REPORTAGEComment la RATP enregistre les voix qui vous montrent la voie

Comment la RATP enregistre les voix qui vous montrent la voie

REPORTAGEC’est dans un studio du 17e arrondissement que sont enregistrées les voix les plus connues d’Ile-de-France
Guillaume Novello

Guillaume Novello

L'essentiel

  • Environ une fois par mois, des agents de la RATP passent en studio pour enregistrer les voix du réseau métro, tram, bus.
  • L’identité sonore de la RATP a aussi une fonction d’information du voyageur, au-delà de la simple annonce.
  • Pour Jean-Baptiste, voix depuis 2005, « c’est la plus belle expérience de sa carrière ».

«Chers voyageurs, veuillez noter que le week-end du 29 et 30 janvier, le trafic est interrompu pour travaux entre Aulnay-sous-Bois et Charles-de-Gaulle. » « C’est nickel, mais je pense que tu devrais ajouter RER B, ça aiderait les voyageurs ! » Sophie, cheveux mauves et vêtue de noir, répète alors l’annonce au micro de la petite cabine sous l’œil approbateur d’Adrien, assis de l’autre côté de la vitre, devant la console d’enregistrement. Même si l’ambiance est détendue dans ce studio sombre aux lumières tamisées, l’enregistrement des voix du réseau RATP est très professionnel. A une exception, Sophie, dans la vraie vie, s’occupe de la réglementation des stations à la RATP.

C’est Song Phanekam, le responsable de l’identité sonore et visuelle du groupe, qui est à l’origine de cette initiative. « Au milieu des années 2000, on a commencé à sonoriser les lignes de bus avec des voix de synthèse, raconte-t-il. Puis il a fallu le généraliser sur toutes lignes mais on s’est rendu compte que ça n’allait pas. Certes, c’est pratique à gérer, mais ça manquait de clarté et de chaleur. » Song Phanekam regarde alors ce qui se fait dans les autres réseaux comme à Berlin, Londres, New York, et constate que ceux-ci font appel à des voix humaines. A la SNCF par exemple, c’est la comédienne Simone Hérault qui incarne depuis des années la voix du train.

Casting à l’aveugle façon « The Voice »

Mais pour construire son identité sonore, la RATP veut apporter un petit plus. « A l’époque, c’était la grande mode des télécrochets, La Nouvelle Star, Popstar, Star Academy, on s’est dit que la solution était là, poursuit Song Phanekam. On a sûrement parmi nos 50.000 agents des talents cachés et on va faire appel à eux en organisant des castings avec sélection à l’aveugle. » Le premier en 2005 attire 500 candidats pour 12 retenus. Sophie, elle, s’est inscrite, poussée par un ami, à celui de 2014. « Ça faisait un peu The Voice, j’ai été retenue au premier tour, puis au deuxième tour, et je suis maintenant une des vingt voix de la RATP. »

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A cet instant, Sophie égrène les noms des arrêts d’une ligne de bus. Une difficulté réside dans la prononciation de certaines stations. « Sur les noms de personnalités méconnues ou à consonance étrangère, on ne sait pas toujours comment les prononcer, explique Song Phanekam. Dans ces cas de doutes, on enregistre plusieurs versions puis on contacte l’Académie française qui nous précise la prononciation exacte de tel nom. »

Jean-Baptiste vient de remplacer Sophie dans la cabine. C’est une des voix historiques de la RATP puisque cet agent d’exploitation officie depuis le casting de 2005. « En tant qu’agent, je faisais déjà des annonces dans le micro, alors je me suis dit pourquoi pas », se remémore-t-il. Le démarrage est un peu laborieux en raison d’un « chat dans la gorge ». « Vocalise et bois un verre d’eau », lui conseille Adrien. Ceci fait, Jean-Baptiste retrouve son rythme de croisière. « On est bons, on passe aux travaux de Port-Royal. »

Un métro, une voix

La présence de voix masculines était une demande de Song Phanekam pour plus de mixité. Mais elles ont aussi leur utilité pour les voyageurs. « Sur les quais du métro, on annonce le temps avant l’arrivée du prochain train, détaille le responsable. Or il peut y avoir des arrivées simultanées avec des annonces qui se déclenchent en même temps. La solution a été d’affecter une voix féminine d’un côté et une voix masculine de l’autre pour éviter la confusion. »

Song Phanekam (à droite) est le responsable identité sonore et visuelle de la RATP.
Song Phanekam (à droite) est le responsable identité sonore et visuelle de la RATP. - G. Novello

La signalisation sonore participe en effet grandement à l’information voyageur. Par exemple, à chaque ligne de métro est associée une voix différente, ce qui rend son identification plus facile, notamment pour les personnes malvoyantes. De même, dans le métro, « on entend le nom des stations sur deux intonations, la première montante et la seconde descendante, relève Song Phanekam. Cela nous évite d’utiliser des jingles, car sur un trajet long avec de nombreux arrêts ça peut devenir agaçant, et ces deux temps, ça permet de dire "je suis en train d’arriver" et "j’arrive". En quelque sorte, ça conditionne le voyageur qui se prépare à descendre et éveille l’attention parce que le ton montant appelle une suite. » Et si vous ne l’avez pas remarqué, le fameux « Attention à la marche, en descendant du train » est un alexandrin avec deux hémistiches, c’est pourquoi on le retient si facilement.

Un Italo-Américain pour la traduction

Sur le large canapé noir, Paul se prépare à passer en cabine. Il a relu plusieurs fois les annonces qu’il doit prononcer. Celles-ci ont leur particularité : elles sont en anglais et en italien. Car Paul, qui dirige le service linguistique de la RATP, est un New-Yorkais de parents calabrais et assure donc depuis 2018 les voix anglaise et transalpine. « Au début, je prenais l’accent mid-atlantic, entre l’accent américain et britannique, mais maintenant, j’essaie juste d’être neutre en prononçant toutes les lettres », explique-t-il. Il a également fait le choix de prononcer les noms de stations avec son accent français pour se rendre le plus intelligible possible.

« C’est la plus belle expérience que j’ai eue de ma carrière », confie Jean-Baptiste, au moment de revenir sur ses presque vingt ans de voix. Pour Sophie, « c’est un moyen de sortir du quotidien habituel, c’est quand même assez sympa ». Même Song Phanekam s’est prêté au jeu en assurant la voix de la ligne 128, celle de son enfance. Et puis « c’est toujours extrêmement surprenant de s’entendre dans le métro », témoigne Sophie. « Ma mère préfère rater sa station de métro plutôt que de louper un truc que j’aurais à dire », rigole-t-elle. Pour s’améliorer, Jean-Baptiste s’est même lancé dans le théâtre, ce qui l’aide beaucoup. Il s’est aussi renseigné pour intégrer le cercle fermé des voix off professionnelles, mais « c’est vraiment bouché ». Alors, Jean-Baptiste, qui approche de la retraite, espère surtout pouvoir continuer au-delà son rôle de voix off. La suite à entendre sur les quais du métro.