Vol de 48 kilos de cocaïne au «36»: «C'était pas facile de trouver quelqu'un pour racheter tout ça»
PROCES•Farid Kharraki, l’un des principaux prévenus dans le vol de cocaïne du 36, Quai des Orfèvres accuse l’ancien brigadier Jonathan Guyot. Et glisse au passage qu’il aurait bénéficié de complicités...Caroline Politi
C’est peu dire que Farid Kharraki a le sens du spectacle. Prévenu aux côtés de huit autres personnes dans le vol de cocaïne du 36 quai des Orfèvres, l’homme à la mine patibulaire, regard noir perçant et cheveux gominés, s’est livré pendant près de trois heures à un véritable show dans la 14e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Surtout, il a maintenu ses accusations de la veille et accusé l’ancien brigadier Jonathan Guyot, à ses côtés dans le box, d’avoir sorti plus de 48 kilos de cocaïne du mythique siège de la PJ parisienne.
Farid Kharraki le reconnaît sans ambages, à l'époque, il se livrait à du « trafic de stups ». Du cannabis, exclusivement. Pourtant, lorsque le 10 ou 11 juillet 2014, soit environ deux semaines avant la nuit du vol, le brigadier l’aurait chargé de trouver quelqu’un capable d’écouler une grosse quantité de cocaïne, il accepte de jouer les intermédiaires. « C’était pas facile de trouver quelqu’un qui rachète tout ça. » Savait-il d’où venait la drogue ? Le policier, assure-t-il, lui a donné peu de détails sur l’opération, mais il n’a aucun doute, « c’est lui qui a sorti la cocaïne ». Sous-entendu : de la salle des scellés. « Il m’a dit qu’il fallait faire vite, parce qu’ils voulaient les brûler [les pains de drogue] ».
200.000 euros de commission
Après « dix ou douze jours » de recherche, son choix se fixe sur un homme. Qui ? « Pour ma sécurité, je ne peux pas le dire. » S’agit-il de son ami de poker, Moussa Bouzembrak, prévenu dans le dossier et actuellement en fuite ? « Je vous assure qu’il n’a rien à voir avec tout cela ». C’est bien le seul point sur lequel il refuse de s’exprimer. Selon ses dires, la transaction a eu lieu dans la nuit du 24 au 25 juillet, juste après le vol. Le kilo de cocaïne a été négocié à 25.000 euros et lui, doit toucher 200.000 euros de commission. « Vous avez eu l’argent ? », l’interroge le président. « Bah oui, j’ai fait mon travail. »
La suite est plus floue. Selon ses dires, Jonathan Guyot « arrive sans la marchandise. Ce sont deux autres personnes qui l’ont en leur possesion ». « Qui ? », l’interroge le président. « Je ne sais pas ». A plusieurs reprises, dans l’après-midi, l’intermédiaire a sous-entendu que le brigadier avait bénéficié de complicité au sein même du « 36 ». « Il n’a pas fait cela tout seul ? », l’interroge la procureur. « Ça c’est sûr ! ». Et d’ajouter : « Il ne peut pas rentrer au « 36 » comme ça et faire ses courses comme chez Auchan ». Mais il ne donne ni nom, ni information permettant d’identifier d’éventuels complices. Et refuse d’identifier Jonathan Guyot sur les images de vidéosurveillance. « Je ne suis pas l’IGPN, moi ! »
« J’étais son client »
A l’autre bout du box des prévenus, Jonathan Guyot l’écoute. Visage fermé, bras croisés. L’ancien brigadier des « Stups » n’attend qu’une chose : pouvoir réagir aux accusations qui le mettent en cause. Car au-delà même de cette affaire, Farid Kharraki assure qu’ils étaient en cheville dans un trafic de cannabis. Les deux hommes se sont rencontrés au printemps 2013. C’est Farid Kharraki lui-même qui a pris contact avec la brigade pour se venger de « personnes qui ont voulu l’escroquer » mais il se défend d’être un indic’. Il assure que le brigadier lui aurait fourni 90 kilos de résine sur une période de six mois. « Quand je récupérais la marchandise, c’est comme si je me fournissais chez un grossiste. » L’homme a le sens de la formule et multiplie les punchlines qui font sourire la salle. Ce trafic, assure-t-il, lui a rapporté près de 100.000 euros, et 50.000 euros à Jonathan Guyot. « J’étais son client. Il me vendait de la marchandise », répète-t-il.
Version contre version
Quand vient enfin le moment pour Jonathan Guyot de s’expliquer, l’ancien policier peine à contenir sa rage. « Je bous intérieurement, je suis sous le coup de l’émotion. » A ses yeux, les accusations de Farid Kharraki ne sont qu’une « tactique, une stratégie pour s’attirer les bonnes grâces » du tribunal. Et ne plus être considéré comme un « indic » dans le milieu.
Puisque Farid Kharraki a fait des révélations, lui aussi veut en faire : l’argent retrouvé dans son sac à dos au moment de son interpellation et celui qui était caché chez ses deux amis d’enfance appartenait en réalité à Farid Kharraki. Au total, les juges d’instruction ont estimé les sommes à 400.000 euros. « Début juillet, Farid me demande de garder l’argent parce qu’il a fait un gros coup, le temps qu’il aille au Maroc. » Pourquoi accepte-t-il de se livrer à un acte qui pourrait ruiner sa caractère? Aujourd’hui encore, il peine à se l’expliquer. Peut-être pour asseoir la confiance de son « indic ». A côté de lui, Kharraki mime un joueur de pipeau…