REPORTAGEHabitat indigne, «au début, je n’ai rien vu, la misère était camouflée»

Logements indignes en Ile-de-France: «Au début, je n’ai rien vu, la misère était camouflée»

REPORTAGEFatima, 37 ans, vit avec famille depuis neuf ans dans un logement indigne situé à Saint-Denis…
Romain Lescurieux

Romain Lescurieux

L'essentiel

  • Fatima et sa famille ont longtemps ignoré que l’immeuble où ils habitent était frappé d’un arrêté de péril « non imminent ». Et ce, depuis septembre 1993.
  • Depuis des mois, la famille ne dort plus dans une chambre du logement à cause de la présence de plomb. « Ça fait trop mal à la gorge. »
  • En Ile-de-France, on dénombre 157.300 logements privés potentiellement indignes, selon une étude de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Ile-de-France (IAU) publiée ce lundi.

Depuis des mois, ils ne dorment plus dans la chambre de leur appartement. « La nuit, on s’installe dans le salon. Mon fils et mon mari sur le canapé, moi je fais comme je peux, parfois par terre », explique Fatima, 37 ans. Avec sa famille, ils habitent dans un appartement de la rue Chaudron à Saint-Denis, depuis maintenant neuf ans.

« A l’époque je cherchais un logement en urgence et je suis tombée sur cet appartement. Mais je n’ai rien vu. En fait, la misère était camouflée », déplore-t-elle, près de sa porte d’entrée. Car quelques mois plus tard, Fatima commence à découvrir les premiers problèmes qui s’avèrent être de véritables dangers.

Fuites d’eau, risques d’incendie, plomb et cafards

Absence initiale de chauffage, fuites d’eau, risques d’incendie, coups de jus inopinés, fenêtre sans garde-corps durant un an… Dans cet appartement de 30 m2 au loyer avoisinant les 600 euros, les conditions de vie de cette famille se dégradent à une vitesse folle. Dernier problème en date : la présence de plomb. En plus de l’humidité, la chambre en est infestée. « On ne peut pas dormir dans cette pièce, ça fait trop mal à la gorge donc ça nous sert de débarras. On ouvre aussi les fenêtres du salon, mais en hiver c’est compliqué », détaille Fatima. Aussi, durant longtemps elle ignorait que l’immeuble était frappé d’un arrêté de péril « non imminent » depuis septembre 1993.

« Il est reconnu comme présentant un danger pour la sécurité des habitants », précise Morgan Pinoteau, chargée de projet à l'Association des familles victimes de saturnisme (AFVS) qui aide notamment Fatima dans ses démarches. Car dans son cas, le propriétaire n’avait pas le droit de louer cet appartement et de demander des loyers. « Cet immeuble peut tomber à n’importe quel moment », enchérit Fatima, qui évoque la peur après le récent drame de Marseille. A cela s’ajoutent les nuisibles : cafards, punaises, souris. « La nuit on les entend », déplore-t-elle. « Un jour, je regardais les dessins animés et j’ai vu les souris. Et une fois quand je dormais, il y avait un cafard à côté de moi. Ça me fait peur », poursuit son fils de 8 ans.

Ce logement fait partie des 157.300 logements potentiellement indignes – car en péril et insalubres – recensés dans le parc privé en Ile-de-France, selon l’étude L'habitat dégradé et indigne en Ile-de-France de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Ile-de-France (IAU) et de la Direction régionale et Interdépartementale de l’hébergement et du logement (Drihl)​ publiée ce lundi. « Ce logement est également indécent car il ne respecte pas les critères du décret de 2002 sur la décence des logements », précise Morgan Pinoteau. Un phénomène qui continue d’évoluer, comme le rappelle la Fondation Abbé-Pierre.

« Je ne vais pas pleurer, j’ai des droits »

« C’est compliqué de dire que ça s’aggrave. Néanmoins il y a un certain nombre d’indicateurs qui montrent que les mauvaises conditions d’habitat perdurent et se renouvellent, notamment via des nouvelles formes, comme la division pavillonnaire, qui conduit in fine à de l’habitation indigne », affirme Eric Constantin, directeur de l’agence régionale Ile-de-France de la Fondation Abbé-Pierre. « On peut craindre une catastrophe comme à Marseille. Les causes peuvent être différentes mais rappelons que d’une manière ou d’une autre le logement peut rendre malade ou tuer », ajoute-t-il.

Fatima a alerté et envoyé des courriers notamment à son agence et à la mairie de Saint-Denis. Contacté par 20 Minutes, le cabinet du maire dit suivre de près ce dossier. « Nos services travaillent dessus. Nous avons fait des visites. Nous allons saisir l’Agence régionale de santé (ARS) pour obtenir un arrêté irrémédiable d’insalubrité et de péril. Cela permettra d’accélérer la procédure de relogement », indique-t-on au cabinet.

Une procédure en restitution des loyers indûment perçus a également été lancée par Fatima avec l’AFVS. « Ils doivent lui rembourser. Si toutefois le propriétaire est solvable », indique Morgan Pinoteau. Si Fatima se bat, c’est pour elle, sa famille mais aussi pour les autres. « J’aimerais que personne ne tombe dans le même panneau que moi », rembobine-t-elle. Les coups de pelleteuse dans ce quartier en mutation, résonnent dans son appartement. L’immeuble adjacent et celui situé en face sont sous le coup d’un permis de démolir. Désormais, Fatima espère changer vite de logement, entre combat et moment de doute. « Mais je ne vais pas pleurer, j’ai des droits. Pourquoi je pleurerais ? »