BOUCHE D'INCENDIEStreet-pooling, le phénomène qui donne des sueurs froides aux pompiers

Canicule à Paris: Street-pooling, le phénomène qui donne des sueurs froides aux pompiers

BOUCHE D'INCENDIELes pompiers craignent que les fortes chaleurs attendues ce week-end entraînent une recrudescence de cette pratique illicite qui consiste à ouvrir les bornes d’incendie pour se rafraîchir
Street-pooling près de la Porte de la Villette, en juin 2017
Street-pooling près de la Porte de la Villette, en juin 2017 - Laurent EMMANUEL / AFP
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • Le pic de « street-pooling » a été atteint en 2017 où quelque 200 bouches d’incendie ont été arrachées en un week-end à Paris et en Petite couronne.
  • Le Code pénal prévoit des peines allant jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende pour « destruction, dégradation et détérioration d’un bien destiné à l’utilité publique ».
  • En 2018, le maire d’Asnières dans les Hauts-de-Seine, a adressé une amende de 9.000 euros aux parents d’ados qui avaient ouvert une bouche d’incendie.

Transformer la ville en Aqualand en ouvrant les bouches à incendie. Par ces fortes chaleurs, l’idée est séduisante… mais formellement interdite. Le phénomène, surnommé « street-pooling » et tout droit venu des Etats-Unis, a pourtant pris de l’ampleur depuis 2015. Le pic est atteint en 2017 où quelque 200 bouches d’incendie ont été arrachées en un week-end à Paris et en Petite couronne. Selon les estimations de Véolia et du Sédif, le syndicat des eaux d’Ile-de-France, 600.000 mètres cubes d’eau potable, l’équivalent de 240 piscines olympiques, ont été gaspillés en moins de 48 heures. Estimation des pertes : entre deux et trois millions d’euros.

« L’an dernier, on a noté un net recul de la pratique mais on ne sait pas si c’est parce qu’il n’y a pas eu de longs épisodes de canicule ou si nos messages de prévention commencent à être entendus », s’interroge le lieutenant-colonel Gabriel Plus, porte-parole de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris. Les fortes chaleurs attendues ce week-end pourraient apporter une première réponse. Depuis le début de la canicule, le phénomène est relativement contenu en Ile-de-France. Mais avec la durée de la canicule et le début des vacances, les autorités craignent une recrudescence du phénomène.

Des interventions compliquées voire impossibles

Or, la pratique est dangereuse, notamment à cause de la pression dans la bouche à incendie, un bar environ. Mercredi soir, un enfant de six ans a été transporté à l'hôpital dans un état grave après avoir été projeté en l'air par le geyser provoqué par l'ouverture d'une bouche à incendie à Saint-Denis. En 2015 déjà, un enfant de 8 ans a été très grièvement blessé à la tête à Bobigny, projeté en arrière par la puissance du jet.

Les professionnels du feu sinquiètent également des conséquences du street-pooling sur leurs interventions. En juillet 2017, à Sevran, en Seine-Saint-Denis, les pompiers s’étaient rendus compte que la bouche à proximité d’un immeuble en feu était hors d’usage. Alors qu’un premier camion – qui a une autonomie de 3.000 mètres cube d’eau - avait commencé à intervenir, un second était partie à la recherche d’une nouvelle bouche incendie. « Pour l’instant, nous avons eu de la chance, cette pratique n’a jamais eu de répercussions graves sur nos interventions mais cela pourrait arriver, surtout si plusieurs bouches sont ouvertes dans un même secteur », insiste le porte-parole de la BSPP. A cette difficulté, s’ajoute l’engorgement des lignes d’urgences ou les interventions ralenties par les inondations sur la chaussée.

De rares condamnations… mais des amendes

En théorie, le Code pénal prévoit des peines allant jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende pour « destruction, dégradation et détérioration d’un bien destiné à l’utilité publique ». En pratique, les condamnations sont rares. Si le syndicat des eaux d’Ile-de-France dépose plainte à chaque fois, il assure que celles-ci sont quasiment systématiquement classées sans suite, faute de pouvoir identifier les auteurs. En 2018, néanmoins, un mineur originaire de Deuil-la-Barre, dans le Val-d’Oise, avait été identifié grâce aux caméras de vidéosurveillance et présenté. Le parquet des mineurs de Pontoise avait finalement décidé de lever les poursuites si sa famille s’engageait à s’acquitter de 2.000 euros pour dédommager la mairie.

Pour faire face au phénomène, certaines municipalités ont également pris des arrêtés pour dissuader les adeptes de cette pratique. Ainsi, l’an dernier, le maire d’Asnières dans les Hauts-de-Seine, a adressé une amende de 9.000 euros aux parents de trois mineurs qui avaient ouvert une bouche à incendie. Une amende, expliquait à l’époque l’édile, calculée à partir d’une estimation du gâchis d’eau liée à l’ouverture des bouches, soit environ 2.000 mètres cubes (environ l’équivalent d’une piscine).

Nouvelles bouches incendies ?

Certains maires réfléchissent à la possibilité d’installer de nouvelles bouches incendies, plus difficiles à ouvrir. « Nous ne sommes pas vraiment favorables à cette idée car nous avons besoin d’y accéder très rapidement, s’il faut une nouvelle clé pour les ouvrir, cela ralentit l’intervention », précise Gabriel Plus. Les pompiers encouragent, en revanche, les municipalités à multiplier les points d’eau, ouvrir les piscines ou mettre en place des brumisateurs géants pour éviter que les habitants se tournent vers des piscines sauvages.