Municipales 2020 à Paris: Mais qui sont ces « classes moyennes » qui font tant saliver les candidats ?
SOCIETE•S'il n’y pas de définition officielle de la « classe moyenne », les candidats à la mairie de Paris usent et s’usent sur ce termeRomain Lescurieux
L'essentiel
- Si tous les candidats utilisent ce terme de « classes moyennes », ses contours en restent très flous, voire inexistants.
- Mais mentionner ces classes moyennes dans le discours politique est surtout très intéressant électoralement. Tant le flou est de mise.
Ils n’ont que ça à la bouche : les classes moyennes. A quatre mois des élections municipales, les candidats à la mairie de Paris multiplient les sorties médiatiques, les passes d’armes et les discours sur ces « classes moyennes » parisiennes, « non-aisées », « non-aidées », « obligées de quitter la capitale » car « le logement est trop cher ». Une thématique qui au fil des jours s’impose au cœur de la bataille municipale et dans les rangs de toutes les sensibilités politiques.
Les « classes moyennes » sur toutes les lèvres
En juin dernier, Anne Hidalgo expliquait dans une interview à Libération qu’« une ville sans classe moyenne ne fonctionne pas ». Quelques mois plus tard, Benjamin Griveaux (LREM), qui fait des « classes moyennes » parisiennes son thème majeur de campagne, son « fil rouge », présentait ses « ambassadeurs de la classe moyenne ». « Leur mission est de défendre les classes moyennes pour qu’elles restent vivre décemment à Paris ». « C’est quoi une classe moyenne ? », demandait quelques jours plus tard, lors d’un échange sur le plateau de LCI, Emmanuel Grégoire, premier adjoint d’Anne Hidalgo à Marie-Laure Harel, la porte-parole du candidat LREM.
« Ce sont les 60.000 personnes que vous avez fait partir de Paris depuis six ans. Ce sont les personnes qui n’ont plus les moyens de se loger à Paris parce que le logement est trop cher, qui ne peuvent pas se déplacer à Paris, qui ne sont pas en sécurité. Ce sont les jeunes parents, les jeunes travailleurs, les célibataires, les étudiants qui n’ont plus les moyens et l’envie d’habiter à Paris et que nous entendons ramener dans notre ville », répondait-elle. A gauche aussi, le sujet revient régulièrement.
« Les premiers de cordée sont majoritaires à Paris. Mais il y a les professions intermédiaires, ce qu’on appelle les classes moyennes, qui sont prises à la gorge. Dès le premier enfant, ils partent, car ils ne peuvent pas s’installer, pareil pour les étudiants », expliquait dans une interview accordée à 20 Minutes, Danielle Simonnet, candidate LFI. Qui sont donc ces fameuses classes moyennes qui font tant parler les candidats ? Et que veut dire ce concept dans une ville comme Paris ?
« Il n’y a pas de définition officielle de la classe moyenne »
Si tous utilisent ce terme, ses contours en restent très flous, voire inexistants. « Il n’y a pas de définition officielle de la classe moyenne. Cela peut dépendre de l’appartenance à certaines CSP ou en fonction du niveau de revenu », rappelle-t-on à l’Agence Parisienne d’Urbanisme (APUR), qui parle davantage de « ménages à revenus moyens ». « Au syntagme "classe moyenne" ne correspond aucune définition équivoque, et c’est là sa caractéristique principale », note de son côté Louis Chauvel dans Les classes moyennes à la dérive. D’autant que « la classe moyenne nationale n’est pas la même que la classe moyenne parisienne qui est plus haute que dans le reste de la France », rappelle Pierre Madec, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Le CREDOC (Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de Vie) ou encore l’Observatoire des Inégalités considèrent comme appartenant aux classes moyennes, les personnes situées entre les 30 % les plus pauvres et les 20 % les plus riches. Selon l’Observatoire, le niveau de vie mensuel des classes moyennes est situé entre 1.265 et 2.275 euros par mois pour une personne seule, entre 2.468 et 4.423 euros pour un couple sans enfant et entre 3.302 et 5.743 euros pour un couple avec deux enfants. « Les classes moyennes c’est tout le monde, sauf les ultras-riches et les ultras-pauvres. C’est une population qui n’a rien à voir mais que les politiques qualifient de matraquée, asphyxiée », analyse l’économiste Eric Maurin qui a écrit avec Dominique Goux en 2012 Les Nouvelles Classes moyennes (Seuil).
Mais le débat parisien sur les classes moyennes ne date pas d’aujourd’hui et était déjà présent au Conseil de Paris dans l’entre-deux-guerres, précise l’APUR. Près de 100 plus tard, les candidats dressent cette classe en population à protéger, ces familles que l’on laisserait partir. « Si pour le moment beaucoup de candidats se posent comme candidats des classes moyennes, aucun n’apportent de solutions pour ramener du logement dans le parc locatif parisien en direction des familles », juge Pierre Madec. Mais mentionner ces classes moyennes dans le discours politique est surtout très intéressant électoralement. Tant le flou est de mise.
Pourquoi sont-elles intéressantes électoralement ?
« Appellation non contrôlée, vaste concept "fourre-tout", mélange hétéroclite d’individus ; les classes moyennes sont courtisées par les partis politiques, ciblées par les politiques publiques… Et la popularité du terme réside en ce que chacun peut en donner la définition qu’il souhaite », note-on à l’APUR. Les candidats l’ont bien compris ? Philippe Moreau Chevrolet, professeur de communication à Science Po Paris et président de l’agence de communication MCBG, acquiesce.
« Depuis longtemps, la classe moyenne est celle que les politiques veulent capter pour s’assurer une majorité. C’est souvent un enjeux de campagne car dans leur esprit c’est la clé. En réalité, tout ça relève du mythe d’autant plus à Paris car c’est une classe qui n’est plus », affirme-t-il. « Ils aiment maintenir l’idée d’un Paris populaire, mais dans les faits, la ville tend à devenir un Ehpad de riches », lâche-t-il. « Dans la capitale, les classes moyennes viennent y travailler mais n’y habitent pas. Et se poser comme candidats des classes moyennes c’est uniquement mettre en avant une certaine conscience sociale », ajoute-t-il et de conclure : « En vrai, l’élection municipale à Paris est presque censitaire ».