Paris: «Barbès sans Tati, ce n’est plus Barbès»
SOCIETE•Une banque d’affaire a été mandatée pour vendre les 140 boutiques de cette filiale discount du groupe Eram...
Romain Lescurieux
«Je suis admiratif d’avoir ces voisins qui osent quelque chose de différent dans le quartier. Cette brasserie branchée va amener aussi une clientèle qui va découvrir mon magasin », se réjouissait en avril 2015, Stéphane Pradier, directeur de Tati Barbès (18e arrondissement) en contemplant du dernier étage de son magasin, la Brasserie Barbès.
Deux ans plus tard, tout a changé. Stéphane Pradier est parti et les clients ne semblent pas avoir davantage répondu à l’appel, comme le nouveau directeur qui ne souhaite pas rebondir à nos questions sur l’actuelle situation. Et pour cause. En perte de vitesse, la célèbre enseigne griffée d’un vichy rose et blanc, âgée de presque 70 ans, est aujourd’hui en mauvaise posture.
« La priorité, c’est de sauvegarder des emplois »
Récemment, une banque d’affaire a été mandatée pour vendre les 140 boutiques de cette filiale discount du groupe Eram.Environ six repreneurs sont actuellement positionnés. Pour quel avenir ? « Nous ne savons rien. Il n’y a rien de concret, nous sommes toujours dans le flou », esquisse ce jeudi une des 1.700 salariés de Tati, sous couvert d’anonymat.
Que ce soit une reprise ou un changement total, tout semble possible à ce stade et les discussions se poursuivent. Eram précise toutefois que « la priorité, c’est de sauvegarder des emplois ». Mais à Barbès, certains n’osent pas n’imaginer la fermeture d’un des symboles du quartier et vaisseau amiral de la marque, fondée par Jules Ouaki en 1948.
« Je viens tout acheter ici »
Depuis près de quarante ans, Dana, 68 ans, fait le trajet Clamart - Barbès Rochechouart au moins une fois par semaine. « Je viens tout acheter ici. Tati doit rester ouvert. Notamment car ça fait partie de l’âme du quartier ». Non loin, Hichem, qui travaille dans le quartier depuis plusieurs années, dresse aussi ce constat.
« Barbès sans Tati, ce n’est plus Barbès. C’est aussi une sorte d’icône via les clips, les films. C’est connu jusqu’au bled », rigole-t-il, crayon sur l’oreille. Il reconnaît toutefois y aller de moins en moins, depuis un certain temps. « Tati est devenu mamie. Il faudrait quand même un peu de changement », note le jeune homme. « Il faut redynamiser tout ça », lâche Henri, un retraité né à Barbès, le journal sous le bras. « Sans le côté bobo de certains établissements », nuance-t-il en regardant vers la fameuse Brasserie.
Une envie de nouveauté qui est en substance partagée par d’autres habitants, malgré des tentatives de rajeunissement opérées par la marque, notamment avec le retrait des bacs à l’extérieur.
Tati, victime de la gentrification ?
« Je n’y ai pas mis un pied depuis peut-être trente ans. Maintenant ce n’est plus intéressant. Surtout au niveau du prix », lâche Farida, la soixantaine. « Tati c’est emblématique, si ça disparaît c’est un pan de l’histoire de Barbès qui part. Ça fera un petit pincement mais le Tati historique n’existe plus depuis longtemps, en réalité », réagit auprès de 20 Minutes, Jean-Raphaël Bourge, habitant « averti » du quartier, membre du conseil d’administration d’Action Barbès et auteur d’un blog sur « l’histoire et la vie » de la Goutte d’Or.
Jean-Raphaël Bourge réfute une quelconque « boboïsation » massive de ce coin du 18e arrondissement. Selon lui, « le quartier est encore très mélangé grâce de nombreux logements sociaux. Ce qui freine ce phénomène de gentrification. Et c’est une bonne chose ».