PLANETEDésaccords profonds sur la pêche de grands fonds

Désaccords profonds sur la pêche de grands fonds

PLANETELes pêcheurs et les ONG environnementales s'affrontent à quelques jours d'un vote décisif du Parlement européen...
Audrey Chauvet

Audrey Chauvet

De notre envoyée spéciale à Lorient (Morbihan)

Quelques bulles qui ont mis beaucoup d’eau dans le gaz: la BD de Pénélope Bagieu, réalisée pour l’association Bloom qui milite contre le chalutage en eaux profondes, n’a pas plu aux pêcheurs accusés de détruire les fonds marins. Nommément visé par l’ONG, le groupe Intermarché, qui via la Scapêche gère 18 navires et emploie 220 marins, a voulu présenter jeudi sa vérité à la presse. Et redorer le blason des Mousquetaires à quelques jours d’un vote décisif du Parlement européen le 10 décembre sur la politique commune des pêches qui pourrait interdire la pêche profonde.

Arguments sur fonds vaseux

Soumise à des quotas de prises depuis 2002, «la pêche profonde est très encadrée», assure Jean-Pierre Le Visage, directeur d’exploitation de la Scapêche. Si par le passé des espèces comme l’empereur ont fait les frais de la surpêche, les stocks de poissons, en particulier des trois espèces cibles (sabre, grenadier et lingue bleue) ne sont plus en péril grâce à une baisse des prises de 40% depuis 2002. «Nous pêchons 4.000 tonnes par an d’espèces d’eaux profondes, entre 200 et 1.200m de profondeur, sur seulement 5% des surfaces exploitables puisque nous n’allons pas dans les zones de protection des coraux ni dans les zones de reproduction de la lingue», précise Fabien Dulon, directeur général de la Scapêche.

Mais l’impact du chalutage sur la biodiversité des fonds marins n’est pas clair. «Les chaluts ne laissent pas de sillons sur le fond», assure Jean-Pierre Le Visage. Si pour éviter une perte d’énergie, «le but d’un chalut n’est pas de soulever le fond, explique Gérard Bavouzet, responsable de la station Ifremer de Lorient, néanmoins, il y a un impact dès qu’on pose quelque chose sur le fond».

Une pêche pas si «accessoire»

Mais pourquoi les pêcheurs défendent une pêche limitée à trois espèces bon marché, vendues en moyenne 2,20 euros le kilo à la criée? Parce que «c’est rentable», explique-t-on, grâce à la faible consommation en gasoil des bateaux neufs, construits en partie avec 9 millions d’euros de subventions européennes. Résultat, le chiffre d’affaires de la Scapêche au cours des dix dernières années s'est élevé à 400 millions d’euros. L’argument de l’emploi est également mis en avant par les pêcheurs, qui chiffrent à quelque 3.000 le nombre de salariés bretons dépendant de près ou de loin de cette pêche à travers 400 sociétés.

Insipide mais cher

Pour Jacques Woci, le directeur général du groupe Les Mousquetaires, la pêche n’est qu’un maillon dans la grande chaîne d’approvisionnement du groupe: «Nous avons 61 sites industriels qui réalisent 3,8 milliards de chiffre d’affaires, explique-t-il. Parmi eux, il y a le site de transformation du poisson basé à Lanester (Morbihan) qui emploie 250 salariés et utilise une partie des prises de la Scapêche. Nous y apportons de la valeur ajoutée par le filetage où en faisant des plats cuisinés et des conserves.»

Résultat, les 60% de poissons pêchés par la Scapêche qui restent dans le giron d’Intermarché sont revendus au consommateur près de 15 euros le kilo. D’un intérêt gustatif «neutre», autrement dit insipide, ces poissons vendus en filets sans arêtes plaisent aux enfants et aux personnes âgées, assurent les revendeurs. Si l’Europe décidait d’interdire le chalutage, ce sont les pêcheurs qui pourraient rester avec une arête en travers de la gorge.