Magnanville ne veut pas se transformer en cité-prison

Yvelines : Magnanville ne veut pas se transformer en cité-prison

REPORTAGELe 30 septembre dernier, le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti a annoncé par communiqué le projet de construction d’une prison à Magnanville, mettant ainsi cette commune des Yvelines sur le pied de guerre
Guillaume Novello

Guillaume Novello

L'essentiel

  • Le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, a annoncé le 30 septembre 2021 par communiqué « la construction d’un centre pénitentiaire à Magnanville en Ile-de-France ».
  • Depuis la commune des Yvelines se mobilise pour que le projet n’aboutisse pas avec un rassemblement prévu ce dimanche à l’appel de l’association Tous mobilisés contre une prison à Magnanville.
  • Riverain du site étudié, Philippe assure que « du béton, on en a déjà plein » et craint de perdre « un petit coin de verdure où on peut encore se promener dans la nature ».

«Ici on est tous contre », clament François et Eric. Il est 14 heures et les deux hommes viennent de sortir du bar-brasserie Le Bon Accueil, juste en face de la mairie de Magnanville pour fumer une cigarette. Et ce qui met en émoi cette commune des Yvelines à 60 km au sud-ouest de Paris d’un peu plus de 6.000 habitants est l'annonce le 30 septembre dernier par le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti de « la construction d’un centre pénitentiaire ». Selon le communiqué de presse, il « contribuera à renforcer le maillage pénitentiaire en Ile-de-France » et « vise à répondre au besoin accru de places nettes dans une région particulièrement touchée par la surpopulation carcérale ». En l’état, une parcelle de 70 hectares, frontalière avec la commune de Soindres a été sélectionnée par les services de l’Etat. Sur celle-ci, deux sites sont à l’étude. Si le second est pour l’instant écarté pour des problèmes de compatibilité avec les règles urbanistiques, le premier site, situé à 150 mètres d’un quartier résidentiel et du lycée Sédar-Senghor, est toujours dans la course.

Et c’est ce qui fait bondir François, habitant de Soindres : « C’est inadmissible, vous imaginez les jeunes passer devant la prison pour aller au lycée ? » « Des gens qui ont fait construire un pavillon ici pour être au calme vont se retrouver avec une prison juste à côté ? », s’étrangle Eric, qui est de toutes les mobilisations et sera de celle de dimanche prochain à l’appel de l’association au nom explicite Tous mobilisés contre une prison à Magnanville (TMCP).

Une lettre à Macron

Vice-président de ce collectif, Patrick Magny, qui habite à quelques centaines de mètres de la parcelle choisie, a vu sa vie changer en septembre quand il a appris la nouvelle dans « un salon de coiffure ». Depuis il est derrière tous les rassemblements. Mais Patrick Magny ne souhaite pas que TMCP ne soit qu’en opposition frontale au projet. Il se veut aussi constructif. Et c’est pourquoi l’association a produit un manifeste de 175 pages pour « prouver que le terrain n’est pas adapté pour une prison, ni même pour un quelconque bâtiment » et proposer « 21 solutions alternatives entre Bonnières-sur-Seine et Versailles ». L’association s’est également fendue d’une lettre datée du 9 mai à l’adresse d’Emmanuel Macron.

Au premier plan, le site n°1, et au fond le lycée Sédar Senghor et le gymnase.
Au premier plan, le site n°1, et au fond le lycée Sédar Senghor et le gymnase. - G. Novello

Selon ce document, le terrain choisi est en « zone agricole préservée inconstructible », avec un risque important de ruissellement, précise Patrick Magny. De plus, « la parcelle produit des céréales bios qui sont transformées aux Moulins de Brasseuil », ajoute le vice-président, pour qui le centre pénitentiaire va en outre considérablement dégrader l’entrée de ville de sa commune. Pour l’instant, l’association compte un peu moins de 300 adhérents, « ce qui n’est pas assez » pour Patrick Magny, qui espère recruter davantage dimanche prochain lors du rassemblement devant le lycée Sédar-Senghor.

Les fourberies d’Eric Dupond-Moretti

Philippe est lui un adhérent de la première heure. Il a même « demandé une bâche contre la prison » pour l’installer sur l’auvent de son pavillon situé en bordure du site n°1. « Des prisons, il en faut, ce n’est pas le problème, mais pas juste en face de chez nous, du lycée, du gymnase où il n’y a que des enfants », dénonce celui qui habite ici avec sa famille depuis une douzaine d’années. Il craint de perdre « un petit coin de verdure où on peut encore se promener dans la nature ». « Du béton, on en a déjà plein », appuie-t-il. Il redoute également les éclairages nocturnes, les cris des détenus, les catapultes pour leur envoyer des colis…

Philippe, opposant de la première heure au projet de prison.
Philippe, opposant de la première heure au projet de prison. - G. Novello

Alors l’union sacrée face à ce projet de prison ? Pas tout à fait puisqu’il y a de la friture sur la ligne entre le maire et ses administrés. A l’origine de cette embrouille, le communiqué d’Eric Dupond-Moretti et cette phrase venimeuse : « Cet enjeu a été compris par le maire (DVG) et les élus de la commune de Magnanville dont le ministre salue le sens de l’intérêt général. » Il n’en fallait pas plus pour mettre le feu aux poudres. « Je me suis fait un peu avoir, concède Michel Lebouc. J’ai dit que j’étais pour la construction des prisons en tant qu’homme politique mais contre l’idée d’une prison à Magnanville en tant que maire. C’est un quiproquo qui a foutu le bordel ! » Depuis l’élu rame un peu pour prouver sa bonne foi même s’il « a remis les fils à la terre » comme il aime à le dire. Estimant que l’hypothèse du site 1 est « inacceptable », il met « toute son énergie contre le projet ».

La prison, une petite ville

« Cette maison d’arrêt, c’est une petite ville à l’échelle de Magnanville, juge l’élu local. Avec 700 détenus et presque autant de personnels, ça fait 1.400 personnes en plus sur le territoire de la commune, sans compter les visites. » Se pose alors la question de la circulation de la commune, qui n’est pas desservie par un échangeur autoroutier. Par ailleurs, « on nous promet 700 emplois, au début j’y croyais, mais après avoir discuté avec des maires de communes possédant une prison, j’ai compris qu’en fait il n’y aurait pas d’emploi local », dénonce Michel Lebouc.

Mais cette opposition farouche de la municipalité ne convainc qu’à moitié Patrick Magny : « On n’a aucun problème pour discuter avec lui mais il est un peu derrière l’association. » Il en veut pour preuve, le refus du maire d’autoriser le rassemblement de dimanche. « Je suis contre car ce n’est pas comme ça qu’on fait comprendre que je ne décide pas, explique l’édile. Le maire n’a aucun pouvoir face à l’Etat. L’association devrait manifester devant la sous-préfecture de Mantes-la-Jolie ! » « Sauf que ce n’est pas une manifestation mais un rassemblement d’information et que la prison est prévue ici à Magnanville », rétorque le militant associatif.

Pour montrer sa combativité, Michel Lebouc assure qu’il a obtenu que le « préfet demande à l’Agence publique pour l’immobilier de la justice [Apij] d’étudier une troisième hypothèse comprenant deux sites hors de Magnanville » et dont il attend le retour pour la fin juin, avant un éventuel débat public à la fin de l’année. Si le projet n’en est qu’à ses prémices, certains riverains ont déjà pris leurs résolutions, comme Fatima, voisine de Philippe et du site 1, qui assure « que si la prison se fait, je déménage ». « Ça fait dix ans que je suis là, c’est le cadre de vie qui nous a séduits, c’est la ville un peu à la campagne, au calme, avec la vue sur les champs. » Avec la prison, son pavillon se trouverait à 150 mètres de murs de 6 mètres de haut. « Je n’envisage pas du tout », soupire-t-elle.