TENSIONSA Paris, guerre larvée entre les collectifs de riverains autour du crack

Crack à Paris : Guerre larvée entre les collectifs de riverains

TENSIONSDe nombreux collectifs de riverains ont vu le jour à mesure que la problématique du crack se faisait plus prégnante en région parisienne, mais certains s’opposent sur les solutions à apporter
Guillaume Novello

Guillaume Novello

L'essentiel

  • 93 Anticrack, Villette Village, Tous unis contre le crack, Collectif 19, Union Parisienne… De nombreux collectifs de riverains ont vu le jour après l’installation des consommateurs de crack sur le site de Forceval en septembre 2021.
  • Rapidement, des oppositions sont apparues menant parfois à des tensions très vives, exacerbées par le pourrissement de la situation porte de La Villette.
  • L’évacuation de Forceval début octobre par la préfecture de police n’a pas apaisé les cœurs et les discours restent virulents alors que les collectifs se sont progressivement politisés.

L’évacuation du site de Forceval était la revendication qui les unissait tous. Mais, même avant que celle-ci soit réalisée par la préfecture le 5 octobre, les différents collectifs de riverains, dont plusieurs d’entre eux sont nés avec l’arrivée des consommateurs de crack porte de La Villette, affichaient leurs désaccords. Pour mieux comprendre ces brouilles, il faut remonter à la création de ces collectifs. Dominique Gamard, habitante de longue date du quartier des Quatre Chemins entre Pantin et Aubervilliers et une des animatrices de 93 Anticrack, replonge dans ses souvenirs :

« A l’origine, préexistait le collectif SOS Quatre Chemins qui se battait pour améliorer le quartier. Puis, le 24 septembre 2021, on apprend que le préfet Lallement installe les consommateurs de crack au square de Forceval. Dès le lendemain, on organise une réunion à laquelle assistent environ 150 personnes où on décide de faire une manif par semaine. Au même moment, de l’autre côté du périph', à La Villette, à peu près autant de personnes se réunissent autour de Stéphanie Benoist. On décide donc de s’unir et de fonder 93 Anticrack avec comme mot d’ordre Soignez-les/Protégez-nous. » »

Mais la lune de miel ne dure pas en raison d'« affrontements idéologiques », selon les mots de Dominique Gamard. Principal point de discorde : les salles de consommations à moindre risque (SCMR) ou couramment appelés « salles de shoot » et récemment renommées depuis un arrêté du 26 janvier 2022 Halte soins addiction (HSA), où les toxicomanes peuvent consommer en sécurité et sous la supervision de travailleurs sociaux. « On est ni pour ni contre », précise la militante de 93 Anticrack même si en fin de compte elle y est plutôt favorable. En tout cas, Stéphanie Benoist y est résolument opposée et décide donc de quitter 93 Anticrack avec ses sympathisants et de rejoindre un petit collectif baptisé Impairs de Corentin Cariou, créé à l’origine pour lutter contre des nuisances sonores. Cette fusion aboutit à la création de Villette Village, sans doute le collectif anti-HSA qui pèse le plus à Paris.

Pot de miel et Conseil d’Etat

« On ne veut pas de structures de type HSA, confirme une cadre du collectif qui préfère rester anonyme. Ce n’est pas par la consommation qu’on va sortir ces gens de l’addiction d’autant qu’il n’y a pas de produit de substitution au crack, contrairement à l’héroïne. » Autre critique à l’encontre des HSA, la circulaire du 13 juillet 2016 de politique pénale relative à l’ouverture des premières SCMR. Sujet à diverses interprétations, le texte indique qu'« aux abords de la structure réglementée, seules les personnes fréquentant les SCMR pourront bénéficier, non d’une extension d’immunité pénale, mais d’une politique pénale adaptée ». Or, « comment différencier les dealers des usagers de la salle », s’interroge la militante pour qui une HSA fera « effet pot de miel pour tous types de trafics ».

Villette Village a donc rejoint en avril un recours collectif devant le Conseil d’Etat contre l’arrêté instituant les HSA. Cette volonté de porter le combat sur le terrain judiciaire est d’ailleurs un point qui différencie ce collectif de ceux plutôt ouverts aux HSA. C’est notamment pour ça que Villette Village s’est constituée en association loi 1901 en mars 2022 quand 93 Anticrack demeure plus informel.

« Ce n’est pas dans un bistrot qu’on soigne un alcoolo »

Mais Villette Village n’est pas seul et d’autres collectifs se sont associés à cette démarche comme Villette 19 ou l’Union parisienne. « Nous existons depuis un an et demi et nous sommes une fédération d’associations de riverains, de commerçants, de tous les arrondissements et de tous bords politiques », précise bien Claire-Amélie. Sur la même ligne que Villette Village, elle refuse « la seule réduction des risques » et préconise « la création de structures appropriées, à la campagne, éloignées de Paris » à la place des HSA car « ce n’est pas dans un bistrot qu’on soigne un alcoolo ».



Et elle n’épargne pas les collectifs en faveur des HSA. « Ils sont peu nombreux, noyautés, assez politisés et ils copinent avec la mairie et les associations de réduction des risques, balance-t-elle. On les a sortis pour nous vendre les HSA mais les riverains qui subissent n’ont pas leur mot à dire. » Une censure qui ne se vérifie pas dans la sphère médiatique où par exemple Stéphanie Benoist est (très) sollicitée par les chaînes d’info en continu tandis que CNews fait ouvertement campagne contre les HSA. De même Villette Village et l’Union parisienne sont très actifs sur les réseaux sociaux où ils n’hésitent pas à attaquer leurs opposants avec virulence.

Insultes et intimidations

Evidemment de l’autre côté, c’est un autre son de cloche. Pour Charles Merlin, du collectif Mieux agir contre le crack, les HSA sont la solution pour mettre fin aux scènes ouvertes, de type Forceval. « C’est le début d’une chaîne d’accompagnement qui commence par l’accueil en HSA puis par le soin et la désintoxication, explique-t-il. On est convaincus, après avoir beaucoup lu et rencontrés pas mal de gens du secteur, que cette solution fonctionne, comme elle a fonctionné à l’étranger, et cela a été confirmé par un rapport de l’Inserm. »

Notre dossier sur le crack

Mais la question des HSA est bien trop brûlante et selon lui, il est « hyper difficile de discuter avec les collectifs opposés ». « On a tenté le dialogue mais il y a des tentatives d’intimidation et ils se coordonnent pour saboter les réunions. L’an dernier, il y avait une réunion publique rue de Tanger, et ça a failli tourner au pugilat. » En raison de son activisme, Charles Merlin a intégré le conseil d’administration d’une association de réduction des risques et « certains ont fait courir le bruit que j’étais un vendu et que je touchais des milliers d’euros, ce qui est faux ». « Villette Village, ce sont des coucous, tonne Dominique Gamard. Pour la grosse manif du 25 septembre, on a tout organisé en distribuant les flyers et le jour J, ils se sont pointés avec leurs pancartes pour répondre aux médias. »

D’anti-crack à anti-Hidalgo

Evidemment, les relations entre ces collectifs et les mairies varient du tout au tout. Outre la question des HSA, la politisation des collectifs joue aussi. A Paris et Pantin, où on est plutôt ouverts aux HSA, le dialogue est difficile (c’est un euphémisme) avec Villette Village ou l’UP. D’autant que cette dernière affiche sur son compte Twitter son soutien au mouvement #SaccageParis, peu amène avec la majorité municipale. Et en juin, Villette Village avait attaqué en justice la mairie de Paris et la préfecture de police pour leur gestion de Forceval. Ce qui ne facilite pas le dialogue. « On arrive à avoir des échanges même si ça ne mène à rien », reconnaît la cadre de Villette Village.



A la mairie de Paris, on reproche à ces opposants d’être dans l’invective mais de ne jamais chercher à rencontrer les élus, tout en propageant des « fake news » sur les réseaux sociaux. Et surtout d’être liée à l’opposition de droite. « Collectif 19 a versé dans le militantisme, il y a une haine tenace envers la mairie », constate-t-on à la mairie du 19e arrondissement. Ce collectif est notamment animé par Frédéric Francelle, au look détonnant avec longs cheveux et longue barbe, mais qui tient « un discours de facho » selon Dominique Gamard. De son côté, Villette Village dénonce l’absence d’Anne Hidalgo sur ce dossier « qui ne nous a jamais répondu ou proposé un rendez-vous ». Comme quoi, ce n’est pas que ses usagers que le crack rend agressifs.

Réunion entre amis

Un épisode a été symptomatique de cette impossibilité de dialoguer. Le 22 septembre dernier, Fédération Addiction (FA) organisait une soirée autour de la publication d’un rapport préconisant notamment la création d’au moins quatre HSA à Paris. Etaient invités Dominique Gamard et Charles Merlin mais pas de représentants de Villette Village ou de l’UP. « Nous sommes des acteurs du soin qui travaillons tous les jours avec les usagers de crack, se défendait alors Marie Ongün-Rombaldi, déléguée générale de FA. Nous n’avons pas vocation à nous concerter avec les riverains. » Un argument qui n’a pas convaincu Villette Village. « Ils sont dans un débat unilatéral où on ne discute qu’avec des riverains acquis à leur cause », dénonce la cadre de l’association. En protestation, UP avait appelé à s’inviter à la soirée qui devait se tenir à Aubervilliers. En réaction, FA a changé de lieu au dernier moment ce qui n’a pas empêché une dizaine de militants de se rendre au nouveau lieu et de tenter, en vain, d’y entrer.