Transilien SNCF : La commune de Lardy veut faire dérailler la fermeture du guichet de sa gare
REPORTAGE•Transilien SNCF est engagé dans un vaste projet de réorganisation de ses lignes qui devrait se traduire par la fermeture de 133 guichets en Ile-de-FranceGuillaume Novello
L'essentiel
- La commune de Lardy se mobilise pour éviter la fermeture du guichet de sa gare située sur la ligne C du RER, dans le cadre d’une réorganisation du réseau Transilien.
- Selon Transilien SNCF, ce projet, déjà engagé, doit permettre de « répondre à l’évolution des habitudes des usagers », notamment l’usage de plus en plus fréquent des outils numériques.
- Pour la maire de Lardy, cette fermeture traduit aussi un « désengagement total de l’Etat sur les services de proximité ».
«Plus de services publics », le slogan de la campagne de Fabien Roussel (PCF) qui fixe depuis son affiche le voyageur descendant du RER C à la gare de Lardy résonne étrangement avec l’actualité locale. Cela fait quelques semaines que la petite commune de l’Essonne se mobilise pour mettre en échec le projet de Transilien SNCF de fermer le guichet de la gare, dans le cadre de son plan de réorganisation des lignes franciliennes.
Lancée le 26 janvier dernier par Rémi Lavenant, conseiller municipal d’opposition, une pétition en ligne a déjà recueilli près de 23.000 signatures quand on sait que Lardy totalise 5.500 habitants. « Jamais je n’aurais imaginé un tel succès », commente le jeune homme, par ailleurs, président de la Vignette du respect, une association d’usagers de transports en commun. La pétition, en version papier, est d’ailleurs en bonne place à l’accueil de la mairie, signe d’une mobilisation générale. « Je suis outrée par tout ce qu’il se passe, s’insurge la maire Dominique Bougraud. C’est décidé par des technocrates qui n’ont aucune connaissance du terrain. »
Transilien mise sur le numérique
Le projet ne concerne pas que la ligne C, mais l’ensemble des lignes opérées par Transilien et vise à proposer « une nouvelle offre de services en gare pour répondre à l’évolution des habitudes des usagers », indique l’entité de la SNCF. Pour mener à bien sa réforme, elle s’appuie sur « le développement du digital et la dématérialisation des titres de transport », précisant que « 98 % de [ses] voyageurs déclarent être connectés », selon une étude BVA de 2021. En clair, comme les usagers achètent de plus en plus leurs billets en ligne ou aux automates et de moins en moins aux guichets, ceux-ci perdent de leur intérêt.
« Dans certaines gares identifiées, les agents [sont] souvent isolés et inoccupés en heures creuses », explique Transilien citant l’exemple d’une gare de la « ligne J avec […] 82 ventes au guichet en juin 2021, soit deux à trois ventes par jour ». Les agents dont les guichets seront fermés ou dont les horaires seront réduits seront donc redéployés dans des équipes mobiles prêtes à « venir au contact des usagers ». Par ailleurs, assure Transilien, « un voyageur peut solliciter un téléconseiller en moins d’une minute via le numéro de téléphone de relation client ou les bornes bleue et rouge d’appel d’urgence et d’information ». Evidemment, cette réorganisation qui a débuté il y a plusieurs mois, notamment avec les lignes L et J, se fera « en concertation avec les usagers et syndicats » et doit se prolonger jusqu’en 2023.
« C’est scandaleux », tonne la pharmacienne
Du côté de Lardy, c’est une tout autre musique que l’on entend. « Il n’y a eu aucune concertation contrairement à ce qu’affirme la SNCF », assure Dominique Bougraud qui a découvert le projet via « la presse et les réseaux sociaux ». « On a quand même sur nos territoires une précarité numérique, affirme-t-elle. Il y a des gens qui n’ont pas les moyens de se payer un ordinateur et d’autres qui ne sont pas à l’aise avec le numérique. Je pense à nos aînés, aux personnes handicapées, toutes ces personnes-là, on les exclut du dispositif. »
Et c’est peu dire que les habitants sont au diapason de leur maire. « C’est scandaleux, tonne Sibylle, qui tient depuis treize ans la pharmacie avec son mari. Dans les petits villages comme ici, les personnes âgées ne savent pas manipuler les automates. Et puis c’est toujours utile un guichet. » Par exemple, « pour fournir un billet de retard aux jeunes qui vont au lycée », précise Damien qui travaille à la boucherie locale. Son patron, Maxime, assure « que tout le monde ici est contre ». Et il y va de son anecdote : « Le week-end dernier, je vais à Paris mais impossible d’acheter un billet à l’automate qui ne fonctionnait pas. Je prends donc le train sans billet et je tombe sur un contrôleur qui n’a rien voulu savoir et j’ai pris 100 balles d’amende. » Dominique Bougraud l’assure, « une fois sur deux, les machines sont en panne, vous faites quoi après ? »
Embauches vs « plan social caché »
En tout cas, vous ne pourrez plus vous adresser au guichet de la gare qui baissera rideau en juillet prochain, indique la salariée qui occupe le poste depuis plusieurs années et qui est en phase de mobilité interne. « En tout, la fermeture de 133 guichets entraînera 338 suppressions de postes, calcule Fabien Villedieu, conducteur de train et représentant SUD-Rail au conseil d’administration de la SNCF. Comme il faut environ 1,5 agent par poste, ça fait environ 500 temps pleins qui sont supprimés. » Mais comme les agents sont sous statut, il n’y aura pas de licenciements. C’est d’ailleurs ce qu’indique Transilien qui « dément formellement les suppressions d’emplois. Au contraire, Transilien va recruter en 2022 150 agents gare. »
Mais pour le syndiqué SUD, c’est au contraire un « plan social caché ». « Une grosse partie des agents concernés vont démissionner car le reclassement peut se faire loin de son ancien poste ou à d’autres horaires, ce qui explique pourquoi Transilien dit qu’il va embaucher », estime-t-il. Cette réorganisation va également réduire les horaires de certains guichets en les fermant en soirée, comme cela sera le cas à la gare de Bouray également sur la commune de Lardy. Or le salaire des cheminots comprend le traitement de base et des primes d’horaires décalés. Avec leur suppression, « c’est une perte de 200 à 300 euros sur un salaire d’entrée de 1.700 – 1.800 euros », juge Fabien Villedieu, qui y voit un autre élément poussant à la démission. « Tant que la réorganisation n’est pas totalement passée, on se bat », promet-il.
« Un guichet de plus, un guichet de trop »
« On va continuer à se battre », répond en écho Dominique Bougraud pour qui cette fermeture traduit un « désengagement total de l’Etat sur les services de proximité ». C’est « un guichet de plus, un guichet de trop », résume Rémi Lavenant qui cite La Poste qui menaçait de fermer son guichet de Lardy il y a quelques années. Mais surtout, il suspecte la SNCF de provoquer elle-même une désaffection des guichets. « Vous avez moins de personnel donc la gare est de moins en moins ouverte et moins les gens sont invités à utiliser le service, analyse l’élu. Il y a quelques mois, ils ont interrompu la vente de billets grandes lignes. Or plus vous réduisez le service en gare, moins vous avez d’usagers qui l’empruntent. Et le Covid-19 a bon dos, il a permis de justifier une réduction au nom de la numérisation à marche forcée, du changement des pratiques des usagers, mais qui n’est pas uniforme. »
Qui plus est, les élus locaux ont l’impression de marcher sur la tête. « On dit à tout le monde de prendre les transports en commun et dans le même temps, on supprime des services publics sur les transports en commun », se désole Dominique Bougraud. « En même temps que la SNCF vous vend son opération 1.001 gares, on ferme des gares à marche forcée », dénonce Rémi Lavenant. Et la maire de citer la récente rénovation de la gare de Bouray financée par la commune, Ile-de-France Mobilité et la SNCF pour 3 millions d’euros, alors même que les horaires d’ouverture du guichet vont être réduits. Pour le conseiller d’opposition, de manière générale, la Grande couronne est « l’oubliée des politiques d’aménagement du territoire » et « ces décisions qui dégradent la vie des gens leur donnent le sentiment d’être des citoyens de seconde zone ».