RATP : Quels sont les chantiers qui attendent Jean Castex ?
MISSION•La candidature de l'ancien Premier ministre à la tête de la RATP a été validée la semaine dernière. Un conseil d'administration de la régie doit se tenir lundi pour avaliser sa nominationAude Lorriaux avec Guillaume Novello
L'essentiel
- Après avoir obtenu l'aval du Parlement, Jean Castex va bien prendre les rênes de la RATP. Plusieurs chantiers l'attendent en tant que président d'une entreprise pas au mieux de sa forme.
- En premier lieu, assainir la situation sociale alors que la RATP peine à recruter et qu'une grève massive en faveur des salaires a fortement perturbé la circulation des métros et des bus jeudi 10 novembre.
- Ensuite, l'ancien Premier ministre devra répondre aux demandes d'Ile-de-France Mobilités de rétablir l'offre de transports au niveau d'avant Covid-19 alors que se profile l'ouverture à la concurrence.
Alors que ce lundi doit se tenir, selon des sources concordantes, un conseil d’administration pour valider l’arrivée de Jean Castex à la tête de la RATP, 20 Minutes se penche sur les chantiers qui attendent le nouveau patron de l’opérateur de transports.
Remotiver les troupes, empêcher la fuite des employés
C’est désormais notoire, la RATP n’est pas en grande forme. Depuis des mois, elle a du mal à recruter et même à garder ses employés, qui fuient l’entreprise. A cela, plusieurs raisons, estime Grégoire de Lasteyrie, vice-président d’Ile-de-France Mobilités (IDFM), le donneur d’ordre de la RATP : « la régie a moins formé pendant le Covid-19 », et doit rattraper son retard. Par ailleurs, et alors que la crise sanitaire a aussi rebattu les cartes du point de vue sociétal, « certains métiers de service attirent moins », parce qu’il faut se lever parfois très tôt, travailler en heures décalées, parfois le week-end… Enfin, les conditions de travail des chauffeurs de bus ont été durcies en août, date à laquelle le temps de travail a été augmenté de 50 minutes par jour.
Jean Castex va devoir arrêter l’hémorragie. Comme le résume Fabien Guillaud-Bataille, conseiller de gauche à la région Ile-de-France et qui siège au conseil d’administration d’IDFM : « Monsieur Castex est envoyé à la barre d’un navire en pleine tempête et qui pourrait, si rien n’est fait rapidement, couler. Il faut qu’il constate l’état dans lequel on lui laisse le navire. La RATP a été mise sous pression par les objectifs de privatisation et de concurrence de la loi. Castex va retrouver ce bateau ivre. Il devra continuer à faire rouler des bus avec des gens qui savent qu’ils vont passer sur des contrats de droit privé. C’est ce qui explique pour une bonne part les abandons de poste et démissions. »
Pour empêcher la débâcle, les syndicats réclament des hausses de salaire. Trois cents euros net par mois, pour Solidaires RATP, et « retour aux conditions de travail d’avant août ». Que fera Jean Castex ? Va-t-il devenir le VRP de luxe de la RATP, et demander à l’Etat une rallonge ? Ou au contraire, sera-t-il l’homme chargé de faire passer au forceps les réformes ? La question inquiète les syndicats. « C’est lui qui a signé les décrets de l’été dernier qui ont détruit les conditions de travail des machinistes », fait remarquer Jean-Christophe Delprat, secrétaire fédéral Transports Logistique FO. Lors de son audition par le Sénat mardi, Jean Castex a assuré que les ressources humaines sont « le premier sujet qui est sur la table » et qu’il était prêt à avancer les négociations annuelles obligatoires.
Rétablir une offre de transport adaptée aux besoins des Franciliens
La question de l’offre des transports est directement liée à la question précédente : si on a du mal à recruter, difficile d’augmenter la cadence des bus et métros, surtout quand Valérie Pécresse vient de demander « le retour à 100 % de l’offre [d’avant Covid-19] le plus rapidement possible ». Or actuellement la situation est très difficile pour les usagers et usagères. Comme le résume David Belliard, élu EELV et adjoint à la maire de Paris chargé des transports, « on a des difficultés majeures pour répondre aux attentes des usagers avec des temps d’attente énormes ».
Pour rétablir une offre de transport adaptée, Jean Castex aura besoin aussi d’argent. Son principal financeur, IDFM, est dans une situation compliquée, depuis la crise du Covid-19 notamment, pendant laquelle les Franciliens et Franciliennes ont déserté les transports. « On est surendettés, explique Valérie Pécresse, sa présidente, à 20 Minutes. Il y a eu la crise en Ukraine, l’inflation, et j’avais bêtement électrifié tous les transports pour que ce soit plus écolo et je me prends le prix de l’électricité qui double. Je n’ai plus d’argent. Je me bats pour obtenir de nouvelles recettes. » Dans une telle situation, la présidente de la région Ile-de-France appréciera d’avoir à la tête de son opérateur principal une personnalité capable de l’aider à trouver des financements publics ou privés.
Et Jean Castex apparaît comme particulièrement bien placé. « Il a le poids nécessaire pour obtenir de Bercy des arbitrages nécessaires, et on sait que le financement c’est le nerf de la guerre », résume le sénateur Philippe Tabarot, qui était rapporteur lors de son audition au Sénat. « Nous attendons de lui qu’il use de son autorité face à Bercy, pour desserrer le carcan financier, et face aux exigences d’IDFM », ajoute Bertrand Hammache, secrétaire général de la CGT-RATP.
Gérer le chantier de l’ouverture à la concurrence
Enfin, troisième gros chantier qui attend le prochain président de la RATP, l’éléphant au milieu de la pièce, c’est l’ouverture à la concurrence. A gauche, nombreux sont celles et ceux qui souhaiteraient que Jean Castex revienne sur cette mise en concurrence, jugée responsable de tous les maux, ou au moins la mette en pause. « La RATP et IDFM ne sont pas prêts. Et ce n’est pas une obligation européenne », affirme Yohann Rispal, directeur de cabinet du groupe de la Gauche communiste écologiste et citoyenne au conseil régional. A droite, Grégoire de Lasteyrie estime que « la mise en concurrence a parfois bon dos » et qu’elle permet au contraire à la RATP « d’aller chercher des marchés en Ile-de-France sur lesquels sont Transdev ou Keolis. La RATP y trouve son compte aussi. »
Les spéculations vont bon train sur ce que Jean Castex pourrait faire. D’autant plus qu’avec sa délibération du 18 octobre dernier, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a rebattu les cartes. Elle indique en effet qu’il « apparaît nécessaire, dans le contexte de mise en œuvre de l’ouverture à la concurrence des transports publics en Île-de-France, d’encadrer les futures relations professionnelles de Monsieur Castex afin de prévenir tout risque de mise en cause de l’indépendance et de la neutralité de l’administration ». D’où l’impossibilité d’entrer en contact, jusqu’à expiration d’un délai de trois ans, avec des « membres du gouvernement en exercice qui l’étaient également lorsqu’il était Premier ministre », ainsi qu’avec « les services qui étaient placés sous son autorité directe. »
Bertrand Hammache, secrétaire général de la CGT-RATP, y voit, même s’il n’y croit pas trop, un éventuel report voire une annulation de l’ouverture à la concurrence car « dans ce cas, la question du conflit d’intérêts et des restrictions de la HATVP ne se pose plus ». Il s’interroge donc in fine : « Jean Castex vient-il à la tête de la RATP pour accélérer l’ouverture à la concurrence ou pour revenir sur celle-ci ? »
Pour démêler tous ces dossiers, Jean Castex part plutôt avec un bon a priori, y compris de certains de ses adversaires. « C’est une personne qui a un carnet d’adresses et une bonne connaissance de l’entreprise ferroviaire. Nous sommes prêts à travailler avec lui », affirme sans hésitation Yohann Rispal. « En tant que président de la RATP, je pense qu’il va devenir l’avocat des transports publics », estime Valérie Pécresse. Et même du côté de la CGT, on lâche: « Au moins on retrouve l’État à la tête de la RATP, issu du corps préfectoral et pas des grandes écoles de commerce. Après une mercenaire, on a un serviteur de l’État. »