Vol de cocaïne au «36»: Pour la première fois, un prévenu accuse l'ex-policier des «Stups»
PROCES•Pour la première fois, l’un des principaux mis en cause dans le dossier a clairement mis Jonathan Guyot en cause…Caroline Politi
D’un bond, il se lève. Les yeux noirs perçants, les traits tirés, Farid Kharraki, surnommé « Robert », peine à contenir sa rage. « Je vais exploser », lâche le prévenu depuis le box de la 14e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Il est soupçonné d’avoir participé au recel des 48 kilos de cocaïne volés un soir de juillet 2014, au 36, quai des Orfèvres, le mythique siège de la PJ parisienne. « Je ne suis pas un informateur, je n’ai rien à voir avec cette histoire ». Jonathan Guyot, l’ancien brigadier des « Stups », principal suspect dans le dossier, le regarde ébahi. Comment le reste de la salle. Depuis l’ouverture du procès, mardi, l’homme semblait dormir dans le box, pas vraiment passionné par les débats ni le visionnage des images de vidéosurveillance.
« Vous voulez qu’on me retrouve avec une balle dans la tête ? »
D’un coup, les mots jaillissent, impossible de l’arrêter. « On va arrêter de tourner autour du pot. La cocaïne a bien été sortie par Jonathan Guyot. Je l’ai mis en relation avec trafiquants et j’ai joué l’intermédiaire. Et voilà. » En une fraction de seconde, l’audience a basculé.
Pour la première fois, un des prévenus met personnellement en cause l’ancien brigadier soupçonné d’avoir volé la drogue dans la salle des scellés. Jusqu’à présent, Farid Kharraki avait uniquement reconnu, lors des interrogatoires, qu’il se livrait à un trafic de cannabis avec Jonathan Guyot depuis fin 2013. Trafic qui lui aurait rapporté, selon ses dires, 150.000 euros et 50.000 euros au policier. Mais il avait toujours fermement nié avoir été au courant, ou avoir un quelconque lien, avec le vol du 36.
D’un bon, la procureur se lève. « Vous pouvez répéter ce que vous venez de nous dire ? », lui demande-t-elle. Mais l’homme est hors de lui et poursuit sa logorrhée sans l’entendre. « Vous voulez qu’on me retrouve avec une balle dans la tête ? », s’emporte-t-il, furieux d’être décrit comme un « tonton », le surnom des indics’. « J’étais en contact avec ce policier pour me venger de personnes qui m’avaient escroqué, mais je n’ai jamais donné d’affaires à la brigade ou livré quoi que ce soit ».
« Dans une heure, je t’appelle, m’appelle pas »
Ce coup de sang semble avoir été provoqué par l’étude de la téléphonie de Jonathan Guyot. Dans l’après-midi qui a précédé le vol de cocaïne, les deux hommes ont échangé plusieurs textos. Jusqu’au dernier, à 23h31. « Dans une heure, je t’appelle, m’appelle pas, pas besoin », écrit le brigadier. Puis le policier éteint son portable pendant plus d’une heure. A la période précisément où la drogue a été dérobée.
« Je ne me l’explique pas, je n’éteins jamais mon portable », assure-t-il dans le box. Il évoque un éventuel problème d’opérateur téléphonique mais peine à fournir un alibi pendant ce laps de temps. « J’étais dans le 12e », assure-t-il. Mais où précisément ? Que faisait-il ? Il reste vague. Lors d’un interrogatoire, il a indiqué être chez une amie, ce que cette dernière a fermement nié. Puis a dit avoir été manger un kebab dans un restaurant dans lequel il avait ses habitudes. Le patron n’a rien confirmé. Il a, en revanche, indiqué aux enquêteurs que la femme du brigadier – également prévenue dans le dossier – lui avait expressément demandé de témoigner en faveur de son mari.
Quoi qu’il en soit, à 1h05, le portable émet à nouveau et Jonathan Guyot tente à 17 reprises de joindre Farid Kharraki. Ce dernier ne répondra qu’une heure et demi plus tard. Les deux hommes se retrouvent alors à Montrouge, leurs portables bornent au même endroit. Qu’ont-ils fait au beau milieu de la nuit ? Jonathan Guyot assure qu’il cherche à voir Farid Kharraki parce que ce dernier lui aurait fait part de ses craintes d’être démasqué en tant qu’indic. C’est également ce qu’il indiquera par texto cette fameuse nuit à son chef de groupe et à un de ses collègues. Une version affaiblie par la sortie tonitruante de son co-prévenu.
Après ce coup de théâtre, l’audience a été suspendue, quelques minutes d’abord, puis jusqu’à mercredi afin que le tribunal puisse revoir son planning d’audience. « Avez-vous quelque chose à ajouter ? », demande le président à Jonathan Guyot. « Non », répond l’ancien policier qui s’était pourtant montré particulièrement bavard depuis l’ouverture de son procès.