En Thaïlande, le papier pousse dans les rizières
REPORTAGE•Un papetier a développé une production neutre en carbone en plantant ses arbres autour des rizières…Audrey Chauvet
De notre envoyée spéciale à Bangkok
Les sols gorgés d’eau et la chaleur humide de l’air sont trompeurs: cette année, la saison des pluies n’a pas été très fertile. «Il n’a pas assez plu, la récolte ne sera pas bonne», s’inquiètent Lumpang et Heang Duangdee, un couple de riziculteurs d’une soixantaine d’années installé dans la province de Prachinburi, à 150km à l’est de Bangkok. Pour eux, les 20 tonnes de riz qu’ils produisent par an sont une assurance contre la faim mais pas contre les difficultés financières. Depuis le coup d’Etat de la junte militaire en mai dernier, les riziculteurs thaïlandais ne peuvent plus compter sur les généreuses subventions accordées par le précédent gouvernement qui, afin de s’attirer les faveurs des quelque 3,4 millions de riziculteurs du pays, leur achetait le riz à un prix 50% plus élevé que le prix du marché.
Adopte un eucalyptus
Pour être moins dépendant des aléas climatiques et des revirements politiques, Lumpang et Heang ont adopté des arbres. Depuis six ans, ils font pousser les eucalyptus du papetier Double A, dont l’usine se situe à quelques encablures des rizières. Plantés sur les espaces inutilisés entre deux plantations, sur les digues appelées «Khan-na», les arbres sont coupés tous les 3 à 4 ans pour produire du papier. «La première coupe leur a rapporté 20.000 bahts (environ 500 euros)», se félicite Thirawit Leetavorn, vice-président de Double A. Cela représente environ 10% de leurs revenus annuels. Pas énorme, mais «mieux que rien», s’exclame Thirawit Leetavorn.
Depuis 1991, son entreprise s’appuie sur 1,5 million d’agriculteurs thaïlandais pour faire pousser ses arbres à papier. Une stratégie qui a évité au papetier d’acheter des terres onéreuses et d’exproprier des paysans. «Sur les 14 millions d’hectares de rizières en Thaïlande, 2 millions sont impropres à la culture», chiffre le vice-président. Les arbres à papier comblent une partie de ce vide, sans gêner la riziculture, assure Chinnarat Boonchu, ingénieur en recherche et développement chez Double A: «Les arbres sont issus d’un croisement génétique fait dans nos laboratoires. Leurs racines ne sont pas invasives et nous les stérilisons pour ne pas qu’ils se répandent dans l’environnement.» Précision importante, ce ne sont pas des OGM: «Nous avons simplement fait un croisement de deux espèces, commes les abeilles pourraient le faire», sourit Chinnarat Boonchu.
La nursery des eucalyptus dans l'usine Double A en Thaïlande, le 14 octobre 2014.
Une usine légère en carbone
Nés dans une nursery où des employés en blouse blanche font germer des milliers de petits plants, les eucalyptus à croissance rapide sont très denses en fibres pour assurer la qualité du papier. Ils sont aussi l’énergie qui alimente l’usine: toutes les parties non utilisées pour la production de papier sont converties en biomasse qui fournit 100% de l’électricité nécessaire à la très énergivore fabrication des ramettes. «Notre centrale a une capacité de 100 mégawatts. Nous en revendons 70% au réseau national», chiffre Thirawit Leetavorn. L’usine assure aussi son approvisionnement en eau grâce à un réservoir et l’absence de chlorine dans le processus de blanchiment du papier permet d’éviter de lourds retraitements.
Une bobine de papier dans l'usine Double A de Thaïlande, le 14 octobre 2014.
Une usine exemplaire en termes d’environnement, assure Thirawit Leetavorn, vantant le bilan carbone réalisé par des scientifiques selon la méthode proposée par la Confédération des industries papetières européennes. Les 400 millions d’arbres plantés, moins les 100 coupés chaque année, absorbent l’équivalent de 7.500 kilos de CO2 par tonne de papier produit. En comparaison, le processus de production du papier émet 2.500 kilos de CO2 par tonne. Résultat, chaque rame de papier enlève 12,5 kilos de CO2 de l’atmosphère. Trop beau pour être vrai? «L'incinération du papier en fin de vie émet du CO2», reconnaît Thirawit Leetavorn, qui refuse toutefois de se lancer dans le recyclage. «Cela reviendrait trop cher en termes de collecte et d’énergie», explique-t-il.