Isabelle Autissier: «La nature, ce n'est pas un truc pour aller faire un tour en forêt le week-end»
INTERVIEW•La présidente du WWF France fête les quarante ans de l'ONG avec encore beaucoup d'espoir pour la planète...Propos recueillis par Audrey Chauvet
Du sauvetage des flamants roses en Camargue à la création du parc amazonien de Guyane, de l’inscription de l’ours brun dans la liste des espèces protégées à la campagne pour le bio à la cantine, la branche française du WWF a vécu quarante années riches en combats et en causes défendues. Pour les quarante prochaines années, la présidente du WWF France, Isabelle Autissier, n’est ni optimiste, ni pessimiste sur l’état de la planète: elle est volontaire pour agir.
De quoi êtes-vous la plus fière dans les réalisations du WWF France depuis quarante ans?
le WWF France est aujourd’hui dans le plus puissant réseau mondial de défense de l’environnement et a évolué pour passer de la défense des espèces à la problématique plus large de la disparition des milieux naturels. Depuis quelques années, nous essayons d’agir sur les causes de l’extinction des espèces tout en continuant à essayer de traiter les conséquences. Bien sûr, nous sommes toujours là pour dénoncer des choses mais aussi pour construire des solutions avec les acteurs d’aujourd’hui.
Sur qui comptez-vous pour vous aider?
Sur tout le monde! Le WWF mène des campagnes avec le grand public, on travaille aussi avec des entreprises qui entrent dans une modification de leur processus de production, nous sommes aussi en contact avec le gouvernement et les grandes institutions mondiales. Nous sommes là pour faire bouger tout le monde le plus vite possible et trouver un modèle de fonctionnement social et économique durable.
Quelle est votre campagne favorite parmi celles qui ont été menées durant ces quarante ans?
Le WWF France a été fondé autour d’une grande campagne contre un barrage qui devait se construire près de la source de la Loire. Un mouvement citoyen très fort pour préserver ce fleuve encore sauvage s’est créé dans les années 1980. Mais ce qui me semble le plus intéressant, c’est qu’on s’est aussi demandé comment vivre avec un fleuve, comment faire de l’hydroélectricité durable, comment gérer les inondations et les zones humides… Toute campagne ne mobilise que sur un sujet mais le plus important est d’amorcer d’autres problématiques.
Récemment, le WWF a mené des campagnes sur les pandas, les tigres, le braconnage... Vous ne souhaitez pas revenir à des sujets plus proches de la France?
Nous avons aussi des campagnes comme «Oui au bio dans ma cantine» qui était très franco-française et sur des espèces locales comme les ours, les loups… Evidemment, ça se remarque moins car seul le WWF France est présent sur ces sujets tandis que les grandes campagnes mondiales sont menées par tout le réseau.
Les nouvelles de la planète ne sont malgré tout pas très bonnes. Comment faites-vous pour garder l’espoir?
Ma phrase fétiche, c’est que l’optimisme et le pessimisme sont les deux faces de la démission. Il ne faut ni penser que tout va s’arranger par miracle ni se dire que tout est foutu, il faut agir en étant conscient de l’ampleur des difficultés. Les solutions sont devant nous et plus tôt nous irons les chercher, moins ce sera coûteux en argent et en souffrance pour les hommes car les problèmes environnementaux peuvent engendrer des dégâts voire aller jusqu’à la guerre.
Vous aimeriez que le monde ressemble à quoi dans quarante ans?
Il faudrait qu’on ait résolu notre dépendance au carbone et qu’on ait arrêté de considérer que l’homme est au-dessus de la nature alors qu’il en est partie prenante. J’aimerais par exemple voir comment dans nos villes et dans tous les actes de la vie quotidienne, on pourrait avoir un autre rapport avec la biodiversité et les milieux naturels. Il faudrait redonner aux gens le sentiment que la nature est partout, que l’on vit avec et que ce n’est pas un truc pour aller faire un tour en forêt le week-end.
A quoi devez-vous votre dernière indignation écologique?
A la position de la France dans les négociations européennes sur la pêche. En trente ans de politique commune, on a épuisé 70% des ressources de poissons de l’Europe. On pouvait espérer que la France ait une position courageuse pour restaurer les stocks or notre ministre Frédéric Cuvillier a eu une position extrêmement rétrograde. C’est plus qu’agaçant car les scientifiques confirment ce constat et la mauvaise gestion de la pêche se traduit par une dégradation des conditions de vie des pêcheurs et des consommateurs pour qui le poisson devient très cher.
Et votre dernière satisfaction écologique ?
Je reviens du congrès international du WWF qui réunit plus de cent pays présents. Nous avons fait un bilan de la campagne «Kill the trade» contre le braconnage. En six mois, plusieurs pays ont annoncé qu’ils allaient renforcer les sanctions et que le braconnage serait considéré comme un crime. Cette campagne a fait prendre conscience que ce n’était pas un problème marginal mais très important en termes de biodiversité et qu’il y avait de vraies mafias structurées auxquelles il faut répondre de manière organisée.
Quel cadeau pourrait-on faire au panda du WWF pour ses quarante ans?
Nous rejoindre, car on ne s’en sortira que si on se fédère. Avec le WWF et les autres organisations, il faut aller ensemble à la bataille.