Petite enfance : Les crèches en grève pour alerter sur leur mal-être
RENTREE SOCIALE•Une grève massive du personnel des crèches municipales est prévue ce mardiGuillaume Novello
L'essentiel
- La rentrée dans les crèches parisiennes est perturbée par un appel à la grève lancé pour mardi 30 août par la plupart des organisations syndicales.
- Elles réclament de meilleures conditions de travail, ce qui passe selon elles par des salaires plus élevés et surtout du personnel qualifié supplémentaire.
- Mais la mairie de Paris peine à recruter et derrière, ce sont les enfants qui trinquent.
Le SMS est parti mardi dernier. « Grève dans les crèches mardi 30 août. Risque d’accueil perturbé ». Le style est télégraphique mais l’essentiel est là. La rentrée des crèches municipales parisiennes s’annonce pour le moins compliquée. A l’origine du mouvement, le « manque de moyens qui nuit à la qualité de l’accueil collectif des enfants », indique le préavis de grève reconductible déposé par l’intersyndicale CGT-CFTC-UCP-FSU-FO.
« Il y a plusieurs centaines de berceaux non-ouverts en raison du manque d’auxiliaires de puériculture [AP], dénonce Naouel Alcaix, secrétaire générale de la CGT Petite enfance 75 et signataire du préavis. Nous avons fait le compte, fin 2021, il manquait 427 auxiliaires. Les postes sont budgétés, mais il n’y a personne pour les occuper, car ce n’est pas attractif et mal payé. » C’est pourquoi, malgré le récent passage des AP de la catégorie C à B, l’intersyndicale réclame également une hausse des salaires et l’obtention de la prime issue du Ségur de la santé.
Une prime directionnelle
Ce dernier point cristallise les tensions. Véronique Thoraillier, déléguée Unsa pour la Direction de la famille et de la petite enfance (DFPE) dont le syndicat n’appelle pas à la grève mais qui soutient les revendications, nous explique le micmac : « Avec la deuxième vague du Ségur, il était prévu que les auxiliaires de puériculture puissent toucher la prime. Or depuis le 1er avril, la mairie a créé une direction de la santé publique [DSP] où ont par exemple été transférées les AP des PMI tandis que les auxiliaires de crèche sont restées au sein de la DFPE. Et la municipalité a décidé de n’attribuer la prime qu’aux agents de la DSP car relevant du médico-social, alors que nous faisons le même métier. » Cette inégalité de traitement est d’autant plus fortement ressentie que la prime est importante rapportée aux salaires en cours, à savoir 183 euros mensuels quand Véronique Thoraillier indique toucher 2.100 euros net avec près de 40 ans d’ancienneté.
Outre les salaires peu élevés, cette grève traduit aussi un malaise au sein d’un métier « pas reconnu, pas valorisée », selon la représentante UNSA. Les crèches parisiennes sont prises dans un cercle vicieux où les conditions de travail dégradées par le manque de personnel alimentent les problèmes de recrutement. Si la CGT estime que les crèches sont victimes d’un choix politique puisque « Anne Hidalgo a le pognon, en tout cas pour les JO », nous indique Naouel Alcaix, l’Unsa est plus mesurée : « la municipalité nous entend et récemment pour la première fois, ils ont admis qu’ils avaient des difficultés pour recruter. »
Le risque d’un encadrement moins formé
Les personnels de crèches craignent en conséquence une détérioration du niveau d’encadrement des tout-petits. Selon la loi, dans une crèche, au minimum 40 % de l’effectif doit être diplômé. Dans les établissements parisiens, le taux est beaucoup plus élevé. Par exemple, dans une crèche accueillant une soixantaine d’enfants, il y a deux puéricultrices - une responsable et son adjointe –, deux éducatrices et douze AP, toutes étant considérées comme diplômées. Enfin il y a 3 agents en charge du linge, du ménage et des repas. Peuvent également être présentes des agents spécialisés ces crèches (ASC), titulaires d’un CAP petite enfance, dans l’optique de l’obtention du diplôme d’AP après une formation d’un an. Mais les syndicats craignent que, forte de son taux d’encadrement bien supérieur au seuil légal, la mairie, qui ne nous a pas répondu dans les temps, ait de plus en plus recours à ces ASC car ils coûtent moins cher et sont plus faciles à trouver que des AP.
Du côté des parents, l’inquiétude est partagée. A la crèche Cité Lepage, dans le 19e arrondissement, un groupe de parents avaient envoyé un courrier en mars dernier à la mairie du secteur et à la DFPE pour dénoncer « une situation impossible » du fait du non-remplacement des professionnelles absentes. « Les conditions de travail pour le moins compliquées et le manque de personnel apparaissent désormais aux parents de manière évidente », poursuit le courrier. « Il y a eu pas mal de réductions d’horaires alors même que la direction faisait tout pour essayer d’arranger tout le monde, commente Alexandrine, une des signataires de la lettre. Ça pose problème vis-à-vis de notre travail et certains d’entre nous ont dû faire appel à des baby-sitters pour venir chercheur leur enfant plus tôt. »
« Les six premières années, c’est primordial »
« Avec les horaires restreints, c’est l’organisation pour la famille qui est plus compliquée, abonde une jeune mère de famille. Je devais partir pile à l’heure, voire en avance, de mon travail pour être à l’heure pour mon fils et c’est assez inconfortable vis-à-vis de mon employeur. » Cette gestion en sous-effectifs a également des conséquences pour les enfants accueillis alors que « les six premières années, c’est primordial », juge Véronique Thoraillier, déléguée Unsa pour la Direction de la famille et de la petite enfance (DFPE). « Comme elles sont en effectifs réduits, les professionnelles, malgré leurs efforts, n’ont pas forcément le temps et les bras pour s’occuper des enfants. Et, par exemple, elles ont moins de temps pour les transmissions alors qu’on a envie de savoir comment la journée de notre enfant s’est déroulée », poursuit la jeune mère.
A la rentrée, des groupes de travail seront mis en place par la municipalité pour tenter de trouver une solution à cette situation problématique. Quant à Véronique Thoraillier, elle a envie d’être optimiste, pour défendre ce « métier formidable quand il est fait sereinement ».