REPORTAGEÀ Orly, la douane piste les têtes de «mules»

À Orly, la douane piste les têtes de «mules»

REPORTAGE20 Minutes a suivi la traque du trafic de cocaïne, en pleine explosion depuis janvier...
Les douaniers de l'aéroport d'Orly ont effectué plus de 120 prises de cocaïne depuis 
le début de l'année. Si certains passeurs ingurgitent des capsules, d'autres tentent de cacher la drogue dans leurs bagages, comme ici dans un faux coffret DVD Alain Delon.
Les douaniers de l'aéroport d'Orly ont effectué plus de 120 prises de cocaïne depuis le début de l'année. Si certains passeurs ingurgitent des capsules, d'autres tentent de cacher la drogue dans leurs bagages, comme ici dans un faux coffret DVD Alain Delon. - 
Alexandre Sulzer

Alexandre Sulzer

«Nous avons des signalements à bord de cet avion.» Le vol AF607 en provenance de Cayenne, en Guyane, vient de se poser sur le tarmac d'Orly-Ouest. En ce mois de septembre, six douaniers se déploient dans la salle des bagages. Les pièces d'identité de tous les passagers sont contrôlées. Objectif : ne pas laisser filer les quatre per­sonnes signalées, soupçonnées d'être des «mules». L'expression désigne ces individus - souvent en grande fragilité économique - qui incorporent des boudins de cocaïne pour les transporter à l'étranger. Ingérées ou insérées dans les parties intimes, les capsules sont dangereuses. Une brèche et c'est la mort par overdose pour le passeur, payé entre 1.000 et 5.000 euros par voyage.

Le phénomène, apparu au début des années 1980, est en pleine explosion à Orly. Comme l'ensemble du trafic de cocaïne. Depuis début 2009, 125 prises ont été effectuées par les services douaniers - 46 étaient des mules -, contre 103 pour toute l'année 2008 et 91 en 2007. Et la recrudescence s'intensifie: en août, 18 saisies ont été faites. Les quantités sont en revanche plus faibles. Un kilo en moyenne contre le double l'année dernière. «Les trafiquants fractionnent le passage, c'est de l'artisanat», commente Jean-François Dutheil, directeur régional des douanes d'Orly.


«On cherche des produits pour retarder le transit intestinal»

L'aéroport est en première ligne car il reçoit les vols des Caraïbes, «zone extrêmement sensible» pour la coke. Le Surinam et la Guyane en font partie. A l'origine du signalement des quatre pas­­sagers surinamiens du vol AF607, un parcours suspect. Ils arrivent à Paris, repartent le lendemain pour les Pays-Bas avant d'aller aux Philippines.

Leurs bagages sont fouillés. «On cherche des indices comme des produits pour retarder le transit intestinal», qui évite d'expulser la drogue trop rapidement, raconte Alain Fillion, directeur adjoint des douanes. Un interrogatoire, dans un anglais approximatif, commence. Deux suspects passent ensuite un test urinaire, les deux autres sont relâchés. «Nos effectifs ne sont pas suffisants pour les inspecter tous», regrette un douanier. Direction les toilettes, où les agents accompagnent les Surinamiens pour éviter que la «marchandise» soit évacuée discrètement. Résultat du test: négatif. «Je n'étais pas inquiète car je n'ai rien à me reprocher, témoigne Verita. Je ne sais pas pourquoi mais, à chaque fois, j'ai le droit à ce genre de tests.»


Le flagrant délit, une aubaine

Le temps presse pour les douaniers. Le vol SS925 en provenance de Fort-de-France, en Martinique, va se poser à Orly-Sud. D'autres hommes se positionnent pour des fouilles de bagages. Jeff, «vingt-cinq ans d'expérience», est intrigué par des coffrets DVD d'Alain Delon et de Police Academy dans le sac de Pierre, un Antillais de 18 ans. Les films ne semblent pas correspondre au profil culturel supposé du jeune homme. Jeff les passe aux rayons X, repère des formes suspectes. Pierre est emmené dans un bureau, ses affaires étalées sur une table. Les coffrets, sous cello­phane, sont ouverts. Dans deux d'entre eux, le plastique camoufle un creux dans lequel apparaissent, au gré des coups de cutter, deux gros sachets de cocaïne pure. 1,4 kg au total, soit 60 000 euros. «On saisit ta marchandise.»

Pierre est menotté, placé dans l'une des quatre cellules de rétention douanière d'Orly où il peut passer jusqu'à vingt-quatre heures sans avoir le droit d'appeler ses proches. Le parquet de Créteil est aussitôt prévenu ainsi que les policiers martiniquais. «A partir de maintenant, c'est une course contre le chrono, confie François Dutheil. Le flagrant délit permet beaucoup de choses, notamment les visites à domicile» chez le trafiquant et ses proches.

A côté, Denis, 21 ans, a été pris sur le même vol avec 132 grammes de cannabis cachés dans un bâton de cire de bougie, dissimulé dans son jean. «Le chien l'a marqué, raconte dans son ­jargon une douanière. Et ce n'était pas pour les fruits qu'il transportait!»

La prise est rare à Orly. Le cannabis n'est pas assez cher pour valoir le risque d'un transport aérien. Denis, sans antécédent judiciaire, a plutôt un profil de consommateur. Par téléphone, le par­quet lui propose une amende de 300 euros. Ce qui lui permet d'éviter des poursuites. Il accepte et ressort libre. Pierre, lui, est jugé en comparution ­immédiate quatre jours plus tard. Con­damné à dix-huit mois de prison ferme, il est incarcéré à Fleury-Mérogis.