Paris: «Les Grands Voisins», un village dans la ville où coexistent startupers, artisans et migrants
SOCIAL•En attendant le début des travaux d’un écoquartier, un village solidaire s’émancipe sur le site de l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul (14e), entre projets, idées et cohésion…Romain Lescurieux
Des vestiges de l’ancien service de gynécologie jonchent le sol carrelé. « Nous avons enlevé les étriers. Maintenant, le siège sert de lit pour la sieste », rigole Jérémie, 31 ans. Cet artiste-thésard de l’association « Au Nord » est installé depuis septembre dernier dans un des bâtiments désaffectés de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul (14e arrondissement).
Ce site de quatre hectares en plein cœur de la capitale - tombé en désuétude en 2010 - est devenu en quelques mois un véritable village dans la capitale. Son nom : « Les Grands Voisins ». Un mot d’ordre : Vivre ensemble.
« Chacun apporte sa contribution au projet global »
Dans les ateliers, à la Lingerie - le café - dans les commerces ou au détour d’une allée, on y croise des startupers, des artisans (luthier, maître chocolatier) des anciens sans-abri ou encore des jeunes migrants. En tout, près de 600 personnes vivent sur place dans les hébergements d’urgence et cohabitent quotidiennement depuis septembre dernier avec plus de 300 personnes issues de 70 entreprises et associations. Et c’est tous ensemble, qu’ils façonnent ce bout de ville. « Ça peut sembler basique mais il y a une réelle création de lien », sourit Pascale Dubois de l’association « Aurore ».
Cette dernière, qui agit contre l’exclusion sociale est gestionnaire de l’ensemble du site depuis 2014. Mais pour subvenir aux coûts de gestion – un million d’euros par an – les membres ont en effet décidé de proposer ses espaces vacants contre une contribution aux charges. Dans ce sens, l’association « Plateau Urbain » aide « Aurore » à mettre à disposition les locaux à des structures. Et l’association « Yes We Camp » contribue, elle, à la coordination générale en assurant depuis quelque temps l’ouverture au public. « Les Grands Voisins doivent aussi être un espace public utilisé par tous », note Elena Manente de « Yes We Camp ». Et pour cause.
« Je sers les repas et je fais aussi un peu de ménage »
« Nous ne sommes pas un îlot fermé ou un ghetto », dit Paul Citron, vice-président de « Plateau Urbain ». Mais plutôt un espace solidaire où « chacun apporte sa contribution au projet global », enchérit Pascale Dubois. A l’image de d’Adrien, le luthier, qui donne des cours de guitare aux migrants. Ou encore de Karine, 30 ans, qui a vécu quatre ans dans la rue.
Résidente depuis 2014 dans l’un des foyers du site, Karine travaille à la cantine solidaire du café depuis décembre 2015. « 9h par semaine, je sers les repas et je fais aussi un peu de ménage », affirme-t-elle. Le reste du temps, elle remet à jour ses papiers et prépare son retour dans la vie active. « Travailler ici me permet déjà de reprendre un rythme », poursuit la jeune fille.
Comme elle, six autres personnes travaillent au café et dix sont embauchées pour l’entretien des espaces verts sur le site. Et ce, pour un salaire égal au smic. « En tout, on aimerait 40 postes d’insertion », lâche Pascale Dubois. Des questions qui peuvent notamment être abordées lors du Conseil des Grands Voisins.
« Comme c’est temporaire on va vite. On sait qu’on n’est pas là pour toujours »
Tous les deux mois, une personne de chaque structure, présente autour des trois associations « pilotes » discutent du futur. Travaux, traitement des ordures, sécurité, tout y passe. « On parle de ce qui a été fait et ce que nous voulons faire dans l’avenir », se réjouit Elena Manente. Au menu de ce mardi : l’agriculture. « Aujourd’hui, nous avons décidé de monter un poulailler qui embaucherait plusieurs résidants », expose Lucas, 37 ans, de l’association « Ici Terre ». Aux « Grands Voisins », les décisions sont en effet prises rapidement. Car le temps est aussi compté.
En 2017, les travaux d’un futur écoquartier débuteront en ces lieux. « Nous avons l’engagement de la Marie de pouvoir rester jusqu’au début des travaux. Mais quand ça démarre on part », explique Pascale Dubois. « Nous profitons donc de ce laps de temps pour développer ce projet d’occupation temporaire et montrer que l’expérience peut se faire ailleurs », commente Paul Citron.
En attendant, un camping, une auberge de jeunesse, un jardin partagé ou encore des ruches vont sortir de terre. « Comme c’est temporaire on va vite. On sait qu’on n’est pas là pour toujours », lance Jérémie, dans les couloirs du service gynéco.