ATTENTATUn an après l'attentat d'Osny, les surveillants restent sur le «qui-vive»

Un an après l'attentat dans la prison d'Osny, les surveillants restent sur le «qui-vive»

ATTENTATIl y a un an, un détenu radicalisé de la maison d’arrêt d’Osny blessait grièvement deux surveillants, commettant ainsi la première attaque terroriste en milieu carcéral…
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • Le 4 septembre 2016, deux surveillants étaient grièvement blessés par un détenu, Bilal Taghi.
  • Très fragilisés psychologiquement et physiquement, ils sont toujours en arrêt maladie.
  • Cet attentat – le premier dans le milieu carcéral – a entraîné la fin de l’expérimentation des unités dédiée à la lutte contre la radicalisation.

Depuis un an, Cyril* ne peut s’empêcher de se poser « chaque jour » la même question. « Pourquoi pas moi ? » Pourquoi, il y a un an jour pour jour, Bilal Taghi, détenu radicalisé de la maison d’arrêt d’Osny dans le Val-d’Oise, a tenté d’assassiner ses deux collègues et non lui ? « J’avais acquis la conviction que s’il y avait un passage à l’acte, je faisais une cible idéale », confie le surveillant, fort de quinze ans d’expérience. Il s’occupait alors du terrain de sport sur lequel, tous les mardis matin, les détenus de l’unité dédiée à la prévention de la radicalisation venaient s’entraîner. « Nous n’étions que deux pour gérer quinze détenus, sur un terrain relativement isolé et nos vieux Motorala ne captaient qu’une fois sur deux. Ça nous rendait particulièrement vulnérable. »

La thèse d’une action concertée au cœur de l’enquête

C’est finalement dans les coursives que Bilal Taghi a mis son plan à exécution. Ce dimanche 4 septembre 2016, peu après 15 heures, le djihadiste, qui venait d’écoper de cinq ans de prison pour avoir tenté de rallier la Syrie avec femme et enfant, plante un poinçon de 15 cm, fabriqué dans sa cellule, dans le dos du surveillant venu le conduire en cour de promenade. Il lui transperce ensuite la gorge, l’arme ne passe qu’à 2 mm de la carotide. A un second gardien venu porter secours, le terroriste assène un coup au visage puis au bras. Presque « miraculeusement », tous deux ont survécu mais sont toujours en arrêt maladie.

Bilal Taghi, 25 ans, a été mis en examen pour « tentative d’assassinat terroriste ». Jamais, il n’a cherché à minimiser son implication. Bien au contraire, audition après audition, il assure qu’il souhaitait la mort de ses victimes et promet un nouvel attentat dès qu’il en aura l’occasion. Mais derrière ses sorties bravaches, les enquêteurs de la sous-direction antiterroriste (SDAT) cherchent à mettre en lumière d’éventuelles complicités, au sein même de l’unité dédiée à la lutte contre la radicalisation.

A Osny, les surveillants en sont persuadés, l’attaque était concertée et aurait dû être beaucoup plus importante. « L’attitude des autres détenus, très calmes, et certains gestes enregistrés par les caméras de surveillance questionnent sur la passivité du reste du groupe », reconnaît une source pénitentiaire. Comme le révélait Le Monde, après l’attaque, un détenu a glissé un bris de miroir sous une porte, puis tente de faire de même avec un portable. La fouille des cellules a permis de découvrir plusieurs téléphones mais également un bout de bois grossièrement taillé ou une lame de rasoir. Mais pour l’heure, Bilal Taghi est le seul mis en examen.

« On pensait vraiment qu’il était récupérable »

Quelques semaines après l’attaque, le gouvernement a mis fin à l’expérimentation des unités dédiées. « Il a fallu un drame pour qu’on nous écoute enfin, se désole Michel, délégué CGT de la maison d’arrêt. Pendant des mois, on n’a pas arrêté de répéter que ces unités étaient des bombes à retardement. Mettre des détenus partageant une même idéologie radicale ensemble, ça ne pouvait qu’exploser. » La prise en charge des détenus radicalisés est devenue, au fil des retours de Syrie, un véritable casse-tête. Comment éviter que leur idéologie ne dépeigne sur des détenus plus vulnérables ? Qui est vraiment repenti, qui joue la comédie ? « Bilal Taghi, on pensait vraiment qu’il était “récupérable”, se souvient Cyril. Il n’était pas agressif ni renfermé. Quinze jours avant l’attaque, on l’a même sélectionné pour participer à un tournoi d’Ultimate [sport collectif utilisant un frisbee] avec d’autres détenus. »

Les unités dédiées ont été remplacées par des quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER). Le premier a ouvert à Osny en février, cinq autres ont suivi. Ils sont actuellement treize détenus dans ce quartier de la maison d’arrêt du Val-d’Oise. Pendant quatre mois, surveillants, psychologues, assistants sociaux évaluent leur degré de dangerosité avant de les dispatcher dans différents établissements en fonction de ce diagnostic. « Après l’attaque d’Osny, on a arrêté le regroupement de détenus radicalisés et on s’est rendu compte que pour améliorer la prise en charge, il fallait mieux connaître le degré d’engagement violent », explique une source pénitentiaire. Elle reconnaît néanmoins que le « fond de la prise en charge n’a pas été révolutionné ».

« On sait que le risque zéro n’existe pas »

La sécurité a été renforcée. Plus de caméras de surveillance, rénovation des cellules pour qu’aucun élément ne puisse être détaché, portiques de détection… Les effectifs ont également été renforcés et les process revus. Désormais, pour chaque tâche, même la plus basique, les surveillants sont deux voire trois. Laurent*, qui travaille à Osny depuis 1997, s’est porté volontaire pour y être affecté. « On a plus de responsabilités que dans des quartiers classiques, on est en lien avec différentes professions », explique-t-il. S’il ne travaille pas la « peur au ventre », l’idée d’une nouvelle agression est toujours présente. « On sait bien que le risque zéro n’existe pas et que les gens en face de nous ne sont pas des enfants de chœur mais nous sommes mieux équipés, il y a plus de gradés dans l’équipe », poursuit-il.

La peur d’une « attaque anniversaire »

Malgré les précautions prises par l’administration pénitentiaire, l’expérimentation des QER n’a pas été vue d’un bon œil par une partie du personnel. « C’est la même chose, on a juste changé le nom de l’unité, déplore le délégué CGT. On continue de mettre dans une même aile tout ce beau monde, ils restent juste un peu moins longtemps. » D’autant que malgré les travaux engagés, l’aile se trouve à côté du quartier des arrivants.

L’anniversaire de l’attentat a fait ressurgir les souvenirs et les inquiétudes qui peu à peu s’étaient dissipées. « On est toujours sur le qui-vive mais depuis quelques jours on redouble d’attention », assure Laurent, qui confie, comme ses collègues redouter une « attaque anniversaire ». Aucune commémoration n’a d’ailleurs été organisée. « C’est pas vraiment un anniversaire dont on a envie de se soutenir », lâche Michel.

* Les prénoms ont été changés à la demande des intéressés.