150 ans de la Commune de Paris : Comment la mairie va-t-elle souffler sur les bougies de l’insurrection ?
HISTOIRE•Il y a 150 ans, en mars, la Commune de Paris, issue d’un soulèvement populaire, était matée dans le sang au cimetière du Père Lachaise. Un événement majeur de la culture politique parisienne qui divise encoreRomain Lescurieux
L'essentiel
- A partir du 18 mars prochain et durant 72 jours, la mairie de Paris va organiser près de 50 événements pour célébrer les 150 ans de la Commune de Paris.
- Un événement culturel aura notamment lieu au premier jour de la révolte, le 18 mars, dans le square Louise-Michel (18e), en présence d’Anne Hidalgo.
- Les célébrations de cet événement historique et politique, qui fait régulièrement débat, seront scrutées de près par différents élus parisiens.
Ils avaient donné le ton lors des vœux 2021. « Chacun cherche sa route, nous cherchons la nôtre et nous pensons que le jour où le règne de la liberté et de l’égalité sera arrivé, le genre humain sera heureux. » Le 13 janvier dernier, cette citation de Louise Michel, figure emblématique de la Commune, était clamée par Emmanuel Grégoire, premier adjoint d’Anne Hidalgo. Et pour cause. Cette année marque le 150e anniversaire de la Commune de Paris.
Un siècle et demi plus tard, cette révolte populaire contre le pouvoir conservateur – née sur les ruines de la défaite face aux Prussiens sur fond d’humiliation, pour finir piétinée dans le sang – inspire et déchire encore Paris. De Montmartre – où certains veulent détruire la « verrue versaillaise », le Sacré-Cœur – aux manifestations, la Commune n’est pas morte. Ses idées continuent de s’écrire sur des drapeaux, des murs, dans de nombreux livres et de se diffuser dans certaines poches autonomes, anarchistes et libertaires. Mais pas seulement. La classe politique parisienne n’est pas en reste.
L’événement continue de diviser au sein même du Conseil de Paris, cette assemblée créée d’ailleurs pendant la Commune. Alors, comment la mairie va-t-elle célébrer cet anniversaire historique et politique ? La question est épineuse. La Commune de Paris « n’a cessé de susciter débats, enjeux de mémoire et relecture ultérieurs », prévient le pavé historique de 1.500 pages La Commune de Paris 1871: les acteurs, l’événement, les lieux coordonné par l’universitaire Michel Cordillot, sorti aux éditions de l’Atelier, fin janvier.
« Anne Hidalgo a souhaité que l’on fasse une célébration importante »
La mairie compte bien se saisir politiquement de ces célébrations et de ne pas faire les choses à moitié. Sous la houlette de Laurence Patrice (PCF), l’adjointe d’Anne Hidalgo chargée de la mémoire et du monde combattant, l’Hôtel de ville promet d’ores et déjà de nombreux événements : expositions, conférences, déposes de plaques, plantation d’un arbre. Et ce, à partir du 18 mars, date du début de la révolte, jusqu’au 28 mai et sa « semaine sanglante », dont le nombre de morts oscille « entre 10.000 et 20.000 », explique à 20 Minutes, Laure Godineau, historienne de la Commune de Paris et maîtresse de conférences à Sorbonne Paris Nord.
« C’est un événement important de l’histoire de notre ville. La maire de Paris, Anne Hidalgo, a souhaité que l’on fasse une célébration importante. Evidemment, la Commune a été marquée par des événements violents, sanglants, mais ce fut surtout une expérience de démocratie sociale et politique unique. Nous voulons faire connaître cela et le rendre accessible auprès des plus jeunes générations », réagit Laurence Patrice.
Ainsi, le 18 mars prochain, au square Louise-Michel (18e arrondissement), l’artiste Dugudus mettra en scène 50 silhouettes de Communards qui seront tenues par des Parisiennes et Parisiens. Un projet baptisé « Nous la Commune ». A cette occasion, la maire de Paris plantera un araucaria. Puis, durant 72 jours, près de 50 événements culturels, mémoriels et festifs – des lectures de textes et de chansons – sont prévus par la mairie, dans les mairies d’arrondissements et des bibliothèques municipales. Ces rendez-vous seront aussi animées par des associations, dont celle des Amies et Amis de la Commune 1871. Mais ces commémorations ne sont pas du goût de tous les élus de la capitale.
« Commémorer, c’est oui, célébrer c’est non »
Si la mairie s’attendait à quelques critiques venant notamment de l’extrême gauche, les tacles proviennent surtout pour l’heure de la droite parisienne. En pointe, Rudolph Granier et David Alphand (Les Républicains et Indépendants). « Commémorer, c’est oui, célébrer c’est non », lance Rudolph Granier, conseiller de Paris et élu du 18e arrondissement. « Ne perdons pas de vue qu’il y a un aspect très politique derrière tout ça. Anne Hidalgo se sert de la Commune de Paris pour ressouder sa majorité [communistes, écologistes et socialistes] », détaille-t-il auprès de 20 Minutes. Et de préciser : « La Commune fait partie de l’histoire de Paris, personne n’est dans le déni. En revanche, nous sommes face à un détournement politique de l’histoire. C’est de l’autocélébration pour finir sur de l’autosatisfaction pour Anne Hidalgo qui en a besoin, dans sa trajectoire présidentielle. »
A gauche, on guette aussi forcément l’événement et on y déplore quelques manquements. « J’avais insisté au Conseil de Paris pour faire déposer des plaques en l’hommage des femmes communardes. N’oublions pas que l’insurrection de la Commune a été déclenchée par des femmes. Ce sont elles qui montent sur la Butte Montmartre pour protéger les canons. Et 150 ans après, nous allons encore déposer des plaques pour des hommes », déplore auprès de 20 Minutes, Danielle Simonnet, conseillère de Paris LFI.
Laurence Patrice dément. « Enormément de femmes communardes vont être mises à l’honneur », se défend l’adjointe qui dit vouloir faire de cette thématique un point majeur des commémorations. En plus d’une exposition dédiée aux femmes de la Commune, une rue Anna-Jaclard (membre du Comité de vigilance des citoyennes du 18e arrondissement et de l’Union des Femmes) va être inaugurée dans le 12e arrondissement. Dans le 20e arrondissement, un jardin va être baptisé Paule Mink, journaliste socialiste, oratrice féministe et communarde. Une plaque Marcel et Cécile Cerf – lui historien de la Commune, elle résistante durant la Seconde Guerre mondiale – sera apposée dans une rue du 14e arrondissement.
Enfin, le 2 avril prochain, dans la salle du Conseil de Paris, une évocation du procès de Louise Michel sera également organisée. Le 18 mars 1871, cette institutrice montmartroise, prenait une carabine, bien décidée à se battre pour protéger les canons de la Butte. Et déclarait : « Nous pensions mourir pour la liberté. On était comme soulevés de terre. » Le 16 décembre 1871, lors de son procès, la militante féministe et combattante de la Commune, qui sera surnommée la « Vierge Rouge », sera condamnée au bagne en Nouvelle-Calédonie, là où pousse un arbre, l’aurocaria.