Après la première marche des fiertés, enfin la fin des clichés sur les LGBT en banlieue ?
DISCRIMINATION•Un an et demi après cette marche « historique » un documentaire revient sur l’organisation de l’événement et questionne sur l’existence d’une culture queer en banlieueMaureen Songne
L'essentiel
- Une marche des fiertés a eu lieu pour la première fois en banlieue, à Saint-Denis en juin 2019.
- Ce mercredi sort à ce sujet « La Première marche », un documentaire suivant la vie de jeunes militants durant l’organisation de l’événement.
- Ces derniers dénoncent les préjugés dont ils sont doublement victimes, en tant que personnes LGBT et habitants de « quartiers sensibles ».
C’était un événement inédit. Dimanche 9 juin 2019, plus d’un millier de personnes défilaient pour la première « marche des fiertés en banlieue » à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). En tête des revendications, dénoncer les discriminations contre les personnes LGBT habitant en banlieue et montrer qu’on peut afficher son identité sexuelle dans ces territoires. Ce mercredi, alors que la ministre déléguée à l'égalité femmes-hommes, Elisabeth Moreno, présente son plan contre les discriminations anti-LGBT, sort en salle un documentaire sur cette manifestation, plus radicale politiquement que la « Pride » parisienne, La première marche.
Durant le tournage de leur premier documentaire, Hakim Atoui (27 ans) et Baptiste Etchegaray (35 ans) ont suivi Youssef, Yanis, Annabelle et Luca pendant six mois, de leurs premières réunions jusqu’au jour J. Sans avoir l’intention de filmer le groupe, ils les rencontrent une première fois, via un ami en commun. « Puis en janvier, je me suis dit que ça serait trop bête de ne pas les suivre. Parce que ce qu’ils ont voulu mettre en place, c’est une marche historique. A quatre avec leur banderole ou à mille dans la rue, ça aurait toujours voulu dire quelque chose », détaille Hakim sur sa démarche.
Discriminations non visibles
Ils sont engagés, politisés, déterminés à casser les clichés sur les quartiers dits « sensibles » par cette marche organisée dans une zone où personne ne pensait qu’elle serait réalisable. Dans l’imaginaire collectif, la banlieue reste associée à une image viriliste, religieuse… et homophobe. Le mot d’ordre des organisateurs était donc clair : l’inclusivité. Pour s’inscrire dans un territoire où être gay, lesbienne, trans ou queer s’ajoute à d’autres discriminations existantes telles que le racisme, l’islamophobie, les préjugés sur la banlieue…
« Les luttes qu’on mène sont ultra-minoritaires et très peu visibilisées, si on parle que des luttes queer, personne ne sait ce que c’est à moins de faire des recherches sur le sujet ou d’être concerné. Alors en plus si on parle de banlieue, on est encore plus dans le flou, dans l’incompréhension », explique Youssef, femme trans, un des piliers du projet. « Que ça soit figé dans un film qui à vocation d’être diffusé un peu partout en France ça nous paraissait important. Cela nous apporte une visibilité à laquelle on n’est pas habitués. »
« Aucune statistique ne prouve qu’il y a plus de LGBT-phobies en banlieue »
Au sein de leur association locale Saint-Denis ville au cœur, ces étudiants à l’université Paris 8 Saint-Denis planifient cette marche avec une priorité : communiquer sur l’événement au maximum auprès des locaux, les premiers concernés, pour qu’ils se sentent soutenus et entourés d’une véritable communauté. « Quand on est banlieusards, on naît et on grandit en sachant qu’on n’est pas grand-chose dans le monde », déclare Youssef. « A travers ce film, on veut montrer que les banlieusards sont des êtres humains dotés de profondeur et de dimension. On veut faire comprendre aux gens qu’il est temps d’arrêter d’appliquer des politiques publiques sur des préjugés parce qu’on en souffre dramatiquement. »
Des préjugés justement, c’est ce à quoi Youssef et son équipe ont constamment été confrontés d’abord au cours de leur vie personnelle, ensuite pendant l’organisation de la marche. « Maintenant, on rappelle qu’il n’y a aucune statistique qui prouve qu’il y a plus de LGBT-phobies en banlieue et que la raison pour laquelle on n’est amené à dresser un tel constat, c’est un classisme et un racisme primaire. On part du principe que les habitants des banlieues sont musulmans et seraient donc nécessairement opposés aux LGBTQI +.»
Moins de visibilité
La place des discriminations à l’encontre des LGBT sur le territoire français était justement le sujet d’une étude publiée en 2019 par l’Observatoire LGBT+ de la Fondation Jean-Jaurès et la Fondation Jasmin Roy-Sophie Desmarais. Avec globalement une légère augmentation des violences à l’encontre des LGBT, qui touchent maintenant 55 % d’entre eux, on remarque que parmi le profil des personnes LGBT touchées, celles originaires de banlieues populaires sont moins nombreuses que celles de centre-ville ou de villes isolées, bien qu’elles soient victimes d’agressions plus brutales.
« Il y a un peu moins de violences [dans les banlieues populaires] parce que les violences se focalisent sur les lieux et les assos LGBT et la visibilité y est moins courante », explique Flora Bolter, directrice de l’Observatoire LGBT+ de la Fondation Jean Jaurès. Selon elle, la visibilité en banlieue peut d’une part fait évoluer les choses et favoriser l’acceptation, mais favorise en conséquence les violences.
L’éducation comme solution
Professeur de lettres depuis quinze ans à Saint-Denis, habitant sur place depuis neuf ans et homosexuel engagé, Jérôme Martin a participé à cette marche « réussie » et en a assez des « récupérations de l’extrême droite des luttes pour les droits LGBT ». « Nous sommes dans un état qui ne reconnaît pas les trans, où les homos se font agresser quotidiennement, où des jeunes se font virer de leur famille, où le taux de suicide est très haut chez les homos… Il est impossible de nier la réalité systémique de l’homophobie et de la transphobie », déclare l’ancien président d’Act-Up Paris, association de lutte contre le sida dans la communauté homosexuelle.
« L’instrumentalisation, c’est de faire croire que l’homophobie ne serait représentée que par des jeunes de banlieue. On a un ministre de l’Intérieur qui est allé à la Manif pour tous, mais parce qu’un de mes élèves dirait "sale pédé", on pense que l’homophobie est présente juste en banlieue ! » fulmine le professeur, pour qui cette « imposture » empêche de réellement combattre les discriminations LGBT-phobes.
« Ce qu’il faut, c’est demander des comptes à l’état, sensibiliser, éduquer, et légiférer en direction des LGBTQI + », estime Youssef, étudiante en sociologie. Pour elle, seul l’accès aux ressources sur ces questions, ouvert à tous les publics, tout âge et catégorie sociale confondue, permettra d’avancer. « En banlieue, il y a quand même un tissu associatif, certes menacé par le manque de financement, qui aide véritablement les gens », indique Youssef qui a fait des interventions avec des acteurs locaux, comme les maisons de jeunesses et les centres socioculturels. « Maintenant, il faut investir l’espace public à fond. » Pour l’heure, toutes les interventions prévues ont été mises en suspens à cause du coronavirus. L’équipe espère toutefois pouvoir à nouveau organiser une nouvelle édition de leur « Pride » banlieusarde.