INFO «20 MINUTES»« Cela mine la santé » : Néroli, vacataire depuis 10 ans

« Cela mine la santé » : Néroli, gardienne d’école à Paris… et vacataire depuis 10 ans

INFO «20 MINUTES»Néroli travaille depuis 10 ans comme vacataire pour la mairie de Paris, mais l’an dernier, son nombre d’heures a été brutalement réduit
Aude Lorriaux

Aude Lorriaux

L'essentiel

  • Néroli (son prénom a été changé) est vacataire depuis 10 ans pour la mairie de Paris et occupe les fonctions de gardienne d’école.
  • Depuis la rentrée 2021, on lui a adjoint un deuxième vacataire, et le binôme occupe le poste d’un fonctionnaire.
  • Le syndicat Supap-FSU dénonce l’utilisation de « faux vacataires », mais la mairie se défend en expliquant ne pas toujours trouver de candidat et annonce une réforme du concours des gardiens d’école, qui vise à déprécariser un maximum de vacataires de longue durée.

«Je suis Bip Bip, je cours tout le temps. Mais c’est un travail humain avant tout, j’aime travailler avec les enfants ». Néroli*, 53 ans, est gardienne d’école à Paris. Elle a, comme elle dit, les « clés du royaume ». C’est elle qui ouvre l’école à 7 heures du matin, qui ouvre les classes, qui ferme la porte aussi quand des parents arrivent vraiment trop en retard. « L’école c’est aussi une discipline ! », dit celle qui a « le nez et les oreilles partout ». Car c’est Néroli qui surveille les allées et venues dans l’école, qui réceptionne les livraisons, qui ouvre aux ouvriers et ouvrières quand il y en a, et aussi, qui nettoie le hall d’entrée et la fameuse loge, son petit domaine à elle.

Sa rencontre avec ce métier de cœur, comme elle le décrit, s’est faite en 2012, il y a dix ans déjà, lorsqu’une gardienne d’école l’a repérée, et a proposé de la remplacer. Depuis, elle est toujours la remplaçante. Car cela fait 10 ans que Néroli est vacataire. Et malgré son caractère visiblement optimiste et positif, cette situation lui pèse. « Il faut attendre qu’on nous place quelque part, ce n’est jamais sûr. C’est souvent à la dernière minute, on nous envoie un mail le 25 août pour le 1er septembre par exemple. Cela mine la santé », explique Néroli.

A cette incertitude dans l’organisation s’ajoute la précarité économique. Néroli ne sait jamais quel salaire elle aura à la fin du mois. Elle nous montre sa fiche de paie du mois de juin : 967 euros pour 104 heures. « Est-ce qu’on peut vivre à Paris avec cette somme ? », demande-t-elle.

Un binôme occupe un poste à temps plein

Contrairement aux gardiens et gardiennes titulaires, les vacataires ne sont pas logés. Et contrainte supplémentaire, que Néroli vit depuis septembre 2021, ils n’ont pas le droit de dépasser un certain nombre d’heures. « L’an dernier, ils m’ont arrêtée le 22 juin en me disant "vous avez trop travaillé" ! », raconte-t-elle. Pour cette année scolaire, et pour éviter qu’elle ne « travaille trop », on lui a adjoint un binôme. Néroli fait donc 7 heures-13h30 et son collègue 13h30-19 heures, sur toute l’année, hormis les vacances scolaires. Elle a donc brutalement beaucoup moins d’heures par mois que précédemment, comme 20 Minutes a pu le vérifier en consultant ses fiches de paie. Au total, entre juillet 2021 et juin 2022, Néroli a travaillé environ 1.240 heures, contre 1.610 heures durant la même période l’année précédente. Sa perte de salaire sur la période est de près de 2.500 euros.

Joint par 20 Minutes, l’adjoint aux ressources humaines de la ville de Paris, Antoine Guillou, s’explique : « On est dans cette absurdité perverse. Il existe un frein réglementaire qui interdit de recruter des fonctionnaires à temps non-complet. D’autres collectivités ont le droit de recruter des personnels à temps non-complet, nous, nous n’avons pas le droit. Et contrainte supplémentaire, depuis la loi du 6 août 2019, nous n’avons pas le droit de recruter des contractuels qui sont entre 50 et 100 % [de temps travaillé]. On ne peut donc pas contractualiser les agents qui font plus d’un mi-temps mais moins d’un temps complet. »

Problème de candidat ?

Mais pourquoi, alors dans le cas de Néroli, ne pas avoir employé un fonctionnaire ? « Il nous arrive qu’il n’y ait pas de candidat pour des postes de gardien. Nous avons un vivier de 2.000 agents spécialisés des écoles maternelles [Asem] et agents techniques des écoles [ATE] avec à l’intérieur des candidats au poste de gardien mais nous n’avons pas toujours l’adéquation entre la personne qui souhaite et le poste occupé. Dans ce cas, ils n’ont pas dû trouver une personne en capacité de faire le bout de temps qu’il restait », conjecture Eric Laurier.

Nicolas Léger, co-secrétaire du syndicat unitaire des personnels des administrations parisiennes (Supap-Fsu, qui représente moins de 10 % des agents et agentes), a une tout autre interprétation : « La précarité et la présence de "faux vacataires" sur des postes permanents [qui devraient être en contrat] augmentent en continu », nous dit-il. Le nombre de vacataires effectuant plus de 910h par an à la direction des affaires scolaires est passé de 1.240 en 2017 à 1.838 en 2022, avec une augmentation continue entre-temps. La direction des affaires scolaires compte aujourd’hui plus de 11.000 vacataires, essentiellement dans l’animation. Selon les chiffres fournis à 20 Minutes par cette même direction, 1.390 vacataires ont été mobilisés durant l’année scolaire 2020-2021 sur des postes de gardiens d’école, dont 350 ont effectué un temps de travail annuel supérieur ou égal à un mi-temps.

La direction des affaires scolaires de la mairie de Paris affirme que le nombre de vacataires gardiens d’école a augmenté de 9 % depuis 2014, à la fois pour assurer une présence lors de l’ouverture des écoles le samedi matin et aussi pour améliorer le sort des titulaires, qui étaient auparavant tenus d’être présents dans leur loge le soir, avec un planning horaire hebdomadaire de 70 heures. « Après on a eu le droit à deux soirées par semaine, et ensuite toutes nos soirées », raconte Béatrice, qui a été gardienne de 1988 à 2021. Désormais, des vacataires sont présents de 19 heures à 21 heures pour assurer les entrées et venues des personnes qui prennent des cours du soir à l’école. « Ça a amélioré le bien-être des gardiennes titulaires mais en contrepartie ça fait des petits boulots… », reconnaît Béatrice, ancienne déléguée syndicale. « On a une organisation qui rend inévitable le recours à des personnes qui font des bouts d’heure et le but c’est de trouver des gens que cela arrange », commente Eric Laurier, directeur adjoint des affaires scolaires de la mairie de Paris.

« On va faire sauter le verrou »

Néroli aurait certes pu passer le concours pour devenir titulaire, mais jusqu’à présent, ce concours obligeait les gardiens et gardiennes vacataires à devenir agent de nettoyage pendant au moins cinq ans, avant de pouvoir retrouver leur fonction de gardien. Le concours est en effet le même que celui des Asem et des ATE, qui procèdent à l’entretien des établissements ou à l’encadrement des enfants. « On ne peut pas donner à chacun le poste qu’il aurait souhaité. Ce n’est pas comme dans le privé où vous postulez sur un poste. C’est le principe de la polyvalence, très présent dans la fonction publique », justifie Antoine Guillou.

La direction des affaires scolaires nous assure pourtant que tout ceci va bientôt changer. « On va faire sauter le verrou, annonce Eric Laurier. Dans le cadre du plan de déprécarisation et en mesure dérogatoire, nous allons cibler les vacataires qui ont une certaine ancienneté et ils seront nommés directement comme gardiens ». Les vacataires ciblés seront contactés individuellement pour les accompagner et les encourager à passer le concours, annonce la mairie, lequel concours consistera en une simple épreuve sur dossier avec un entretien.

Déprécariser celles et ceux qui subissent les vacations

Des conditions qui réjouissent Néroli, qui n’était auparavant « pas à l’aise » avec l’idée de passer le concours. Pour Eric Laurier, Néroli est typiquement « le type d’agent visé par le plan de déprécarisation » de la mairie, qui espère sortir de la précarité 1.600 personnes sur la mandature. La première étape du plan a fixé un objectif de 50 gardiens et gardiennes d’école « déprécarisées ». Avec la volonté de résorber entièrement le nombre de vacataires « subis », pour que ne subsistent que celles et ceux que cela arrange, en somme, de ne travailler qu’un petit nombre d’heures.


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Car les vacataires qui sont bien contents de ne pas travailler plus, cela existe. Néroli le sait bien : sa propre fille est dans cette situation. « J’avais conscience que ce n’était pas un métier dans le long terme », nous indique Océane*, qui a commencé les vacations durant ses études, et les a continuées ensuite après la naissance de son fils, ponctuellement. « Cette liberté de choisir de travailler ou pas m’allait bien, sans être bloquée une année complète », nous dit-elle. Aujourd’hui, elle a décidé d’être maman à temps plein, et cela lui va aussi très bien.

*Le prénom a été changé