Pesticides: peur sur la toxicité, les vins de Bordeaux pointés du doigt

Pesticides: peur sur la toxicité, les vins de Bordeaux pointés du doigt

Enfants incommodés par le traitement d'une vigne jouxtant leur ...
© 2016 AFP

© 2016 AFP

Enfants incommodés par le traitement d'une vigne jouxtant leur école à Villeneuve-de-Blaye, proportion plus élevée de cancer chez des enfants d'un village de Preignac, le département de la Gironde parmi les plus gros acheteurs de produits phytosanitaires: la filière viticole girondine, premier employeur du département, inspire désormais la défiance.

La viticulture bordelaise est désormais sous la pression grandissante d'associations et de riverains, qui dénoncent les effets toxiques d'herbicides et fongicides de synthèse, piliers de l'agriculture intensive, sur la santé et l'environnement.

D'un point de vue scientifique, l'Institut national de la Santé et de la Recherche médicale (INSERM), dans une étude menée en 2013, a conclu «qu'il semble exister une association positive entre exposition professionnelle à des pesticides et certaines pathologies chez l’adulte» et que «les expositions aux pesticides intervenant au cours de la période prénatale et périnatale ainsi que la petite enfance semblent être particulièrement à risque pour le développement de l’enfant».

Or, la France est le second plus gros consommateur européen de pesticides derrière l'Espagne, le 9e à l'hectare. La Gironde est elle le plus grand département viticole de France et, si la viticulture ne représente que 3% de la surface agricole en France, elle consomme 20% des pesticides.

En tête de la défense des viticulteurs et pour sauver une image écornée, le Comité interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB) assure que «ça fait plus de 20 ans que nous réfléchissons à diminuer les traitements», a martelé son président, Bernard Farges, lors du 8e Forum environnemental qu'il a organisé fin janvier à Bordeaux.

La filière viticole bordelaise se targue d'être à l'offensive pour réduire l'empreinte environnementale de ses activités et s'est fixée pour 2020 des objectifs de 20% de réduction de ses gaz à effet de serre, d'économie d'énergie, de création d'énergies renouvelables et d'économie d'eau.

Mais, en ce qui concerne la diminution des pesticides, c'est à la science qu'elle s'en remet avec l'espoir que les études de l'Institut national de Recherche agronomique (INRA) débouchent rapidement sur de nouveaux ceps résistants aux maladies de la vigne qui nécessiteraient des fréquences de traitement drastiquement moindres.

- Du bio autour des écoles? -

«Si on pouvait ne pas en utiliser on s'en passerait», souffle le président de la Fédération des grands vins de Bordeaux, Laurent Gapenne. «On travaille sur les ceps résistants mais aussi sur du matériel de pulvérisation confiné», qui éviterait la trop grande dispersion dans l'atmosphère, «la construction de haies naturelles près des habitations et une meilleure communication des viticulteurs pour informer les riverains des périodes de traitement».

Mais plus qu'ailleurs, le terroir des grands vins de Bordeaux est soumis à un climat océanique, humide, faisant proliférer les maladies de la vigne: mildiou et oïdium notamment. Et la peur des conséquences des 10 à 20 traitements nécessaires à la vigne élevée en mode dit +conventionnel+ a aujourd'hui gagné les consciences.

Des collectifs se sont créés pour réclamer que les lieux accueillant des personnes sensibles, notamment les écoles, ne soient plus bordés que par de la vigne bio, qui n'utilise que des molécules naturelles, pas de synthèse. Une pétition de 84.000 signatures en ce sens a été remise au préfet de Gironde début mars.

«Entourer de vignes en bio les 132 écoles recensées par la préfecture est un principe de précaution, il faut protéger les enfants qui sont les plus vulnérables», a estimé la porteuse de la pétition, Marie-Lys Bibeyran, dont le frère, ouvrier viticole, est décédé en 2009 d'un cancer rare pour lequel la justice doit se prononcer pour déterminer si la maladie contractée est ou non assimilable à une des pathologies reconnues comme professionnelles, comme cela a déjà été le cas pour d'autres agriculteurs.

Son association, Info Médoc pesticides, prône «le zéro phyto dans la viticulture» et est membre d'un collectif qui comprend notamment la Confédération paysanne, les Amis de la terre ou Générations futures, association qui a révélé fin février que des échantillons de poussières d'habitations proches de vignes contenaient des résidus de pesticides.

- Des riverains inquiets -

Thomas Azouz, Parisien comblé de s'être installé il y a moins de 10 ans à Pauillac, terroir des Premiers grands crus classés bordelais, fait partie de ces riverains inquiets de voir des rangs de vignes depuis sa fenêtre.

«Nous sommes voisins de Mouton-Rothschild, Lafite-Rothschild et Clerc-Milon. Je suis tombé de haut quand j'ai appris que 40 pesticides ont été trouvés dans les mèches de cheveux d'enfants vivant près de vignes en Gironde. J'ai deux enfants de trois et cinq ans et je ne suis pas rassuré quand les châteaux qui m'entourent désherbent encore chimiquement. C'est assez anxiogène. Surtout lorsque le ministre de l'Agriculture dit à la télévision que c'est une +bombe à retardement+», dit ce père de famille désorienté qui «se pose la question de déménager».

L'étude publiée en mars par le mensuel La Recherche, «Pesticides et santé, un dossier accablant», ne va pas le rassurer. Répertoriant de nombreuses études menées à travers le monde les auteurs rappellent que «si les agriculteurs sont en première ligne ils ne sont pas les seuls à développer des pathologies liées aux pesticides». Selon eux, «des études montrent une présomption forte de lien avec les pesticides» pour la maladie de Parkinson, le cancer de la prostate, le lymphome non Hodgkinien chez l'adulte et les tumeurs cérébrales, les malformations congénitales et les leucémies chez les enfants.

Mais, pour les responsables de l'interprofession, «faire du vin sans traiter la vigne on ne sait pas faire», affirme le directeur communication du CIVB, Christophe Château. «Notre but c'est que les viticulteurs utilisent le moins de produits possibles pour réduire l'impact que les traitements pourraient avoir sur l'environnement et la santé».

«Nous ne sommes pas en charge de l'homologation des produits, on ne peut qu'influer sur le respect des bonnes pratiques et si les conditions d'utilisation sont respectées il n'y a pas de danger sur la santé», se défend-il. Et d'affirmer que «le tout bio n'est pas la solution».

«C'est notre pomme de discorde avec le CIVB», indique Anne-Lise Goujon, présidente du Syndicat des vignerons bio d'Aquitaine (SVBA), qui «soutient» l'idée de cultiver en bio autour des écoles, «un premier pas».

«Il faut aider les viticulteurs à changer de pratique et je ne vois pas qui ne pourrait pas passer en bio. Cela demande certes plus d'attention, de temps, de main-d’œuvre car il faut plus observer, plus regarder la météo, être plus réactif. Mais plutôt que mettre de l'argent sur des produits phyto autant créer des emplois et rendre les gens moins malades», estime-t-elle.

En attendant, la période de traitement de la vigne reprendra en avril, la majeure partie se tenant durant la floraison de mi-mai à juin.

Et le gouvernement dans tout cela? Il a dans son plan Ecophyto-II de réduction de 50% des pesticides dans l'agriculture repoussé ses objectifs à 2025 au lieu de 2018 initialement prévu. Et ce alors que le ministère de l'Agriculture a annoncé début mars que l'achat de produits phytosanitaires a bondi de 9,4% entre 2013 et 2014...

Cet article est réalisé par Journal du Net et hébergé par 20 Minutes.