REPORTAGEComment Paris forme ses futurs policiers aux violences faites aux femmes

Comment Paris forme ses futurs policiers municipaux aux violences faites aux femmes

REPORTAGELa toute première promotion de policières et policiers municipaux parisiens a assisté à une formation sur les violences faites aux femmes, une spécificité de la capitale
Aude Lorriaux

Aude Lorriaux

L'essentiel

  • Près de 2.000 agents et agentes de la Ville de Paris vont suivre dans les prochains mois une formation de policiers municipaux, après le vote début juin en Conseil de Paris de la création de cette future police.
  • La toute première promotion suivait vendredi 2 juillet un module sur les violences faites aux femmes, une spécificité par rapport aux autres polices municipales dont a voulu se doter la mairie.
  • Les formatrices ont parfois eu bien du mal à se faire entendre, et le sujet a déclenché bien des réactions, mais des moments d’écoute attentive laissent à penser que le message est bien passé.

Devant un public d’une cinquantaine de personnes, éclairées par des néons blancs et assises sur des chaises de bureau, Lorena Laporte De Melo, juriste au Centre d’information sur les droits des femmes et des familles (​CIDFF), explique le phénomène de l’emprise, « prise de possession d’un membre du couple par l’autre ». « C’est un processus de violences répétées et imprévisibles », avance-t-elle. Nous sommes dans le 12e arrondissement de Paris, où est dispensée une formation sur les violences faites aux femmes aux futurs policiers et policières municipaux de Paris, qui prendront leur service dans quelques mois, après le vote début juin sur la création d’une police municipale en Conseil de Paris.

Dans la salle, l’explication crée des remous. « Ce genre de comportement c’est un problème mental », réagit un homme. « Faut qu’il arrête la bouteille », commente un autre. Calmement, Lorena Laporte De Melo détricote les préjugés : « Ce ne sont pas des malades mentaux, ce sont des personnes comme vous et moi. Mais elles ont une incapacité à gérer leurs émotions, et une intolérance à la frustration, à la différenciation et à l’individuation. Cela ne veut pas dire que c’est un problème mental, cela dépend de la construction en tant que sujet. »

Formations spécifiques

Près de 2.000 agents vont suivre cette formation dans les mois qui viennent, et même 3.400 d’ici 2026, car la mairie de Paris compte recruter. Pour l’instant, les candidats au diplôme sont essentiellement de la DPSP (direction de la protection et surveillance) et sont déjà sur le terrain en tant qu’inspecteurs et inspectrices de sécurité (ISVP) ou agentes et agents de surveillance (ASP). Ils ont en tout respectivement 50 et 40 jours de formation, contre 120 pour les « nouveaux » et nouvelles qui seront prochainement recrutées.

A ce tronc commun que suivent toutes les polices municipales en France, la mairie de Paris a souhaité ajouter quatre jours de formation spécifique, sur les gestes de premiers secours, le défibrillateur, les LGBTphobies, la lutte contre les discriminations, le harcèlement sexiste et enfin les violences faites aux femmes. « On veut que nos policiers soient particulièrement sensibilisés et plus efficaces sur ces sujets », explique à 20 Minutes Nicolas Nordman, adjoint à la Maire de Paris en charge des questions de sécurité.

« Ça serait bien qu’on s’écoute »

Dans la salle, la formatrice égraine un bilan chiffré des violences : 1,2 million de femmes victimes d’injures sexistes, 140.000 enfants exposés aux violences dans le couple… Un brouhaha se fait entendre. Parfois, des rires fusent. Lorena Laporte De Melo explique à présent la convention d’Istanbul – qui édicte que « la violence à l’égard des femmes est une manifestation des rapports de force historiquement inégaux entre les femmes et les hommes ayant conduit à la domination et discrimination des femmes par les hommes » –, la violence sexiste, le manspreading. « C’est quand des hommes prennent toute la place et écartent les jambes dans le métro », résume-t-elle.

Des femmes dans le public réagissent : « Ça arrive souvent ! ». Elles se regardent, complices, au moment où le viol conjugal est abordé. Le bruit augmente considérablement. « Je comprends qu’on soit vendredi, on est tous fatigués, mais ça serait bien qu’on s’écoute », s’emporte un homme. Cet homme, c’est Jean, devenu ISVP à Paris en 2019, grâce à une petite annonce aperçue dans 20 Minutes, nous dit-il (cocorico). Il juge la formation sur les violences faites aux femmes « très intéressante », mais « beaucoup trop courte » à ses yeux. « C’est dommage car certains ne sont pas intéressés, et d’autres minimisent ça, ils rigolent. En tant que policiers municipaux on nous apprend le respect et je trouve que le respect n’y est pas ici », se désole-t-il.

« On a besoin de savoir comment orienter au mieux ces personnes »

Des moments de grâce, cependant, qui auront peut-être fait bouger les consciences, se produisent. Comme ce témoignage d’une agente, confrontée un jour à une mère qui avait dû quitter précipitamment le logement conjugal avec son bébé, et s’est retrouvée dans l’incapacité de lui trouver un logement. « Les assistantes sociales n’ont rien fait, le Samu ne pouvait pas les accueillir, il a fallu qu’elle passe la nuit aux urgences de l’hôpital, deux jours dans une salle d’attente avec ses enfants, qu’on lui trouve une nuit dans un hôtel. Tout ce qu’on nous dit est beau mais la réalité est très différente. »

Dans la salle, le silence est total, puis les apprentis et apprenties applaudissent. La formatrice compatit : « Je ne peux que rejoindre votre constat et le déplorer. » Ce témoignage a bouleversé Randja : « C’est important ces formations-là, sur le sexisme et les violences, ce sont des causes de notre société de plus en plus importantes. » Plus loin dans la salle, Leslie estime aussi que la formation a été « très utile et enrichissante » pour ses futures fonctions : « On est amenés à rencontrer des violences conjugales. On a besoin de savoir comment orienter au mieux ces personnes. »

Chantier en cours

Après ce temps de formation, le travail ne s’arrêtera pas là, promet Michel Felkay, le directeur de la police municipale de Paris, interrogé par 20 Minutes après cette matinée. « On aura de la formation continue avec des gens spécialisés. Il faut faire rentrer dans la tête des agents une nouvelle approche, qui n’est que le début d’un long cycle », estime l’ancien commissaire divisionnaire.


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Pour Kamel, la transformation a déjà opéré : « Cela m’est arrivé de rencontrer dans la rue des couples qui se disputent, et de ne pas savoir comment agir. La femme m’avait répondu : "Ce n’est pas votre problème". Aujourd’hui je lui répondrai que c’est bien mon problème, que je peux l’aider à porter plainte, qu’elle ne doit pas rester sur les coups de son mari ». La relève est là.