le plastique ramassé en mer intéresse les recycleurs et les industriels. Ce sera une source de revenu pour notre projet Sea Cleaner.

A terme, vous en voulez combien des Manta ?

Le premier, c’est pour 2021. Il faut compter deux ans pour prouver l’efficacité du bateau. Ensuite, tout peut aller très vite. Des Etats peuvent même se décider à en acquérir. La Guadeloupe a dépensé 11 millions d’euros en 2015 pour nettoyer ses plages. C’est quasiment le prix du bateau. Si, à terme, on pouvait déployer une centaine de Manta sur les zones les plus contaminées, nous serions alors très efficaces.

>> Yvan Bourgnon sera en conférence ce mercredi à 19h30, à Paris, à la Maison des Océans (195 rue Saint-Jacques – 5e).