«J’aime parler à des personnes qui ont des sentiments»... A SOS Homophobie, les coups de fil se multiplient
REPORTAGE•Alors que la France connaît une série d’agressions homophobes, l’association SOS Homophobie a enregistré une hausse d’appels de 34 % entre septembre 2017 et septembre 2018, sur sa ligne d’écoute…Romain Lescurieux
L'essentiel
- L’association a enregistré une hausse d’appels de 34 % entre septembre 2017 et septembre 2018.
- Sur cette ligne, les bénévoles écoutent, accompagnent, orientent, rassurent.
Il est 20 heures et deux minutes. Dans une petite pièce éclairée par une lampe de bureau, dans un local dont l’adresse est tenue secrète, le téléphone fixe sonne. « Bonsoir, je vous appelle mais ce n’est pas la première fois… », lance une voix hésitante. Celle d’un jeune homme. Il commence son histoire. « Je m’excuse si je suis un peu lent. Je cherche mes mots », prévient-il, très vite. « Ne vous inquiétez pas, j’ai tout mon temps », répond à l’autre bout de la ligne, son interlocuteur d’un soir, Philippe*, « écoutant » et responsable de la ligne d’écoute de SOS Homophobie.
« Femme trans agressée », « peur de l’homophobie ambiante »
Il pèse ses mots, en note sur une feuille, rebondit sur des silences. Surtout, il rassure ce jeune homme confronté à une situation de rejet, de discriminations et d’une crainte de menaces physiques liées à son homosexualité. Ce dernier entre dans des détails, entrecoupés par des « j’arrive maman, je suis au téléphone avec une amie ». Philippe, ne sourcille pas, et reprend le fil de la conversation. Sur un écran encastré dans une armoire informatique, l’objet des précédents appels s’affiche : « Une femme trans agressée plusieurs fois par des hommes », « homophobie de voisinage », « peur de l’homophobie ambiante ». Et pour cause.
Depuis plusieurs semaines, la France connaît une série d’agressions homophobes. Dernière en date, dans l’agglomération de Rouen, où un jeune homme a été victime d’un guet-apens. Le parquet a ouvert une enquête pour agression homophobe, séquestration et extorsion. A Paris, les agressions homophobes et transphobes s’accumulent aussi dans la rue, sur des places au cœur de la capitale ou encore dans des VTC.
Le président de la République, Emmanuel Macron, a dénoncé ce lundi les violences homophobes comme étant « indignes de la France ». Mardi, les ministres ont annoncé différentes mesures pour « ne plus voir ces agressions intolérables », a assuré Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre, chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations.
Hausse d’appels de 34 %
Selon les derniers chiffres communiqués par la préfecture de police de Paris, les faits constatés depuis le début de l’année dénotent d’une baisse des agressions homophobes : 151 faits ont été constatés au cours des neuf premiers mois de 2018 contre 171 pour la même période en 2017, soit 11,7 % en moins. « Il faut être prudent avec les chiffres car un certain nombre de victimes d’actes homophobes ne se rendent pas à la police », précisait récemment à 20 Minutes, Joël Deumier, président de SOS Homophobie.
D’après leurs chiffres, en un an, les agressions physiques signalées à l’association ont augmenté de 15 % et de plus 30 % sur les hommes homosexuels. Par ailleurs, SOS Homophobie a enregistré une hausse d’appels de 34 % entre septembre 2017 et septembre 2018, sur sa ligne d’écoute. Mis en place en 1994, ce canal anonyme – ouvert 24 heures par semaine – témoigne aujourd’hui d’une réelle libération de la parole, dans un contexte « violent » et « instable », notent les bénévoles.
« On ne doit plus banaliser »
« Il y a beaucoup plus d’appels de personnes qui nous contactent pour des agressions physiques LGBTphobes. Les gens osent appeler, témoigner, montrer la réalité de la violence. Comme sur les réseaux sociaux. Il y a la volonté de sortir du silence pour dire “ça existe encore en 2018”. On ne doit plus banaliser », détaille Philippe. Lui et les autres bénévoles recueillent également des cas d’insultes, de discrimination au travail, à l’école, de harcèlement, de mal-être au quotidien. « C’est aussi la situation instable, floue, d’attente, liée à la PMA, qui crée cette violence », ajoute Philippe.
Les témoignages viennent de toute la France, de tous les âges, et toutes catégories socio-professionnelles. Les bénévoles écoutent les souffrances, accompagnent et parfois orientent vers la commission de soutien juridique qui indique notamment comment porter plainte. A côté de Philippe, Léa* prend des notes. Elle suit actuellement la formation pour devenir « écoutante ». Une envie motivée par sa propre expérience.
« Ça fait vraiment du bien, merci. »
« Dans ma vie, ça s’est plutôt bien passé. Mais lors d’un stage, je me suis retrouvé dans un milieu homophobe, avec beaucoup d’insultes comme “pédé” ». Il ne faut jamais oublier le caractère homophobe qu’il y a derrière et qui peut atteindre des gens », dit-elle. Et d’ajouter : « J’ai pris conscience que j’avais envie de faire quelque chose de positif pour aider ceux qui rencontrent des difficultés ».
Au bout du téléphone, l’interlocuteur de Philippe s’apprête à raccrocher. Peut-être rappellera-t-il dans les prochains jours. Après une heure de conversation, il tient à lui dire « une dernière chose ». « Ce que j’aime bien avec cette ligne, c’est de parler à des personnes extérieures, qui ont des sentiments, et formées aux thématiques LGBT. Ça fait vraiment du bien. Merci. »
* Les prénoms ont été modifiés.
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