Pontoise: Vers un nouveau dispositif pour lutter contre les féminicides, qui baissent trop lentement
CRIMES•Depuis 2013, le nombre de femmes tuées chaque année par son compagnon est dramatiquement stable. Et ce, en dépit des efforts des autorités pour lutter contre le phénomène. Le parquet de Pontoise propose de tester un nouveau dispositifCaroline Politi
L'essentiel
- Depuis le début de l’année, 66 femmes ont été tuées par leur conjoint ou leur ex, selon le collectif « Féminicides par compagnons ou ex ».
- Le Parquet de Pontoise propose d’expérimenter des bracelets électroniques anti-rapprochement.
- Près de 850 femmes victimes de violence sont équipées d’un « téléphone grave danger »
Il s’en est fallu de peu pour que F. n’allonge la longue liste des femmes tuées par leur compagnon. Le 5 juin dernier, cette mère de famille de 32 ans a été poignardée à son domicile de Villetaneuse, en Seine-Saint-Denis, à de multiples reprises. Thorax, abdomen, cuisse. Si elle doit la vie à ses voisins chez qui elle est parvenue à se réfugier, l’enfant qu’elle portait depuis cinq mois n’a pas survécu à ce déchaînement de violences. Le soir même, son compagnon s’est présenté au commissariat, accompagné des deux enfants du couple, avouant la tentative d’homicide. Reste une inconnue : le drame aurait-il pu être évité ? L’homme avait été condamné en 2017 pour violences conjugales et avait dû suivre un stage de sensibilisation.
Entre 2007 et 2017, le nombre de femmes tuées par leur conjoint ou « ex » a baissé de 27 %, passant de 179 à 130 *, si on s’en rapporte aux statistiques du ministère de l’Intérieur. Mais à y regarder de plus près, les féminicides sont dramatiquement stables depuis 2013, entre 122 et 134 selon les années. Et les chiffres de 2019 ne sont guère rassurants. Selon le collectif « Féminicides par compagnons ou ex » qui recense dans la presse les meurtres sur conjoint, 66 femmes ont été tuées dans ces circonstances depuis le début de l’année.
Les professionnels du secteur refusent pourtant de croire à une forme de fatalité et préfèrent garder les yeux rivés vers l’Espagne, pays pionnier en la matière. Madrid est parvenu en 15 ans à faire baisser d’un tiers les féminicides après deux lois ambitieuses en 2005 et 2009. En 2018, 47 Espagnoles sont décédées sous les coups de leurs conjoints, contre 71 en 2003.
Des outils trop peu utilisés
Début mai, pour tenter d’endiguer le phénomène, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a fait passer une circulaire demandant aux procureurs « d’instaurer au sein de leurs juridictions, et plus généralement dans toutes les étapes de la procédure, une véritable culture de la protection des victimes de violences conjugales ». La ministre a notamment demandé aux juges aux affaires familiales de recourir le plus souvent possible à l’ordonnance de protection. Ce dispositif, lancé en 2010, permet de mettre à l’abri une femme se sentant menacée même si elle n’a pas déposé plainte, mais il reste peu utilisé. En 2018, sur les 3.332 décisions prononcées, seules un tiers a accédé à la demande de protection, contre près de 29.000 en Espagne. Les magistrats mettent en avant le manque de moyens, notamment de places d’hébergements pour éloigner les victimes des auteurs présumés de violence.
En 2013, l’arsenal législatif a été renforcé par la généralisation sur l’ensemble du territoire d’une mesure jusqu’alors testée en Seine-Saint-Denis : le téléphone grave danger. Il permet d’être mis en relation avec les forces de l’ordre en appuyant sur une simple touche. Au 25 février dernier, 842 femmes en étaient équipées. Le dispositif est jugé relativement efficace par les professionnels du secteur. Selon la place Vendôme, l’an dernier, les forces de l’ordre sont intervenues 420 fois, contre 282 en 2017.
« Il est impératif de changer le regard des hommes sur les femmes »
Depuis des années, les magistrats de Pontoise utilisent tout l’arsenal à leur disposition pour tenter d’endiguer le phénomène. Vingt-huit téléphones grave danger sont actuellement en circulation dans le département, les ordonnances de protection sont en augmentation, des audiences dédiées sont régulièrement organisées. « Nous avons une véritable politique de juridiction en la matière », souligne le procureur Eric Corbaux qui assure, par exemple, toujours choisir la qualification la plus haute en matière de violences faites aux femmes.
Pourtant, rien n’y fait, le chiffre des féminicides reste dramatiquement stable. Le mois dernier, dans cette juridiction, une femme de 31 ans a été poignardée par son compagnon qui s’est par la suite jeté d’un pont. Quelques jours auparavant, le cadavre d’une femme était découvert dans une valise, flottant sur l’Oise. Là encore, son conjoint, retrouvé mort quelques jours plus tard en Italie, faisait figure de principal suspect.
Bracelets « anti-rapprochement »
Pour tenter de remédier à ce phénomène, la juridiction s’est portée volontaire pour expérimenter le dispositif électronique de protection anti-rapprochement (Depar), un bracelet électronique pour les hommes violents. Le principe est simple : la victime et son auteur sont équipés, sur décision de justice, de ce dispositif qui les alerte, ainsi que les forces de l’ordre, dès qu’ils se trouvent à proximité. « Le problème du téléphone grave danger c’est qu’on ne l’active que lorsqu’on voit son agresseur à proximité, note le procureur de Pontoise. Le bracelet permettrait d’apporter un niveau de protection supplémentaire puisque la victime serait avertie dès que le périmètre de sécurité n’est plus respecté. » De l’autre côté des Pyrénées, le dispositif a fait ses preuves : près de 1.200 sont actuellement actifs.
En France, une première expérimentation avait été initiée en 2012-2013 dans trois départements mais les critères particulièrement stricts fixés à l’époque n’avaient permis de trouver de candidat. L’idée a refait surface dans la loi relative à la sécurité publique de 2017. « C’est un suivi totalement différent qui viendrait compléter les téléphones grave danger : dans un cas on se centre sur la victime, dans l’autre sur l’auteur », explique Youssef Badr, le porte-parole de la Chancellerie. Pour l’heure aucun calendrier n’a été fixé, les modalités techniques et juridiques de la mise en œuvre de ce dispositif sont toujours à l’étude.
Tous les experts s’accordent sur un point : ces dispositifs restent des outils et ne sont rien sans un travail de sensibilisation. « Il est impératif de changer le regard des hommes sur les femmes, insiste Eric Corbaux. Dans la majorité des féminicides que nous traitons, le passage à l’acte intervient au moment d’une séparation, comme s’il n’acceptait pas d’être quitté. »
*Ce chiffre prend en compte les couples « officiels » et « non officiels » (petit ami, amant, relation épisodique).