Grand Paris Express: «Mails codés», «cartes cachées dans les coffres»... Les secrets de la genèse du projet dans un livre passionnant
INTERVIEW•Directeur du développement à la RATP, puis directeur de la mission de préfiguration du Grand Paris, Pascal Auzannet a été un acteur clé du projet Grand Paris Express. Sur la base de notes confidentielles et d'archives, il revient dans un livre sur les coulisses de ce projet monumental...Mickaël Bosredon
L'essentiel
- Pascal Auzannet remonte à l'origine du projet, en 2004 avec Métrophérique.
- Il revient sur ceux qui ont oeuvré en coulisses pour que le projet avance.
- Sous Christian Blanc, la confidentialité était de mise...
Alors qu’un calendrier se dessine enfin pour la réalisation du Grand Paris Express, suite à une lettre de la ministre Elisabeth Borne aux élus franciliens, qui précise que toutes les lignes se feront, mais avec une priorité donnée aux tronçons promis pour les JO 2024, Pascal Auzannet vient de sortir un livre Les secrets du Grand Paris qui revient sur la genèse de ce projet monumental. Directeur du développement à la RATP puis des RER de 2002 à 2009, il a ensuite dirigé la mission de préfiguration du Grand Paris. Depuis 2014, il est président d' Ixxi, filiale digitale de la RATP.
Pour son ouvrage, Pascal Auzannet a fait appel à sa mémoire, ressorti des archives, exhumé des notes confidentielles, et a réinterrogé des acteurs clés du projet de super métro de 200 km et 68 gares autour de Paris. Passionnant, le livre révèle quelques anecdotes savoureuses, nous ouvre les portes des réunions au sommet, et surtout montre à quel point les rivalités politiques, les enjeux économiques, les batailles de territoires étaient tel que c’est presque un miracle de voir ce projet enfin se réaliser…
Finalement, dans Les secrets du Grand Paris, on apprend que l’origine du Grand Paris Express, c’est la RATP ?
La RATP a été au départ du projet. On a jeté le pavé de la mare en 2004 avec la présidente de l’époque, Anne-Marie Idrac, avec un projet de métro en rocade, qui est finalement le cœur du projet du Grand Paris Express. Il nous fallait un grand projet pour fédérer l’entreprise, et au regard des courbes de trafic, de l’organisation des transports franciliens en radiales vers Paris, ce métro circulaire s’imposait. Après, il a fallu convaincre tous les acteurs, et nous avons ramené à nous les élus, un à un.
Pour cela, la RATP va se « servir » des médias, en organisant des fuites. Vous-mêmes lâchez une première « bombe », en 2004 dans Le JDD, puis Pierre Mongin en lâche une seconde, en 2006 dans 20 Minutes…
Oui, la première c’est fin 2004 dans Le JDD quand nous décidons avec Anne-Marie Idrac de faire fuiter le projet de métro en rocade. L’impact a été énorme, il y a eu des réactions de partout. Cela nous a un peu dépassés, et on en a pris plein la tête. Mais il fallait avoir le courage de le faire, et on décide de continuer d’avancer sur le projet. Celui-ci évolue avec une nouvelle mouture en 2005. Pierre Mongin prend la présidence de la RATP en 2006, et c'est dans 20 Minutes qu'il fait fuiter le nouveau projet. Je me souviens que, la veille, il m’avait demandé si j’avais un nom pour celui-ci. J’en avais trois, je lui fais donc une note. Finalement, il a retenu le nom de « Métrophérique », en changeant le « f » initial pour ferré par « ph » pour périphérique. Le jour de la parution de l’article, Huchon [le président socialiste de la Région Ile-de-France] était furieux de découvrir cela dans la presse. C’est pourquoi après, il a surnommé ce projet le « métroféérique »…
Il est difficile de coller le nom d’un homme politique derrière le projet, mais il y a tout de même deux élus qui vont jouer un rôle essentiel, le communiste Christian Favier et l’UMP Jacques J.P. Martin, pourtant adversaires politiques dans le Val-de-Marne…
Ils ont fait un boulot terrible en faveur de ce projet, et sur ce dossier ils ont été extrêmement solidaires. Et lorsqu’ils montent leur association Orbival, je décide tout de suite de l’infiltrer de manière très « trotskiste », en lui adjoignant une équipe d’ingénieurs 100 % RATP. Donc dans le Val-de-Marne ça marche, mais pas du tout en Seine-Saint-Denis, où le projet fait un pschiiit total avec l’équipe en place. Et dans les Hauts-de-Seine, les élus ont eu du mal à se fédérer entre eux.
Le projet avance donc lentement. Puis arrive 2007, l’élection à la présidence de Nicolas Sarkozy et la nomination de Christian Blanc comme secrétaire d’Etat au Grand Paris. Cela change tout ?
S’il y a un nom à garder derrière le projet, c’est celui de Christian Blanc évidemment. C’est lui qui va porter la vision du Grand Paris. Pourtant, à son arrivée, il n’accroche pas sur le projet de métro en rocade. Mais il écoute, et finalement adhère au schéma, en réintégrant 75 % du projet initial de Métrophérique. Localement, les choses évoluent aussi, avec l’élection de Claude Bartolone à la tête de la Seine-Saint-Denis. Je vais le voir pour le convaincre de travailler ensemble, et lui va jouer un rôle avec Huchon qui traînait des pieds.
Le projet prend alors une autre dimension, passe de 130 à 155 km, inclut 40 gares. Et, surprise, intègre des quartiers « politiques de la ville » en Seine-Saint-Denis, alors que ce n’était pas prévu au départ…
C’est une surprise en effet. Mais l’audace de Christian Blanc, elle est là, et il réussit une parfaite opération avec cela. Au final, il y aura une double boucle en Seine-Saint-Denis, permettant d’irriguer également le cœur du département. Il y a des points de friction, évidemment, notamment sur la taille des matériels : certains comme Claude Dilain – ancien maire de Clichy-sous-Bois – ne veulent pas de trains plus petits que les autres, au nom de l’égalité des territoires ! Mais au final on avance bien. La méthode de Christian Blanc est la bonne : il concerte, tout en réclamant une extrême confidentialité aux équipes. On échange avec des mails codés, les cartes des ingénieurs doivent être enfermées tous les soirs dans des coffres, qui ne ferment pas mais cela, c'est une autre histoire…
En revanche, avec l’arrivée de François Hollande en 2012, le projet connaît un sérieux coup d’arrêt ?
La gauche se retrouve mal à l’aise avec ce projet initié sous Sarkozy. Pourtant c’était un bon projet qui reposait sur la co-construction et qui vise à une amélioration des territoires. Les coûts s’envolent pour atteindre les 35 milliards d’euros et un rapport de la cour des comptes descend le projet. C’est un gâchis. La lettre d’Elisabeth Borne envoyée aux élus il y a quelques jours le remet sur les rails, mais on a perdu du temps.
« Les secrets du Grand Paris », éditions Hermann, 20 euros.