Plongée dans les faits divers parisiens: Une bombe explose au Palais-Bourbon
RECIT•Le 9 décembre 1893, une bombe explose dans l'hémicycle de la Chambre des députés, à Paris. L’auteur s’appelle Auguste Vaillant. Un anarchiste de 33 ans…Romain Lescurieux
Tout l’été, 20 Minutes, revient sur les grands faits divers qui ont marqué Paris en partenariat avec Retronews, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France. Aujourd’hui, l’attentat d’Auguste Vaillant, en 1893.
Panique dans l’hémicycle. « Un lâche attentat a été commis à la Chambre des députés. Une bombe, lancée par une main criminelle, a fait explosion dans la salle des séances, projetant dans toutes les directions sa mitraille. Le sang a coulé ; les blessés sont nombreux ; par grand bonheur, il n’y a pas de morts », introduit Lucien Victor-Meunier dans son article publié dans le journal Le Rappel du 11 décembre 1893. « La lueur a été rouge, en gerbe », poursuit celui qui était présent dans la salle au moment des faits. En partenariat avec « Retronews », 20 Minutes vous fait revivre cet événement qui a secoué la 3e République.
« On veut fuir »
Il est 16 heures, ce 9 décembre 1893. Les députés viennent de voter un grand nombre de projets de lois d’intérêt local quand, soudain, du haut des tribunes, un individu lance une bombe chargée de clous et de morceaux de métal, en plein cœur de l’hémicycle. Une forte détonation retentit. Dans une épaisse fumée, l’incompréhension règne. « Les députés sont debout, désignant l’endroit d’où est partie la bombe. Dans les tribunes, la confusion est indescriptible. On veut fuir », décrit Lucien Victor-Meunier. Les blessés sont nombreux. Près d’une soixantaine parmi les parlementaires et le public.
Le président Charles Dupuy, debout, les bras en l’air, lance : « Messieurs les députés, dit-il, la séance continue ». Applaudissements. Charles Dupuy reprend. « Il est de la dignité de la Chambre et de la République que de pareils attentats, d’où qu’ils viennent et dont, d’ailleurs, nous ne connaissons pas la cause, ne troublent pas les législateurs ». De nouveau, des applaudissements. La séance sera levée quelques instants plus tard, mais une question reste toutefois en suspend et hante tous les esprits : Qui est derrière ce geste ?
« C’est un acte de justice sociale, vive l’anarchie ! »
Très vite, un homme est arrêté : Auguste Vaillant, 33 ans. « La police a pu facilement découvrir qu’il était l’auteur de l’attentat. Vaillant avait pris lui-même la peine de se désigner à son attention par son attitude », souligne le journal L’Intransigeant, à l’origine de l’information. Placé en garde à vue, Auguste Vaillant se fait « travailler » par quatre agents de la Sûreté, dans une pièce isolée de l’Hôtel-Dieu, après leur passage au domicile du suspect à Choisy-le-Roi (Val-de-Marne).
« Pourquoi avez-vous commis ce crime ? », questionne l’un des policiers. « Ce n’est pas un crime. C’est un acte de justice sociale, vive l’anarchie ! ». L’agent poursuit son interrogatoire. « Vous avez des complices ? ». « Pas dans l’attentat. Dans sa préparation, oui. Nous avons tiré au sort. C’est moi qui ai gagné. J’ai été malheureux, je n’ai pas réussi, c’est tant pis. D’autres seront plus heureux que moi, vive l’anarchie », conclut Vaillant.
« Son acte est réfléchi et son objectif identifié »
Celui qui est surnommé Marchal, ancien gamin des faubourgs abandonné par ses parents, voulait faire entendre « le cri de toute une classe qui revendique ses droits », s’en prendre à la bourgeoisie, aux institutions et aux parlementaires corrompus. « Il s’agit de la propagande par le fait. Son acte est réfléchi et son objectif identifié au moment du scandale de Panama », analyse Vivien Bouhey, chercheur à Paris 1 (Panthéon-Sorbonne) et auteur de Les Anarchistes contre la République de 1880 à 1914 : Radiographie du mouvement anarchiste français.
Autre raison à son geste : Défendre les camarades arrêtés et venger l’exécution de son ami Ravachol, grande figure de l’anarchisme. « A partir des années 1890, ce mouvement a pris de plus en plus d’ampleur et compte à Paris 200 militants. L’attentat de Vaillant représente son apogée et son point de rupture », précise Vivien Bouhey. Attendu, le procès de Vaillant devient symbolique.
Condamné à mort
Auguste Vaillant le clame haut et fort : il ne cherchait pas à tuer. « Messieurs, dans quelques minutes vous allez me frapper, mais en recevant votre verdict, j’aurai la satisfaction d’avoir blessé la société actuelle, cette société maudite où l’on peut voir un homme dépenser inutilement de quoi nourrir des milliers de familles, société infâme qui permet à quelques individus d’accaparer la richesse sociale (…) Las de mener cette vie de souffrance et de lâcheté, j’ai porté cette bombe chez ceux qui sont les premiers responsables des souffrances sociales », relèveLe Petit Journal.
Une pétition – portée par L’abbé Lémire, blessé dans l’exposition – demandant l’indulgence, recueille à la Chambre soixante signatures. Elle est écartée. Rien n’y fait. Le président Sadi Carnot refuse la grâce. Vaillant est condamné à mort et guillotiné le 5 février 1894. C’est la première fois depuis le début du siècle qu’un homme qui n’a pas tué soit condamné à la peine capitale. S’ensuivent de nombreuses mesures. Et des représailles.
Les « lois scélérates »
« Même si la répression à Paris a commencé vraiment en mai 1891, l’attentat de Vaillant provoque un vrai réflexe de défense républicaine au sommet de l’État. La République montre qu’elle est capable de dire non et d’imposer l’ordre », selon Vivien Bouhey. Car peu de temps après, le Parlementvote les premières « lois scélérates », qui durcissent le ton sur la presse, répriment le mouvement anarchiste, en créant notamment le délit « d’association de malfaiteurs ». « Il y a une vraie répression qui s’abat », poursuit le spécialiste. La police procède dans toute la France à plus de 400 arrestations et condamnations d’anarchistes « A Paris comme en France, le mouvement va quasiment disparaître », analyse-t-il. Après, une nouvelle flambée.
Le 24 juin 1894, l’anarchiste Italien Caserio, assassine le président Sadi Carnot à Lyon en réplique aux « lois scélérates ». Une troisième et dernière loi est votée. Elle interdit alors toute activité anarchiste sur le territoire national. « Le coupe de grâce », conclut Vivien Bouhey. Restera notamment de cette époque une chanson : La Complainte de Vaillant. « Ecoutez l’histoire triste. Qui vient d’tout épouvanter. C’est la vie d’un anarchiste. Anarchiste. Pour s’venger des préjugés. Qu’il prête à la société ».