Paris: Le Beverley, dernier cinéma porno et «terrain de jeu des petits vieux»
SOCIETE•A l’occasion de l’ouverture de la 3e édition du Festival du Film de Fesses, ce mercredi, au Forum des images, « 20 Minutes » a fait un tour dans le dernier cinéma porno de la capitale : Le Beverley…Audrey Chauvet et Romain Lescurieux
«Quand la Cinémathèque organise la Nuit du X, c’est de l’art. Chez moi, c’est du cochon » Maurice, 73 ans, a le sens de la formule et pourrait être un personnage d’Audiard. Un de ceux qui « fumaient dans les cafés des Grands Boulevards le matin. Même si je ne fumais pas, j’aimais bien l’ambiance », gouaille-t-il, assis sur la scène de son cinéma, la main posée à côté d’affiches aux titres aussi évocateurs que sulfureux : Bananes Mécaniques ou encore Si mon c… vous était conté. Tout un programme.
« Ici, c’est le temple du plaisir »
Alors que le Festival du Film de Fesses s’ouvre ce mercredi au Forum des images, le dernier cinéma X de la capitale, le Beverley (2e arrondissement) - ouvert après la deuxième guerre - survit, lui, dans son jus. Maurice, le patron, gamin de la Rochelle devenu un fervent titi parisien aime faire le tour du propriétaire. « Ici, c’est le temple du plaisir dans lequel les tiges se dressent et les chattes ronronnent », déclame l’homme aux lunettes vissées sur le nez.
A 12h20, ce jeudi, cinq spectateurs, cheveux blancs ou calvitie, attendent la levée du rideau de fer. Maurice s’agite et relève la bête. Un à un, les retraités alignent les 12 euros pour une séance ou pour la journée et pénètrent dans l’unique salle baptisée Alain Payet, du nom d’un réalisateur porno, décédé il y a quelques années. La caisse enregistreuse claque. La lumière s’éteint.
Essuie-tout, Coluche et fauteuils en cuir
« Bonjour, je m’appelle Coco, j’ai 44 ans, j’aime la vie et prendre soin de moi… ». Le film débute sur les paroles d’une femme voluptueuse. Le titre de l’œuvre ? « Je n’en sais rien. Je ne regarde jamais les films que je passe. Ou du moins pas en entier », rigole Maurice, au milieu de sa cabine, en bidouillant son projecteur 35mm vieux de cinquante ans, ancré non loin du rouleau d’essuie-tout. Très vite, les orgasmes s’enchaînent dans son dos.
Issu du cinéma « traditionnel », Maurice - pas forcément amateur des films pour adultes - est arrivé au Beverley en 1983 et en prend dix ans plus tard la tête en le rachetant à son patron parti à la retraite. Débute alors la grande époque, les soirées et les footballs dans la rue avec Coluche. Projectionniste, caissier, ouvreur, nettoyeur, l’homme fait tout dans son établissement. Et pour cause. Les fauteuils en cuir rouge sont impeccables : Maurice aime bien quand les spectateurs profitent de leur film dans un espace agréable.
Tous les jours, il diffuse des films des années 70 ou 80, comme des plus récents avec deux nouveautés par semaine. « Comparé à ce que des gamins voient sur Internet, mes films c’est pour les premières communions », sourit-il. Alors, comment ce cinéma tient-il encore ?
« Aujourd’hui, quand je fais 700 entrées par semaine, je saute au plafond »
Internet, le téléchargement, le streaming, Marc Dorcel ou encore « Jacquie et Michel »… chez Maurice on en est bien loin. « C’est un autre monde. Et tout le monde n’a pas Internet », lâche-t-il. Son public est composé à 75 % de vieux messieurs en quête d’émois. « Pour certains, ici, c’est la maison de retraite. Un terrain de jeu pour petits vieux lâchés par Madame prostate. Les images ça les réconforte. D’autant que le plus beau film c’est celui que l’on se fait », sourit-il l’œil pétillant, qualifiant certains visiteurs « d’amis ».
Maurice parle « comme un vieux con » mais constate qu’aujourd’hui, des jeunes hommes viennent aussi dans son cinéma pour découvrir « des chattes poilues car ils n’en ont jamais vu ». Mais pas de quoi faire de larges bénéfices. « Dans les années 80, on vendait 1.500 tickets par semaine. Aujourd’hui, quand je fais 700 entrées par semaine, je saute au plafond », déplore celui qui vivote et commence à penser doucement à la suite.
« C’était bien. C’était bon »
« Ce cinéma, beaucoup le veulent pour en faire un petit théâtre », dit-il, moyennent convaincu. Car Maurice, qui a aussi reçu de la part d’un ancien client, homme politique, une « légion d’honneur symbolique », n’a pas dit son dernier mot. « Tant que je peux porter la bobine de 15 kilos à bout de bras, je reste. De toute façon, je veux mourir sur scène », se marre-t-il. Et le jour où cela arrivera, Maurice, dégainera ses derniers mots, son ultime punchline : « C’était bien. C’était bon ».