#NuitDebout, échauffourées, accidents: Les periscopeurs, premiers sur l'info?
PHENOMENE•Alors que l’application Periscope a nommé ce mercredi un rédacteur en chef, et ce, dans une course à l’image toujours plus effrénée, les periscopeurs sont-ils les « nightcrawlers » de demain ?….Romain Lescurieux
Il est minuit passé ce jeudi 28 avril. La place de la République, encerclée par les CRS, se vide doucement. Sur les images tournées en direct via l’application Periscope, nous suivons un jeune homme qui déambule en marge de #NuitDebout, dans les effluves de gaz lacrymogène. Il parle, analyse la situation et pose des questions aux gens sur place. Notamment à une équipe de télévision.
« Vous êtes quoi vous ? Manifestant ? », lui rétorque le journaliste. « Non, periscopeur », répond l’intéressé. Son pseudo : Gaby Delage, 24 ans. Et il n’est pas seul sur ce créneau.
« En mode immersion mais toujours avec du recul »
Après le succès du périscope de Rémy Buisine, le premier dimanche du mouvement #NuitDebout (plus de 80.000 internautes connectés sur son live), ils sont depuis quelques-uns à se rendre quotidiennement aux abords de la place de la République. Sorte de pionnier Français sur cette plateforme permettant aux particuliers de diffuser de la vidéo en direct, le jeune homme explique sa démarche. « Une application permettant une visibilité comme une chaîne de télévision, j’attendais ça depuis longtemps », expose auprès de 20 Minutes, ce community manager de 25 ans qui a également fait des images le 13 novembre, très suivies à l’étranger et relayées par CNN.
Désormais à #NuitDebout tous les jours, sur son « temps personnel », Rémy Buisine est « en mode immersion pour montrer un panorama complet », dit-il. « Mais toujours avec une prise de recul sur l’information. Et au plus près de l’action tout en gardant une distance de sécurité quand il le faut », rembobine le jeune homme. Le cas de tous les periscopeurs qui suivent des événements ?
« Dès le début du mouvement #NuitDebout, j’ai décidé de couvrir tous les soirs où il y avait un rapport de force », détaille Gaby Delage pour 20 Minutes. Ce jeune homme, réalisateur de profession, se dit « témoin ». « Quand la presse n’est plus un contre-pouvoir, c’est à nous d’aller au plus près des événements et montrer les violences. Je fais du gonzo sans faire du riot porn », poursuit celui qui a été « gazé et a pris un tir de flash-ball ». « Mais j’ai vécu ça en live avec 1.500 personnes », se réjouit-il. Une large audience qui peut susciter des vocations. Periscope, qui appartient à Twitter, ne donne pourtant aucun chiffre sur son nombre d’utilisateurs, mais la France serait parmi les pays les plus accros au service.
a« Le keuf m’a dit : il y a deux morts »
Lundi soir, sur les Champs-Elysées, des periscopeurs retransmettaient, eux, la fin d’une course-poursuite qui a fait trois blessés légers, dont le chauffard et deux policiers. « Vous voyez la voiture ? Elle est morte (…) et le keuf il m’a dit : il y a deux morts », raconte un homme branché sur « Peri » depuis la zone critique. « Envoyez des cœurs, abonnez-vous. On est toujours dans l’actualité à Paris », poursuit-il dans cette séquence republiée ensuite sur YouTube, par une tierce personne.
Parfois mal informés donc, mais souvent bien équipés - perche, batterie portable, casque, sérum physiologique, masque respiratoire - certains periscopeurs font de plus en plus vivre l’actualité brute, sans filtre, en direct et au plus près des événements. Parfois même avant les chaînes d’info en continu. Une situation qui n’est finalement pas si loin du scénario du film Night Call (Nightcrawler en vo), où un homme indépendant est prêt à tout pour filmer et vendre des images à des chaînes locales. Mais pousser encore une logique de course à l’image toujours plus effrénée, est-ce l’avenir de Periscope ?
De periscopeur à nightcrawler ?
Periscope – qui a embauché ce mercredi un rédacteur en chef pour se développer - a tout de suite bousculé les habitudes journalistiques. Le jour du lancement (le 26 mars 2015), Ben Hopper du site The Verge, est sur Twitter lorsqu’il apprend via une photo qu’une explosion a eu lieu à New York, et juste après, il suit l’incendie en direct: « J’étais sur place, mais sans les infos ». La séquence est même reprise par certaines chaînes, en attendant que leurs équipes n’arrivent sur les lieux, expliquait-on ici.
« Ce n’est pas récent, le phénomène d’images de témoins utilisées par les médias », analyse Rémy Buisine. « Mais oui, des periscopeurs filment en espérant monétiser les séquences. Pour le moment, nous touchons cependant zéro euro et l’appli n’est pas adaptée pour », poursuit-il. Periscope – qui cherche encore son modèle économique – est toutefois en pleine mutation.
Depuis son lancement, les utilisateurs de Periscope ont réalisé « plus de 200 millions de vidéos en direct (…) et 110 années de vidéos sont visionnées chaque jour sur Periscope », indique la maison mère, Twitter, à 20 Minutes.
Dans ce contexte, le nouveau responsable éditorial de l’application, Evan Hansen, s’est réjoui à l’idée « d’aider à construire une nouvelle plateforme basée sur des téléphones portables et de la vidéo en temps réel ». Dans une interview au site CNNMoney, il a précisé que son rôle à Periscope impliquerait notamment « de mettre en avant les contenus les plus intéressants pour les personnes les plus susceptibles d’être intéressées ». Et de les vendre à des chaînes d’infos ? Selon Rémy Buisine « cela paraîtrait logique de monétiser tout ça ».