Paris : « Des bombes à graines » pour faire germer le futur professionnel de jeunes décrocheurs
REPORTAGE•Alors que près de 5.600 jeunes décrochent chaque année à Paris du système scolaire sans emploi ni formation, le pari de l’Ecole de la transition écologique est de les préparer aux métiers qui sont de plus en plus indispensablesAude Lorriaux
L'essentiel
- A Paris, dans le quartier de l’ancienne université de La Sorbonne nouvelle, dans le 5e arrondissement, une Ecole de la transition écologique a pris ses quartiers à la rentrée.
- Le but : former des jeunes décrocheurs et décrocheuses ou sans emploi aux métiers de la transition écologique.
- Les formateurs et formatrices cherchent à « passer le message de l’écologie de manière ludique » mais aussi offrir de vraies opportunités d’emploi à des jeunes qui ne sont ni employés, ni en formation.
«Hop, on lance. » Dans la cour de l’ancienne université de La Sorbonne nouvelle, à Paris, des jeunes et des moins jeunes lancent des boules en terre sur le talus. Des « bombes à graines », formées de terre, d’argile et de graines, une technique issue de la guérilla jardinière dans les années 1970 à New York, explique la formatrice, Capucine Du Pouget. En face, quelques adolescents timides venus assister au cours de l’Ecole de la transition écologique, implantée depuis le mois de septembre dans ce tiers-lieu.
Le concept de cette école dont l’activité a commencé en 2021 : former des jeunes décrocheurs et décrocheuses ou sans emploi aux métiers de la transition écologique. Avec l’idée qu’il y a d’un côté 100.000 jeunes qui décrochent chaque année (5.600 rien qu’à Paris) et de l’autre côté entre 500.000 et 1 million d’emplois qui devraient être créés dans le domaine de la transition écologique d’ici 2050. « L’idée c’est de raccrocher les jeunes qui se sentent loin du sujet et s’en sentent écartés pour les rendre acteurs de ce changement de société et leur permettre de profiter des opportunités professionnelles qui en découlent. On va prioritairement vers des jeunes qui ont des difficultés d’insertion et on ne fait pas de formation qualifiante, c’est un sas de remobilisation, un tremplin », précise Marine Weller, coordinatrice de l’antenne parisienne de ce concept né à Toulouse.
« J’en avais marre du système et d’être assis »
Ce lundi, dans la salle de cours, autour des boulettes en terre, ce sont des jeunes de 16 à 18 ans sans emploi ni qualification pris en charge par l’AFPA, un organisme de formation professionnelle, dans le cadre du plan gouvernemental qui rend obligatoire la formation entre 16 et 18 ans. « J’étais en seconde et c’était soit je redoublais soit j’arrêtais. J’en avais marre du système et d’être assis. Rien que de prendre les transports et de bouger j’aime ça », nous explique Pierre*.
L’Ecole de la transition écologique, Etre de son acronyme, propose des modules pratiques de mise en situation pour découvrir l’agriculture urbaine ou encore l’écoconstruction. Des visites de professionnels sont organisées et les jeunes sont aussi amenés à la rencontre de ces nouveaux métiers, notamment pour les formations plus longues - celles de l’Etre vont d’une journée à 3 mois maximum. Les bénéficiaires sont issus des Missions locales, des Espaces dynamiques d’insertion ou encore de l’Ecole de la 2e chance.
« C’est une sacrée mission de les motiver »
Le leitmotiv de Capucine Du Pouget : « Passer le message de l’écologie mais de manière ludique. » Comme avec ce lancer de bombes à graines. Malgré l’enthousiasme et l’énergie de la formatrice, beaucoup de ces jeunes ne semblent pas du tout réceptifs. « L’écologie, ça me parle pas. C’est pas quelque chose auquel je fais attention, j’aime pas. Je me suis ennuyée », lâche Anissa*, 17 ans. Malgré l’urgence climatique, et le milliard de réfugiés prévus d’ici à 2050 selon l’ONU à cause des dérèglements environnementaux, sans compter la multiplication des famines et des guerres, tout ceci n’a que peu d’impact sur quasiment tous les jeunes présents ce jour.
« C’est une sacrée mission de les motiver mais ça n’est pas cause perdue, il faut se battre ! Et il faut essayer de les comprendre, explique Capucine Du Pouget, qui ne perd pas une once d’enthousiasme devant les mous désintéressés et apathiques de ses élèves. » La formatrice poursuit : « On a eu des jeunes de la protection judiciaire [des jeunes qui ont été condamnés à rester dans un centre éducatif fermé par le tribunal] qui sont venus une semaine, et je leur ai fait faire un atelier de création d’un compost. Au début ils me disaient : "Ah mais tu veux nous faire faire une poubelle" mais au bout d’une semaine, quand ils ont vu tous les habitants autour venir à l’inauguration, ils étaient très fiers du projet. »
Réparateurs de vélos, paysagistes, composteurs…
« On plante une graine on voit ce que ça donne plus tard… », complète Marine Weller, qui veut « accrocher » ces jeunes avec un atelier, et aussi leur montrer qu’ils peuvent facilement décrocher un emploi dans ces secteurs. Récemment, un tiers des jeunes d’une promo formée aux panneaux solaires a été embauché en alternance avec promesse d’embauche, rapporte la coordinatrice. D’autres pourront devenir réparateurs vélos, jardiniers paysagistes, maîtres composteurs, etc.
Ou décrocher une formation qualifiante. L’an dernier, 71 % des 35 jeunes accueillis en formation longue sont retournés vers la formation qualifiante au bout d’un an, presque tous et toutes - à une ou deux exception près, rapporte la responsable - dans la transition écologique. Ce sera peut-être le cas pour Pierre, qui sait ? Il repartira en tout cas avec un souvenir « sympa » en tête, selon ses mots : « Je connaissais pas les bombes à graine, je suis content de découvrir. »
* Le prénom a été modifié