La Clef, dernier cinéma associatif de Paris, et ses squatteurs cinéphiles sous la menace d’une expulsion
MOBILISATION•Les occupants du dernier cinéma associatif de Paris font pression pour le maintenir ouvertLéa Ménard
L'essentiel
- Occupé depuis septembre 2019, le cinéma associatif La Clef est menacé par une expulsion « par la contrainte » dans un courrier de la préfecture de Paris.
- Les locaux situés dans le 5e arrondissement de Paris ont été investis initialement par les membres de l’association Home Cinema, puis les membres de l'association La Clef Revival qui défendent un « modèle d’autogestion » associé à une programmation indépendante.
- Cette action ne fait pas les affaires du groupe SOS qui souhaite racheter et investir le bâtiment. « Un crève-cœur » pour Albane et les autres occupants qui se relaient pour pouvoir organiser des projections tous les jours.
EDIT: L'association Home Cinéma nous a fait savoir par mail que «depuis le 11 octobre 2021 et la scission du collectif occupant le Cinéma La Clef, l’association Home Cinéma a quitté l’occupation qu’elle avait initiée deux ans plus tôt, en septembre 2019. Fin octobre 2021, les occupants qui ont souhaité se maintenir dans le cinéma et les nouveaux arrivants se sont constitués en association La Clef Revival, utilisant alors le nom qui était donné au cinéma occupé».
C’est derrière une devanture désuète, au 34, rue Daubenton, dans le 5ᵉ arrondissement de Paris, que se trouve La Clef. Si en avril 2018, l’ancien cinéma a officiellement fermé ses portes, depuis fin septembre 2019, la salle d’art et d’essai est occupée par des squatteurs cinéphiles. Bilan après plus de deux ans : pas loin de 15.000 spectateurs uniques ont assisté à – au moins – l’une des plus de 500 projections à prix libre, organisées dans cet espace investi illégalement. Des films qu’on ne verrait nulle part ailleurs, explique le collectif présent sur place.
Ce cinéma s’est rapidement transformé en un lieu de culture devenu symbole d’une certaine résistance populaire au sein du Quartier latin. Tous les soirs, un noyau dur d’une trentaine de personnes organise la diffusion de films « rares, de tous genres », qu’ils soient autoproduits, ou non, et quel que soit leur format. Pourtant, les locaux appartiennent au comité social économique (CSE) de la Caisse d’Epargne Ile-de-France, dirigée par la CFE-CGC qui souhaite vendre l’ancien cinéma labellisé art et essai. Pour le collectif, la cession des murs « signerait la mort de ce cinéma historique, et l’arrêt de deux ans et demi d’une occupation inédite, créative et solidaire ».
Expulsable à tout moment
Rien n’était pourtant écrit. « Au tout début, je ne pensais pas que l’occupation allait durer plus d’un mois. Je n’imaginais pas du tout qu’une telle initiative puisse perdurer dans le centre de Paris. On a pu démontrer que c’était possible auprès de tous nos soutiens, se satisfait Eol, l’un des occupants de la première heure. On a d’ailleurs un gros gros soutien des riverains. »
Le groupe SOS, chantre de l’économie sociale et solidaire, a signé un accord de rachat en février 2021. L’association se défend de toute spéculation immobilière ou volonté de transformer La Clef en lieu de profit. Dans un communiqué, elle précise qu’elle « souhaite sauver ce cinéma, et en faire un cinéma associatif, le jour où il sera possible d’y accéder ». Pas de quoi rassurer le collectif rassemblé initialement sous l’association Home Cinema, de septembre 2019 à octobre 2021, ensuite c'est l'association La Clef Revival qui a pris le relais. Ni leur demande de préemption par la Ville de Paris, ni leur appel à créer un fonds de dotations pour les aider à gérer le lieu, n’ont été entendues.
Depuis deux semaines, la mobilisation s’est intensifiée face à la nouvelle crainte d’une expulsion manu militari par la préfecture de police. « On a peur, mais on y croit », confie Albane, devenue une membre active, après avoir été longtemps simple spectatrice. « C’est un crève-cœur de voir qu’ils veulent nous mettre dehors. » Selon le dernier avis d’expulsion reçu, ils avaient jusqu'au 31 janvier pour quitter les lieux « de leur plein gré ».
« Un modèle d’autogestion »
Ce lundi, en début de soirée, micro en main, plusieurs membres s’expriment à tour de rôle. « Si on m’avait dit que j’allais envoyer un mail à Audiard… », s’amuse Dimitri au détour d’une prise de parole. Le jeune bénévole se félicite que plusieurs personnalités s’engagent à leur côté. Parmi les signataires d’une tribune médiatisée par Libération figurent notamment : Jacques Audiard, David Dufresne, Claire Simon, Agnès b., Vincent Macaigne, Denis Lavant, ou encore Agnès Jaoui. Cette dernière était d’ailleurs présente à La Clef il y a quelques jours.
« Ce lieu est bien la preuve qu’un modèle d’autogestion et différent est possible », poursuit Dimitri quelques minutes plus tard. D’après lui, il s’agit « une quête qui a du sens et qui va bien au-delà d’un petit cinéma du 5e ». Une phrase très vite accompagnée d’applaudissements dans le hall et à l’extérieur du cinéma, bondé. « Ce n’est pas juste des gens qui s’amusent », abonde également Eol, qui outre son engagement mitant, travaille dans le milieu du cinéma.
Dans les fauteuils rouges ce soir-là, il n’y a pas que des habitués. Oscar, 28 ans et Maxime, 30 ans sont présents sur suggestion de leur colocataire, investi à La Clef. « Je voulais me rendre compte de ce que cet endroit représente, car au-delà d’une projection, ce sont des idéaux qui se jouent là. C’est très important. Je pense qu’on manque de lieux de culture », résume Oscar. Un constat peu ou prou partagé par Moretta et Violette, la vingtaine et toutes deux étudiantes aux Arts décoratifs. Motivées par la présence de Leos Carax, c’est la première fois qu’elles se rendaient à La Clef, mais elles comptent revenir. « C’est un enjeu énorme en fait si ça s’arrête », explique Moretta.
Défiance envers « les méchants capitalistes »
Des esclandres qui ne plaisent pas à tout le monde. Interrogé par 20 Minutes, Nicolas Froissard, codirigeant et porte-parole du groupe SOS juge « irrationnelle » la position du collectif. Pourtant, il laisse la porte ouverte : « Celles et ceux qui auront envie de continuer de travailler avec la Clef, si on en devient propriétaires demain, pourront évidemment le faire. Ils seront les bienvenues. »
Pour autant, il s’agace de la défiance non feinte par les occupants et leurs soutiens. « Il n’y a qu’à voir sur les réseaux sociaux. On est le diable, on est les méchants capitalistes – alors que nous sommes associatifs –, on est une succursale d’ En Marche… » Jean-Marc Borello, président et fondateur du Groupe SOS, est effectivement engagé aux côtés du parti présidentiel, néanmoins Nicolas Froissard précise que ce n’est un secret pour personne et que cela ne concerne pas l’association.
Seulement, les occupants, soutenus par les spectateurs et plusieurs élus locaux (communistes, écologistes et PS), ne sont visiblement pas près de rendre les clés du cinéma. Ce lundi, plusieurs centaines de personnes étaient rassemblées devant ses portes. Les deux salles de projection n’ont pas pu satisfaire tout le monde.
Le réalisateur Leos Carax était présent ce soir-là à l’occasion de la diffusion d’Une chambre en ville de Jacques Demy. Ce mardi matin, c’est Rosalie Varda qui reprenait le flambeau avec une seconde projection du même film, cette fois-ci organisée dès 6 heures. Projecteurs allumés ou non, à n’importe quelle heure la menace d’une expulsion demeure dans les esprits des squatteurs amoureux du 7e art.