Paris : Dans la Seine qui revit, les poissons migrateurs sont en voie d’extinction
LE NOUVEAU COURS DE LA SEINE•Des espèces variées de poissons sont revenues ces dernières décennies dans la Seine, mais les migrateurs comme l’anguille ou la lamproie marine restent en périlAnna Fonters
L'essentiel
- La Seine est peuplée de poissons plus variés depuis le début de la lutte contre la pollution.
- Les poissons migrateurs souffrent de la pêche et des barrages.
- Au début du XIXe siècle, on pouvait même voir des marsouins à Paris.
«En 2000, on gagnait les concours de pêche avec 30-40 kg de brèmes. Aujourd’hui, c’est avec 2-3 kg de poissons mais parfois 10 espèces différentes. » Moins de quantité mais plus de variété dans les poissons de la Seine, c’est le constat que fait Bernard Breton. En quarante ans de pratique, le président de l’Association régionale de pêche et de protection du milieu aquatique d’Ile-de-France a eu le temps de voir les espèces se multiplier, notamment grâce à la qualité de l’eau.
« A la sortie de la Seconde Guerre mondiale, l’état des fleuves était catastrophique : on déversait nos effluents agricoles, industriels, chimiques ou domestiques », explique Florian Kirchner, chargé de programme « espèces » au comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Une analyse partagée par Philippe Keith, professeur au Muséum national d’histoire naturelle : « La qualité de l’eau s’est globalement améliorée ces quinze dernières années car beaucoup d’efforts ont été faits pour stopper les pollutions chroniques ou encore épurer l’eau ». C’est notamment grâce aux stations d’épuration que la qualité de l’eau s’est améliorée. « Est-ce suffisant pour retrouver des communautés de poissons comme à l’origine ? Évidemment, non ! », alerte-t-il cependant.
Barrage, pollution, pêche… les menaces cumulées
En France, 39 % des espèces de poissons d’eau douce (fleuve, rivière, lac…) sont menacées ou quasi menacées de disparition* d’après la liste rouge des poissons d’eau douce de l’UICN. Si les saumons – qui avaient déserté la Seine – reviennent depuis le début des années 2000 (une centaine traverserait Paris par an selon les estimations des pêcheurs), ce n’est pas le cas des autres poissons migrateurs. Certaines espèces autochtones à la Seine comme l’anguille, la lamproie marine ou la grande alose sont en danger et d’autres ont déjà disparu comme l’esturgeon. Poissons migrateurs, ils vivent une partie de leur cycle en eau douce et une autre en mer. En se déplaçant, ils rencontrent de multiples risques pour leur survie : pollution, pêche, et obstacles, comme les barrages, qui les mettent en péril et les épuisent.
Leurs habitats et zones de reproduction sont également menacés (par les digues, les berges bétonnées…) : « Petit, le saumon adore les zones d’eau douce de 10-20 cm avec un fond caillouteux. Si on met un barrage, le niveau de l’eau augmente, passe à 1 mètre et cela ne va plus ! », rappelle Jean-Luc Baglinière, directeur de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae).
« Amnésie environnementale »
Au début du XIXe siècle, il n’était pas impossible de voir un marsouin ou un phoque veau-marin traverser Paris, rappelle Patrick Haffner, mammalogiste (Muséum national d'histoire naturelle/ Office français de la biodiversité). « On considère aujourd’hui que si ces espèces ne sont pas dans la Seine, c’est qu’elles sont exclusivement marines. Mais non, c’est qu’elles ont modifié leur comportement avec l’expansion de l’Homme pour nous éviter. » Patrick Haffner insiste : « On a une vision de la faune de la Seine telle qu’on la connaît, mais on oublie de regarder le passé ». C’est ce que l’on nomme « l’amnésie environnementale » comme l’explique Florian Kirchner de l’UICN. « On voit quelques poissons et oiseaux dans la Seine, on se dit que c’est super, que c’est le retour de la nature. Mais on oublie qu’il manque la moitié des espèces qu’il y avait un siècle plus tôt ! ».
Notre dossier sur la Seine
Florian Kirchner dépeint « un tableau général plutôt sombre » pour les poissons d’eau douce, mais veut tout de même rester optimiste : « Si on se donne les moyens, on voit que certaines espèces vont ponctuellement mieux. On a les solutions, il ne tient qu’à nous d’arrêter de détruire notre milieu naturel ». Réglementation de la pêche, aménagement des barrages pour créer des passes à poissons (des dispositifs leur permettant de les franchir), plans d’actions européens pour les espèces les plus menacées, poursuite de l’amélioration de la qualité de l’eau… La route est encore longue… avant, peut-être, d’apercevoir à nouveau des phoques en buvant un verre sur les quais de Seine.
* Liste rouge des espèces menacées en France – Chapitre Poissons d’eau douce de France métropolitaine, UICN Comité français, MNHN, SFI & AFB (2019).