Abattage de bouquetins du Bargy: La brucellose pourrait être la «partie émergée de l’iceberg»
REPORTAGE•Les agents de l’environnement ne sont pas convaincus de l’utilité de l’abattage décidé par la préfecture de Haute-Savoie…Audrey Chauvet
De notre envoyée spéciale à Gap (Hautes-Alpes)
Des bouquetins, il y en a environ 600 qui gambadent dans le Parc national des Ecrins. Alors, quand dans le massif voisin du Bargy le préfet de Haute-Savoie ordonne l’abattage de 200 à 300 bouquetins, soit quasiment l’ensemble de la population du massif, les agents de l’environnement des Hautes-Alpes se sentent concernés. Atteints de brucellose, une maladie transmissible aux bovins et à l’homme par ingestion d’aliments contaminés, les bouquetins du Bargy pourraient ne pas être les seuls animaux sauvages à poser des problèmes sanitaires. « La brucellose pourrait n’être que la partie émergée de l’iceberg », s’inquiète Michel Bouche*, technicien patrimoine pour le secteur Embrunais au Parc national des Écrins.
Dans le Bargy, la décision préfectorale d’abattre les bouquetins malades, à l’exception d’un « noyau sain » de 75 individus, a satisfait les éleveurs inquiets pour leurs fromages, mais a scandalisé les associations de protection de l’environnement qui ont déposé une requête auprès du tribunal administratif de Grenoble. Rejetée.
Les agents de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) vont donc devoir agir vite durant les quelques jours qui séparent le départ des estivants et l’arrivée des skieurs. L’abattage de plus de 200 bouquetins se fera malgré les recommandations de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et l’avis défavorable du Conseil national de protection de la nature (CNPN). « Les avis rendus par les experts ne sont pas suivis par la justice. On voit bien que l’affect et le lobbying ont plus de poids que les avis techniques et scientifiques », déplore Michel Bouche.
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« Regardez ce qu’on a fait avec les renards »
« Créer un noyau sain de bouquetins non atteints de la brucellose n’est pas possible, poursuit l’agent des Ecrins. Les jeunes sont déjà contaminés et abattre les plus vieux va pousser les survivants à se disséminer sur d’autres massifs. » Depuis la fin 2014, déjà plus de 300 bouquetins ont été tués et force est de constater que la maladie n’a pas disparu.
Les éleveurs estiment qu’il y a urgence à agir, faisant valoir le risque économique qui pèse sur eux si leurs troupeaux étaient contaminés : les reblochons de la ferme seraient invendables. Le préfet a pris fait et cause pour les éleveurs, écartant toute possibilité de vaccination des animaux sauvages notamment en raison d’« un risque pour les agents qui administreront le vaccin ».
Les principaux intéressés sourient quand on évoque cet argument : « C’est un vaccin vivant donc il peut redevenir pathogène mais ça n’a rien à voir avec la maladie initiale », explique Michel Bouche, convaincu que la vaccination peut éradiquer la maladie. « Regardez ce qui s’est passé avec les renards : on a voulu les exterminer pour lutter contre la rage, mais seule la vaccination a marché », argumente-t-il.
« Certains préfèrent quitter le métier »
Les agents de l’environnement, ceux de l’ONCFS et des Parcs nationaux, constatent aussi des différences de traitement entre différentes maladies. « La semaine dernière, nous avons capturé un bouquetin atteint de la pestivirose, de la fièvre Q et du virus de l’arthrite encéphalite caprine, énumère Michel Bouche. Nous découvrons des maladies émergentes qui ne sont pas réglementées et qui peuvent aussi se transmettre à l’homme. » Pas de quoi s’alarmer, rassure Michel Bouche, mais de quoi prendre du recul sur la menace représentée par la brucellose.
Avec une population de bouquetins passée de néant à plus de 600 individus en 50 ans, le Parc national des Ecrins est soumis, comme les autres massifs alpins, à la menace de devoir se débarrasser d’animaux sauvages. Au grand dam des agents qui seront chargés de faire le sale boulot. « Quand on passe une carrière à protéger des espèces et qu’on vous demande soudain de les éradiquer, ça peut poser des problèmes psychologiques. Certains préfèrent quitter le métier », témoigne Dominique Melleton, chef de service au Service départemental des Alpes de Haute-Provence de l’ONCFS. « Pour nous, les décisions prises sans tenir compte de nos avis techniques et scientifiques sont des désaveux », ajoute Michel Bouche.
*Les personnes citées dans cet article le sont au titre de leur appartenance au Syndicat national de l’environnement (SNE-FSU)