Info « 20 Minutes »Le projet de « promenade plantée » dans le 11e à Paris attaqué en justice

Paris : Le projet de « promenade plantée » de Bastille à Stalingrad de nouveau attaqué en justice

Info « 20 Minutes »Les riverains et riveraines des quatre squares des boulevards Jules-Ferry et Richard-Lenoir à Paris craignent que le projet de promenade plantée qui doit faire tomber les grilles des parcs n’amène des nuisances et une perte de la biodiversité
Aude Lorriaux

Aude Lorriaux

L'essentiel

  • Les grilles nord et sud du square May-Picqueray à Paris doivent être abattues lundi 13 mai, première étape d’une promenade plantée qui doit relier Bastille à Stalingrad.
  • Mais les riverains et riveraines, réunis dans l’association Sauvons Jules et Richard, s’opposent au projet, préjudiciable selon eux notamment aux enfants qui ne pourront plus circuler aussi facilement et aux animaux, qui vont subir les travaux.
  • L’association France Nature Environnement, qui épaule le collectif, a déposé un référé pour empêcher la destruction des grilles.

Martine Cohen prend le soleil sur un banc, dans un petit parc qu’elle affectionne particulièrement. Cette sociologue retraitée a fait de ce petit bout de verdure en plein milieu de Paris un de ses combats, avec sa collègue Sylvie Bonnet, présidente de l’association « Sauvons Jules et Richard ». Car le lundi 13 mai, les grilles nord et sud du square May-Picqueray doivent être enlevées, préalable à la dépose de grilles de quatre squares dans Paris, pour y créer une « promenade plantée », un temps comparée aux « ramblas » de Barcelone. Mais pour Martine Cohen, supprimer les grilles c’est en quelque sorte tuer un jardin. Aussi son collectif, associé à France Nature Environnement (FNE), a déposé lundi un référé en justice, afin de suspendre les travaux.

Entre Bastille et Stalingrad, le canal serpente tantôt à découvert ou recouvert de squares. L’idée de la mairie avec ce projet de promenade plantée est, selon le dossier déposé à la direction régionale et interdépartementale de l’environnement, de l’aménagement et des transports (Drieat) – Île-de-France que nous avons pu consulter, de « favoriser les mobilités actives et de moderniser cet espace de détente et le rendre plus attractif », en y aménageant une vélorue, en végétalisant un peu plus l’espace, en remettant à neuf les jeux pour enfants et enfin, en favorisant les passages d’un bout à l’autre.

Mais, reproche l’avocat de FNE, le projet a été saucissonné selon lui pour éviter d’avoir à passer par une étude d’impact environnementale, et surtout, fait sans réelle concertation. « L’Union européenne interdit le fractionnement d’un projet. Et l’étude d’impact est indispensable pour les moineaux, gérer les espèces protégées, ou pour pouvoir dire si le public est attaché aux grilles… Ces procédures c’est pas juste du papier », tonne maître Cofflard.

« Le droit européen dit qu’il faut que les impacts environnementaux soient évalués à l’échelle du projet d’ensemble mais à aucun moment il n’est dit qu’il faut que les projets d’autorisation soient faits d’un seul coup. Car on ne peut pas financer tout d’un seul coup. Ce qu’on a fait respecte totalement le code de l’environnement », répond François Vauglin, le maire du 11e.

« Les oiseaux ne vont plus nicher »

Sur le fond, FNE Paris et « Sauvons Jules et Richard » jugent le projet problématique dans ses dimensions démocratique, sociale et environnementale. Sur ce dernier point, les associations estiment que la dépose des grilles risque d’affecter sérieusement la biodiversité. « Les grilles empêchent que les humains ou les animaux ne traversent les haies. Et si on enlève les grilles, les oiseaux ne vont plus nicher, la microfaune dans le sol va disparaître avec les piétinements… », s’inquiète Yves Contassot, coprésident de FNE Paris. « Il est paradoxal de voir la Mairie de Paris, éprise d’écologie, participer à la destruction annuelle de 23.500 kilomètres de haies dans notre pays, […] en sacrifiant celles, quarantenaires, des boulevards Jules-Ferry et Richard-Lenoir », s’est ému dans un blog le professeur Jean-François Bayart, membre de Sauvons Jules et Richard.

La mairie semble avoir bien identifié le risque, pointé dans son projet déposé à la Drieat, et elle assure avoir mis en place « un protocole spécifique de dépose ». Mais il paraît difficile d’en évaluer l’efficacité a priori. La mairie affirme aussi que sur le square Jules-Ferry, une « autre haie » sera plantée « juste à côté » et que « la surface des espaces verts augmentera de 70 % ». De quoi compenser les dommages que pourraient causer les travaux ? Surtout, précise le maire du 11e, « sur May-Picqueray, ce n’est pas à l’ordre du jour d’enlever les grilles latérales, le seul chantier qui est engagé aujourd’hui ce sont les grilles nord et sud et le projet sur le square Jules-Ferry. »

« Quand on est derrière des haies on est à l’abri du tumulte »

Avant même la perte de la biodiversité, les riverains et riveraines craignent surtout une perte de tranquillité. L’idée de ramblas ouvertes jour et nuit où défileraient les fêtards et fêtardes de Bastille et Stalingrad et de parcs ouverts qui abriteraient du deal la nuit n’enchante guère Sylvie Bonnet, présidente de Sauvons Jules et Richard, qui veut que « les squares restent des squares ». « Cela a des vertus d’être dans un endroit clos, quand on est derrière des haies on est à l’abri du tumulte. Un jardin qu’on peut fermer la nuit pour éviter les "mésusages" comme ils disent, ça fonctionne bien », abonde Philippe Khayat, de FNE Paris.

Et si la tranquillité semble être plutôt une préoccupation d’adultes, les enfants pourraient perdre là aussi un peu de liberté au passage, puisque, une fois les grilles retirées, les jeux qui étaient ouverts dans le square seront désormais clos, comme c’est l’obligation pour les jeux d’enfants. 20 Minutes a déjà pu constater le résultat mardi, puisqu’un petit toboggan a été entouré d’une grille. « Anne Hidalgo et François Vauglin encagent les enfants », dénonce Jean-François Bayart. « C’est l’abnégation même du droit des enfants à avoir des espaces pour jouer », complète Yves Contassot.

« Les enfants vont pouvoir continuer à jouer, mais il faut que ces espaces servent à tout le monde, et que les gens qui courent ou se promènent n’aient pas à faire tout le tour. En face le terre-plein est totalement ouvert, et il n’y a pas de problème de deal. Et quand on voit la grille qui doit faire 30 m de long, elle n’a pas de sens. Et sur les grilles du nord et du sud, il n’y a pas d’arbres ni de plantes, alors pourquoi parler de biodiversité ? » argue François Vauglin.

Un toboggan entouré de grillage, en prévision de l'enlèvement des grilles du square.
Un toboggan entouré de grillage, en prévision de l'enlèvement des grilles du square. - Aude Lorriaux / 20 Minutes

Pas de réelle concertation

Pourtant, déambuler entre les squares alignés le long de l’axe apparaît somme toute logique. Depuis la grille sud du square May-Picqueray, on aperçoit le bout du square Bréguet-Sabin. Mais pour passer de l’un à l’autre, il faut contourner, tant rien n’est pensé pour les relier. Pourquoi ne pas mettre au moins ici un portillon, qui invite à franchir l’espace ? « Mais justement, ils n’ont pas voulu d’un portillon ! », tonne Martine Cohen, qui affirme qu’elle aurait pu accepter sans problème l’ouverture côté sud et nord du square « s’il y avait eu une vraie négociation ».

Les opposants et opposantes au projet ne se sentent pas écoutés. « Deux réunions ont été organisées à la mairie du 11e par les adjoints Luc Lebon et Florent Hubert, l’une le 26 juin et l’autre le 28 [2023]. […] Aucune de ces deux réunions ne peut être considérée comme des réunions de concertation. Il s’agissait uniquement de réunions d’information sans que l’on puisse proposer une alternative », se plaint Sauvons Jules et Richard.

Par la suite, un questionnaire a été monté par le cabinet TraitClair en fin d’année 2023 mais il ne concernait « pas le projet en lui-même mais uniquement les usages souhaités des squares », dénonce l’association. Seules 600 personnes y ont répondu, alors que dans le même temps, plus de 6.000 personnes ont rejeté le projet de la mairie dans une pétition en ligne. « Ils ont essayé de nous enfumer, leur manière de concerter c’est une fabrique du consentement, ils ont fait une concertation sur les détails », tempête Sylvie Bonnet. « Tout se fait dans le mensonge et le camouflage », pointe Yves Contassot.

La mairie se défend en affirmant qu’elle a bien amendé son projet. « On a fait évoluer le projet, et on a proposé des travaux différents de ceux envisagés au début », précise François Vauglin, le maire du 11e.

« Transformer les jardins en rues »

Les squares Bréguet‐Sabin, Richard‐Lenoir, May‐Picqueray et Jules‐Ferry ne sont pas les seuls visés par ce démembrement des grilles. Sur la liste également, le square Jean-XXIII aux abords de Notre-Dame et le square de la Tour Saint-Jacques, tandis que le square Pasdeloup a déjà fini sa mue. Derrière cette transformation, il y aurait donc une philosophie plus générale d’ouverture des lieux clos, qui selon Sylvie Bonnet viserait davantage les touristes que la population.

Car l’idée d’ouverture peut sembler séduisante a priori, mais fonctionne-t-elle au quotidien ? Dans une tribune publiée sur le Journal du Grand Paris, une historienne, un architecte urbaniste et un critique architecture-ville-paysage expliquent que cette idée a par exemple déjà été tentée pour le square de la Tour Saint-Jacques en 1968, avant que les habitants et habitantes ne dénoncent « l’état lamentable » et la « saleté repoussante » du jardin. Celui-ci sera finalement… clos à nouveau, en 1997. Chiara Santini, Bernard Landau et Gwenaël Querrien résument cette philosophie par ces mots : « En voulant transformer tout l’espace de la rue en jardin, nos édiles risquent finalement de transformer les jardins en rues ! »

A cet aphorisme percutant, le maire du 11e répond avec son expérience d’élu : « On a eu le même débat interminable entre ceux qui voulaient des grilles et ceux qui n’en voulaient pas pour le square Truillot. Aujourd’hui quand je fais le test de m’asseoir dans ce jardin et d’observer les réactions des gens, j’ai en quelques minutes plein de gens qui viennent me dire merci. Je n’ai jamais ça dans un jardin clos. Ouvrir ces jardins c’est permettre une appropriation générale. On est dans un modèle d’espace public où chacun peut se l’approprier. »