DECESMort de Patrick Devedjian, « il avait un peu un côté anar de droite »

Mort de Patrick Devedjian: « Il y avait tellement de gens à mon enterrement que j’ai décidé de ne pas m’y rendre », disait-il

DECESLe président du conseil général des Hauts-de-Seine et ex-ministre de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy est décédé dans la nuit de samedi à dimanche à l’âge de 75 ans, victime du coronavirus
Coronavirus: L'ancien ministre Patrick Devedjian est décédé à 75 ans
Guillaume Novello

Guillaume Novello

L'essentiel

  • Patrick Devedjian est décédé dans la nuit de samedi à dimanche. C'est la première personnalité politique française à succomber au coronavirus.
  • Le président du conseil départemental des Hauts-de-Seine a marqué par sa fidélité à ses principes, son intransigeance et son indépendance.
  • Libéral, il était passionné de culture et très marqué par ses origines arméniennes.

«C’était un électron libre. » C’est ainsi que Patrick Devedjian est resté dans la mémoire d’Emmanuel Kessler, actuel PDG de la chaîne Public Sénat, et auteur en 2006 d’un livre d’entretiens – A moi le ministère de la parole – avec celui qui vient tout juste d’être emporté par le coronavirus, à l’âge de 75 ans. « C’était quelqu’un qui avait un peu un côté libéral-libertaire, ajoute le journaliste, jaloux de son indépendance, ce n’était pas un homme de coteries et de cour. » Un « anticonformiste », précise André Santini, maire d’Issy-les-Moulineaux, réélu pour la huitième fois le 15 mars.

Droit dans ses bottes, le président du conseil départemental des Hauts-de-Seine depuis 2007 et ancien maire d'Antony, possédait le caractère qui va avec. « Il avait parfois des emportements, se souvient, ému, Christian Dupuy, maire de Suresnes. Il se trouve que moi, je n’ai pas non plus toujours un caractère idyllique, et on a eu quelques fois des prises de bec homériques mais qui n’ont jamais eu de conséquences car l’amitié l’emporte toujours dans ces cas-là. » Et pour Christian Dupuy, Patrick Devedjian, qu’il a connu dès le début des années 1980, « était plus qu’un ami, c’était quasiment comme un frère pour moi ». « On était deux gros caractères et on s’est beaucoup engueulés, on a eu des désaccords, ajoute Isabelle Balkany, qui était de l’équipe que Pasqua avait mise ne place au début des années 80 pour rafler les villes communistes comme Antony ou Levallois. C’est quelqu’un que je respectais beaucoup, il avait une agilité intellectuelle tout à fait extraordinaire. Mais il était un peu introverti, il fallait percer l’armure. »

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« On sent bien que dans le rapport personnel immédiat, il peut apparaître comme un peu distant, un peu hautain, ce qu’il n’est pas en réalité quand on le connaît bien, appuie Emmanuel Kessler. Il a beaucoup d’humour mais aussi une ironie qui peut parfois être acerbe. Il ne s’est pas fait que des amis en politique. » Ce caractère bien trempé mêlé d’intransigeance et de rejet de la courtisanerie explique sans doute une des plus grandes déceptions de la carrière de Patrick Devedjian, à savoir, sa non-nomination au poste de Garde des Sceaux de Nicolas Sarkozy en 2007, ce qu’il commentera avec cette punchline « Je suis pour un gouvernement d’ouverture, y compris aux sarkozystes. »

Le Badinter de la droite

« Quand on a écrit le livre, il a beaucoup développé sa théorie sur la réforme de la justice, un domaine qui le passionnait, rembobine le président de Public Sénat. Je pense que son ambition à l’époque c’était d’être le Badinter de la droite. Il avait suffisamment travaillé le sujet pour penser qu’il pouvait vraiment imprimer sa marque sur une réforme ambitieuse et ample de la justice. Je pense que là, il y a eu une blessure. » Christian Dupuy estime, dans le même sens, que Patrick Devedjian « n’a pas eu les fonctions qu’il aurait méritées ». Il l’explique : « Peut-être par le manque d’ambition forcenée, je ne crois pas qu’il était acharné à vouloir obtenir les postes les plus élevés ». « Faut pas être trop intelligent en politique », conclut d’une boutade, André Santini.

Ce côté électron libre du président des Hauts-de-Seine se retrouve dès les années 1960 quand le groupe qu’il forme, entre autres, avec Gérard Longuet, Alain Madelin ou encore Claude Goasguen, quitte le groupuscule d’extrême droite Occident pour s’égayer au sein de la droite républicaine. « Occident a été fondé en 1964 par des anciens d’extrême droite dure, des partisans de l’Algérie française, des collaborationnistes, resitue Gilles Richard, professeur d’histoire et auteur d’Histoire des droites en France : de 1815 à nos jours. Patrick Devedjian et son groupe sont des jeunes intellectuels, étudiants en droit à Assas, anti-communistes, qui font le coup de poing à Nanterre. » Puis au contact du penseur libéral Raymond Aron, « ils rentrent dans le rang, précise Gilles Richard. La majorité d’entre eux choisissent plutôt des Giscardiens mais Devedjian est original car il part du côté du RPR. »

Libéral à tout prix

De cette période, il a plus tard « exprimé des regrets », rapporte Emmanuel Kessler. Dès les années 1980, sur le modèle de Chirac, il fait bloc contre l’extrême droite. « Quand il est élu maire d’Antony, un de ses adjoints est Jean-Yves Le Gallou, du Club de l’Horloge, rappelle le prof d’histoire. Et quand en 1985, Le Gallou adhère au Front national, Devedjian coupe les ponts, il le vire de sa majorité et supprime sa délégation. »

De cette jeunesse, il conservera un tropisme libéral fort. « Un libéralisme culturel, économique et de société, pas si courant dans la droite française à l’époque », précise Emmanuel Kessler qui ajoute « il avait un peu un côté anar de droite ». D’ailleurs « Il adorait Léo Ferré, quand on a fait le bouquin, il me conduisait parfois dans sa voiture et me faisait écouter ses chansons. »

Dessins français du XVIIe et cocotte-minute

Indépendant, intransigeant, Patrick Devedjian était aussi un passionné de culture. « Ce qui m’a vraiment marqué c’est que c’était quelqu’un de très cultivé, qui avait beaucoup de recul littéraire, historique, qui lisait énormément, se souvient le président de Public Sénat. Je pense qu’au fond, il préférait la littérature à la politique. » « C’était un homme doté d’une culture profonde, riche, embraye André Santini, passionné les peintures, les dessins français du XVIIe siècle. » Christian Dupuy, vice-président du conseil départemental en charge de la culture, loue une « culture quasi-encyclopédique qui défie l’entendement ». « La culture était vraiment un élément phare de la politique qu’il conduisait dans le département, enchaîne-t-il. Lui et moi avons toujours considéré que la culture ne devait jamais être une variable d’ajustement budgétaire et que c’était essentiel ». Il y avait aussi « un vrai amour de la France, de sa culture et de sa langue, lié à son parcours d’enfant d’immigrés arméniens », ajoute Emmanuel Kessler.


Notre dossier sur Patrick Devedjian

« La mémoire du peuple arménien dont il avait hérité de son père, est un des éléments forts de la construction de la personnalité complexe qui était la sienne », abonde le maire de Suresnes. Son père Roland, a fui le génocide arménien et s’est installé en France où il a inventé la cocotte-minute avant que son entreprise ne soit rachetée par Seb. Autoritaire, il a élevé son fils dans la tradition arménienne mais sans insister sur le côté religieux. « Patrick Devedjian avait su s’affirmer comme un défenseur de la cause arménienne, se souvient André Santini. Je me souviens du combat que nous menions ensemble pour la reconnaissance du génocide. »

« Il faisait partie de la dernière génération d’élus qui font de la politique avec des sentiments, il était fidèle à ses convictions avec du panache, un esprit combattant », résume le maire d’Issy-les-Moulineaux qui nous rappelle cette repartie d’un homme qui ne manquait pas d’humour: « Il y avait tellement de gens à mon enterrement que j’ai décidé de ne pas m’y rendre ». « C’est aujourd’hui malheureusement faux, se désole l’élu, et je regrette qu’on ne puisse pas lui rendre l’hommage qu’il mérite. »