Paris: «Le coupable, c’est moi. La victime, la RATP. Mais il y a des limites», estime le tagueur Azyle
INTERVIEW•Condamné en première instance à 195.000 euros de dommages et intérêts, le tagueur Azyle ne conteste pas les faits mais la méthode. Son procès en appel s’ouvre mercredi…Propos recueillis par Romain Lescurieux
«La Courneuve : Prochain train dans une minute. » Le quai de la station Pont Neuf est vide. Mais un homme, seul, scrute minutieusement les rames du métro.
A la veille de son procès, devant la cour d’appel de Paris, le tagueur Azyle, originaire de La Courneuve, revient pour 20 Minutes sur la procédure judiciaire qui l’oppose à la RATP. Et ce, depuis son lieu de prédilection où il a signé « Azyle » durant près de vingt ans : le métro.
Qu’attendez-vous de ce procès en appel qui se déroule presque dix ans après les faits ?
J’attends d’être écouté et compris par les juges. Depuis dix ans, je me heurte à des difficultés judiciaires et à la partie civile qui est la RATP. Pourtant, j’estime mes demandes viables et justifiées pour déterminer la vérité. Je reconnais les faits. Je les revendique même. Que l’on me condamne. Mais que l’on condamne justement. Donc ma demande est simple : Expliquez-nous comment vous calculez ce préjudice ? On en arrive à un point où c’est moi - mis en cause - qui tente de prouver ce que j’avance avec des huissiers, des calculs et des tests de nettoyage. En vain.
La RATP estime le préjudice à 195.000 euros. A combien s’élève-t-il selon vos calculs ?
A 40.000 euros. Il y a énormément d’erreurs dans les procédures de la RATP et ce que nous avons notamment mis en valeur c’est le temps de nettoyage. C’est le plus flagrant. Eux, mettent une heure à nettoyer un mètre carré. Moi, cinq minutes, sur le même revêtement, et avec le même produit de nettoyage et ma peinture. Mais la RATP ne prend pas en compte ces remarques. Avec mon avocat nous faisons les calculs dans notre coin mais nous n’avons aucun dialogue avec eux, ce qui est difficile.
Aujourd’hui, vous avez davantage de preuves ?
En classant mes archives, je suis tombé sur un article d’une revue interne de la RATP qui date de 1995 et parle d’un produit utilisé encore aujourd’hui pour effacer les tags en moins de trente secondes. C’est eux qui le disent. Ils se sont pris à leur propre piège. En renvoyant l’audience, la RATP m’a permis de trouver une preuve supplémentaire. C’est beau pour la symbolique et la morale. J’ai hâte d’entendre leur réponse.
Dans quel état d’esprit allez-vous vous rendre demain au tribunal ?
Ça reste de la peinture. Le coupable, c’est moi. La victime, la RATP. Mais il y a des limites et des abus. Je ne veux pas que l’on me catalogue comme un tagueur lambda qui se fait cartonner. Je leur offre ma condamnation. Je reconnais les faits. Je n’ai rien contre la RATP, je les remercie d’avoir mis à disposition ces merveilleux métros pendant dix-sept ans. Mais je veux des explications et j’alerte les juges dans ce sens. Je reste positif. Ce procès c’est la suite de ce que j’ai fait pendant dix-sept ans en peignant. Je poursuis mon œuvre.
Peut-il y avoir selon vous une « jurisprudence Azyle » ?
Si la cour comprend et va dans mon sens, ça fout la merde dans tous les procès graffiti. Car nous apportons les preuves que toute la base d’établissement des devis est faussée. Donc ça pourrait faire jurisprudence. S’ils s’entêtent, ça laissera quand même une trace dans la micro-histoire du graffiti.
Au fait, pourquoi « Azyle » ?
J’avais quinze ans et j’avais une tendance folle dans ma manière de taguer et de trouver des lieux risqués. La recette du graffiti c’est quantité, risque et qualité. Le métro est alors devenu toute ma vie durant près de vingt ans. Maintenant, c’est difficile d’y retourner car je n’en suis plus un acteur majeur et les nouvelles rames ne me parlent plus. Mais revoir encore quelques « Azyle » ça fait des souvenirs. J’ai toujours mes trains et numéros en tête.