Le contrôleur qui avait dénoncé les pratiques de la RATP licencié

RATP : Le contrôleur licencié pour avoir témoigné à la télévision

DROIT DU TRAVAILConvoqué en août dernier par sa direction pour avoir témoigné dans un reportage télévisé, Willy-Yvan Laude a été révoqué par la RATP, pour d’autres motifs qu’il conteste
Romarik Le Dourneuf

Romarik Le Dourneuf

L'essentiel

  • En août dernier, Willy-Yvan Laude était convoqué par sa direction pour un entretien préalable à un licenciement pour avoir témoigné des incitations à verbaliser de la RATP dans un reportage de la chaîne M6.
  • Le 19 septembre dernier, le contrôleur a reçu un courrier de révocation pour d’autres motifs qu’il conteste formellement.
  • Selon Willy-Yvan Laude, ces motifs ne sont que des excuses pour cacher les véritables raisons de son licenciement : son témoignage télévisé et la volonté de la RATP de se débarrasser des salariés sous l’ancien régime des statuts à quelques mois de l’ouverture à la concurrence des bus en Île-de-France.

«Je m’y attendais, mais ça fait quand même un choc », nous explique Willy-Yvan Laude, licencié après vingt-deux ans à la RATP. Le courrier de la direction de la régie des transports parisiens, que 20 Minutes a pu consulter, est daté du 19 septembre dernier et signé de la main de Patrice Lovisa, directeur du département réseau de surface, le « numéro 1 derrière Jean Castex » selon les salariés de l’entreprise.

Le cas de Willy avait déjà fait parler de lui en juillet dernier dans nos colonnes. Le contrôleur de la RATP avait été convoqué par sa direction après avoir dénoncé les pratiques de l’entreprise qui inciterait ses contrôleurs à verbaliser le plus possible les usagers dans un reportage de la chaîne M6.

Le témoignage télévisé disparaît des motifs de licenciement

Désormais, le verdict est tombé… sauf que les motifs de licenciement invoqués ont changé. En effet, dans la lettre qui lui a été adressée, aucune mention du reportage n’apparaît, à l’inverse de plusieurs autres griefs. Il lui est notamment reproché de « comportements inadaptés » ayant pour conséquence la « dégradation des conditions de travail » des membres de son équipe. Basés sur le rapport de dix de ses collègues, ces motifs vont d’insultes envers ses collègues pendant les réunions de briefing et dans son activité quotidienne, comme « salope de l’entreprise », « lèche-cul » ou « vendus ».

Des rapports de collègues qui tombent deux jours après la diffusion du reportage

Des insultes que le salarié ne nie pas mais tempère : « Déjà, je ne me serais jamais permis de dire ce genre de choses dans une réunion collective. Cela fait plus de vingt ans que je suis dans la régie, je sais que cela aurait été utilisé contre moi. » Pour le reste, Willy-Yvan explique que ce genre de mots peuvent sortir dans des conversations entre collègues, mais que lui ne les a jamais prononcés : « C’est de la déconnade entre collègues, quand il y en a un qui a dressé beaucoup de contraventions dans la journée, d’autres lui disent c’est un vendu qui suit les directives de la direction. Ce sont des blagues, on le sait très bien. »

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Selon Willy-Yvan, plusieurs de ces collègues ont subi des pressions de la part de la direction pour l’incriminer, sans pouvoir le prouver. « Deux jours après la diffusion du reportage de M6 où je dénonce les incitations à verbaliser, comme par hasard, dix collègues déposent un rapport à charge contre moi. » Le contrôleur avance que cette situation est provoquée par son témoignage télévisé mais aussi par sa réticence à vendre des pass Navigo pendant les JO de Paris 2024.

Comportement, refus de consignes… Plusieurs raisons invoquées… et contestées

Un motif cité dans son courrier de révocation. Pendant les Jeux olympiques, il avait été demandé aux contrôleurs de ne pas verbaliser « les usagers contrôlés en situation irrégulière », mais plutôt de les laisser repartir « avec un titre de transport valable » comme le confirme la lettre de la direction.

« Mais moi, ce n’est pas mon métier, ce n’est pas inscrit sur ma fiche de poste. Je suis contrôleur, pas guichetier, on ne demande pas à un chauffeur de bus de devenir mécanicien du jour au lendemain. » C’est notamment dans ce cadre que Willy-Yvan a, selon sa version, taquiné ses collègues qui « eux-mêmes étaient opposés à cette demande », mais qui ont préféré « se cacher et suivre sagement les ordres ».

Il est également reproché à Willy-Yvan d’avoir déclenché sa caméra-piéton sans prévenir ses collègues ni les usagers, une action que le contrôleur confirme mais en assurant avoir alerté les personnes autour : « C’était lors d’une situation dégradée, une interpellation houleuse d’un usager sans titre de transport et en état d’ébriété, ça chauffait et tout le monde criait, j’ai prévenu pour la caméra, mais, bien sûr, ils n’ont pas entendu. »

A ces reproches s’ajoute une mise à pied de deux mois en février 2023 après une altercation avec un usager lors d’un contrôle. Mais là encore Willy-Yvan s’explique : « Un usager ne présente pas de titre de transport. Dans ce genre de situation, la procédure veut que l’équipe de contrôleur accompagne l’usager hors de la rame pour le verbaliser et reste avec lui en cas de refus de donner une identité, comme c’était le cas, en attendant l’intervention de la police par exemple. Là, une collègue m’a dit, tant pis, les consignes maintenant c’est de laisser tomber et de continuer à verbaliser ceux qui le veulent bien. Je suis donc resté seul avec l’usager. Sauf que je l’ai sorti de la rame, il a trébuché et, en se relevant, il m’a jeté son téléphone au visage et m’a explosé la bouche. Par mauvais réflexe, je lui ai mis un coup de poing, ce qui l’a calmé, et moi avec. »

Il faut « couper des têtes »

Pour cela, Willy-Yvan a été sanctionné, ce qu’il a accepté, mais il dénonce une double sanction, il a été mis à pied et muté à un autre poste pendant deux mois. « Normalement, c’est l’un ou l’autre, là j’ai eu la double peine. »

Idem quand il lui est reproché d’avoir interféré lors de la verbalisation par une collègue d’un usager. « C’était une agente en observation, elle n’était pas validée ni assermentée pour verbaliser, d’autant qu’elle verbalisait pour une mauvaise raison l’usager. Je suis tuteur et formateur pour les jeunes sur le tramway et le bus, je me suis donc permis de la reprendre. Elle l’a très mal pris. »

Tous ces reproches qui justifient sa révocation, Willy-Yvan s’étonne de les voir avancés tous, des mois après les faits, dans des rapports qui « tombent tous le même jour ». Selon lui, il s’agit ici plutôt de « couper les têtes qui dépassent », celles qui s’opposent aux nouvelles directives et surtout qui rendent publiques « des choses que la direction préférerait garder sous silence », comme l’incitation à la verbalisation par les agents.

Le contrôleur ira aux Prud’hommes

« C’est mon témoignage à M6 qui est la raison principale, le reste, ça sort de nulle part. Si j’étais arrivé une fois en retard de cinq minutes, il l’aurait aussi utilisé », souffle-t-il. « Surtout, je suis sous le statut de l’ancien régime de la RATP, maintenant, ils ne signent que des CDD et ils essaient de foutre dehors les statutaires comme moi, à trois ans de la retraite », ajoute-t-il en rappelant que l’ouverture à la concurrence des transports dans la capitale presse la régie à « se débarrasser des statutaires ».

Une vision soutenue également par Ahmed Berrahal, délégué syndical à la CGT-RATP, qui soutient Willy-Yvan : « J’ai connu la même situation, il y a trois ans. Après avoir dénoncé un collègue pour agression sexuelle au sein de l’entreprise, la RATP a essayé de me faire révoquer pour “harcèlement” envers ce même collègue. Heureusement, le ministère du Travail a invalidé cette révocation après avoir vu les faits. »

Sa défense, Willy-Yvan ira l’exposer aux prud’hommes, le dossier est même déjà dans les mains de son avocat. Il pourrait y recevoir le soutien du député de Seine-Saint-Denis, Bastien Lachaud, qui a écrit le 16 septembre à l’administrateur Île-de-France Mobilités, pour dénoncer les pratiques de la RATP envers le contrôleur et dans sa gestion des salariés de manière plus globale.

Contactée par nos soins, la RATP s'en tient aux faits rapportés dans le courrier de révocation, à savoir « des manquements professionnels réitérés », « plusieurs comportements inadaptés ayant pour conséquence la dégradation des conditions de travail des membres de son équipe » et insiste sur le fait que « le motif relayé dans certains médias de la participation de M. Laude à l'émission de M6 n'est absolument pas pris en compte dans les motifs de sa révocation ».