TERRORISMEJournaliste, traducteur, thésard, l'étrange profil du suspect de Notre-Dame

Attaque à Notre-Dame de Paris: «L’été dernier encore, il me disait qu’Al-Baghdadi était un idiot»

TERRORISMEFarid Ikken, soupçonné d’avoir attaqué au marteau un policier devant Notre-Dame de Paris, était considéré par ses proches comme un homme « occidentalisé », bien loin de tout radicalisme religieux…
Les forces de police sont intervenus après l'agression d'un policier par un homme armé d'un marteau sur le parvis de la cathédrale de Notre-Dame, à Paris le 6 juin 2017.
Les forces de police sont intervenus après l'agression d'un policier par un homme armé d'un marteau sur le parvis de la cathédrale de Notre-Dame, à Paris le 6 juin 2017.  - Martin BUREAU / AFP
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • Le suspect de l’attentat devant Notre-Dame de Paris était inconnu des services de renseignements
  • Ses proches décrivent un homme « occidentalisé », défenseur des « valeurs démocratiques »
  • Il faisait une thèse en France depuis 2013

«Quand j’ai entendu la nouvelle, je me suis dit qu’il y avait une erreur », confie Sofiane Ikken. L’homme qui a attaqué un policier à l’aide d’un marteau sur le parvis de Notre-Dame de Paris mardi après-midi ne peut pas être son oncle. « Inimaginable » même pour cet avocat algérien. Puis, peu à peu, les indices se sont accumulés. Le profil de l’assaillant a fuité dans les médias. Un étudiant algérien de 40 ans, ancien journaliste de surcroît, cela ne court pas les rues. En fin d’après-midi, l’identité du djihadiste présumé a été confirmée. « J’ai appelé le reste de la famille pour leur dire ce qu’il se passait. Personne n’arrivait à y croire. Ce n’était pas du tout un intégriste, il était très doux et très ouvert », assure-t-il.

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Farid Ikken, placé en garde à vue ce mercredi matin, est soupçonné d’avoir asséné un coup de marteau à un policier en patrouille devant l’édifice religieux. Un second fonctionnaire a immédiatement riposté, blessant le suspect au thorax. Le policier agressé a été hospitalisé sans que ses jours ne soient en danger. Au moment de porter le coup, Farid Ikken aurait crié « C’est pour la Syrie » puis aurait affirmé, une fois à terre, être « un soldat du califat ». Sur lui, les enquêteurs ont retrouvé deux couteaux de cuisine. La section antiterroriste du parquet de Paris a ouvert une enquête en flagrance. Lors d’une perquisition menée mardi soir à son domicile de Cergy-Pontoise – en fait, une chambre dans une résidence étudiante – les enquêteurs ont découvert une vidéo dans laquelle il prête allégeance à l’organisation terroriste Etat islamique.

« L’homme que je connais est occidentalisé »

Au-delà de cette nouvelle attaque, qui survient trois jours à peine après celle de Londres, c’est le profil du suspect qui intrigue. Farid Ikken était totalement inconnu des services de police et de renseignement. Rien dans son comportement ne laissait présager un tel passage à l’acte, selon les premiers éléments de l’enquête. Il effectuait depuis 2013 un doctorat en sciences de l’information et de la communication à l’université de Lorraine, à Metz. En 2015, il suit son directeur de thèse, Arnaud Mercier, muté à Paris, en région parisienne. Lui aussi est tombé des nues en découvrant les soupçons qui pèsent contre son élève. « Au début, je me suis dit qu’il s’agissait sûrement d’un homonyme. L’homme que je connais est occidentalisé dans son mode de vie et ses valeurs. Peut-être un peu taciturne et pas très bavard, mais sérieux et d’humeur égale », assure-t-il.

L'assaillant de Notre-Dame a été grièvement blessé par un tir de riposte
L'assaillant de Notre-Dame a été grièvement blessé par un tir de riposte - David Metreau/AP/SIPA

Farid Ikken est arrivé en France en 2013. « Il voulait enseigner à l’université de Béjaïa [en Algérie] mais ses équivalences ne lui permettaient pas de le faire, c’est pour cela qu’il a décidé de reprendre les études », explique son neveu. Il prend alors attache avec Arnaud Mercier et commence à travailler sur le traitement médiatique des élections nationales au Maghreb, un sujet dans lequel il prend « la défense de la démocratie et de la liberté de la presse ». Son CV est déjà bien fourni. Traducteur en Algérie, il émigre en Suède en 2001, pays dans lequel il rencontre sa femme, Suédoise, de qui il divorcera en 2005. En 2008, il obtient une licence en journalisme à Stockholm puis un master en 2010, à l’université d’Uppsala. Il travaille un an pour la radio nationale suédoise avant de rentrer en Algérie, en 2011.

Dans sa région d’origine, Béjaïa, en Kabylie, il monte une petite agence de publicité ainsi qu’un journal local. Il collabore avec le quotidien algérien El Watan, connu pour sa ligne radicalement anti-islam. « Farid Ikken a travaillé, comme correspondant conventionné, à la rédaction d’El Watan de Béjaïa du 1er avril au 31 décembre 2013, neuf mois où il a fait preuve de discipline, mais surtout d’ouverture d’esprit et de tolérance », écrit le quotidien dans un éditorial publié mercredi.

Des soucis psychiatriques ?

Comment Farid Ikken s’est-il radicalisé ? Au contact de qui ? Son neveu le décrit comme croyant et pratiquant, contrairement au reste de sa famille. « Certains sont athés, d’autres chrétiens, cela n’a jamais posé le moindre problème. D’ailleurs, lui ne pratiquait pas avant de partir vivre en Suède », assure-t-il. L’avocat se souvient avoir parlé avec lui de la situation au Proche-Orient et de Daesh la dernière fois qu’ils se sont vus, à l’été dernier. « Pour lui, Daesh était une création impérialiste qui n’avait rien à voir avec l’islam. Il disait qu’Al-Baghdadi était un idiot ».

Arnaud Mercier, non plus, n’a pas vu le moindre « signe ». « On ne parlait pas religion, tout ce que je savais c’est qu’il était croyant et ne buvait pas d’alcool. Mais je ne suis pas sûr qu’il faisait le ramadan. » L’enseignant l’a vu pour la dernière fois en juin dernier. Ils ont échangé quelques mails en novembre mais le doctorant n’a pas répondu à ses sollicitations en décembre pour faire le point sur les avancées de son travail. L’école doctorale de Metz a néanmoins retrouvé un dernier mail de Farid Ikken, daté du 28 mars, dans lequel il s’excusait de ne pas pouvoir participer à une réunion en juillet. « Mais il était comme d’habitude très courtois. »

L’incompréhension est la même chez tous ceux qui l’ont connu. Si bien que sa famille s’interroge sur d’éventuels soucis psychiatriques jamais décelés. « Je ne peux pas interpréter son acte autrement que sous cette optique-là, c’est la seule hypothèse », assure son neveu. Arnaud Mercier a également envisagé cette hypothèse. En juin dernier, Farid Ikken lui avait confié se sentir très seul. Il peinait également à joindre les deux bouts. « Peut-être que ses éléments l’ont fait basculer », avance l’universitaire. Actuellement interrogé depuis son lit d’hôpital, le djihadiste présumé livrera peut-être lui-même les clés de compréhension de son geste.