Paris: La gentrification des quartiers populaires, ça change quoi?

Paris: La gentrification des quartiers populaires, ça change quoi?

URBANISMEDans un livre à paraître ce jeudi, la sociologue Anaïs Collet s'est penchée sur la transformation opérée dans les quartiers populaires investis par les classes moyennes. Comme le Bas-Montreuil, passé en peu de temps de bastion rouge à une cité bobo…
Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

Comment le Bas-Montreuil, autrefois quartier populaire rouge de la ceinture parisienne, est devenu peu à peu un coin bobo parfois même considéré comme un nouvel arrondissement de Paris? Anaïs Collet, sociologue, maître de conférences à l’université de Strasbourg et chercheuse au laboratoire Sage (Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe) s’est penché sur la question dans un livre qui sort ce jeudi 19 février. «Rester bourgeois. Les quartiers populaires, nouveaux chantiers de la distinction» (Editions La Découverte) décrit le phénomène de la gentrification qui transforme des quartiers populaires au fur et à mesure que les classes moyennes s’y installent. Anaïs Collet revient pour 20 Minutes sur les résultats de son étude sociologique…

Cette gentrification de quartiers populaires est-elle un phénomène rapide?

Non, ce processus s’inscrit sur le long terme. Dans le cadre du Bas-Montreuil, cela démarre dès la fin des années 80 dans un contexte de désindustrialisation. Le vide laissé par les entreprises et usines qui ferment permet l’arrivée d’habitants de classe moyenne. Ce processus se poursuit dans les années 1990 et accélère même dans les années 2000, en lien l’emballement des prix du marché de l’immobilier a chassé bon nombre de ménages de Paris vers la petite couronne.

Quels sont les autres quartiers parisiens à avoir été l’objet d’une gentrification?

Ils sont nombreux. Le Marais est l’un des premiers quartiers où l’on peut parler de gentrification. Le processus a débuté dans les années 1970. Même chose pour Bastille ou le quartier Daguerre (14e). Plus récemment, on peut évoquer le quartier Oberkampf, les alentours des Buttes-Chaumont, ou Menilmontant…

Tout Paris s’est gentrifié aujourd’hui?

Il y a des quartiers bourgeois à Paris qui l’ont toujours été et qui n’ont donc jamais fait l’objet d’une gentrification. Il reste également des quartiers populaires à Paris. Celui des Orgues de Flandres (19e) par exemple. Sur un ou deux pâtés de maisons, il est composé encore de nombreux logements sociaux et les ménages de classes populaires restent nombreux dans le parc de logement privé. On y retrouve aussi une certaine culture populaire.

Quelles sont les conditions pour qu’un quartier populaire se gentrifie?

Le premier ingrédient, c’est l’existence d’un parc immobilier ancien qui se libère à des prix abordables pour des classes moyennes. Cela peut être du logement ou encore des petites usines ou des ateliers qui ferment. Les jeunes ménages qui s’y installent transforment peu à peu le quartier. La hausse des prix sur le marché de l’immobilier pousse aussi à cette gentrification en poussant les ménages à s’installer dans des quartiers qui a priori ne leur ressemblent pas.

La gentrification d’un quartier populaire se traduit-elle inéluctablement par la fuite des habitants les plus modestes?

Si les habitants déjà là sont propriétaires de leur logement ou vivent dans des logements sociaux, rien alors ne les pousse à partir. En revanche, les habitants locataires du parc privé sont très fragilisés. La gentrification se traduit souvent par la hausse des prix de l’immobilier, ce qui pousse les propriétaires à vendre ou à trouver un moyen de mettre leurs locataires à la porte pour ensuite augmenter les loyers. Il y a aussi une éviction indirecte au sens où les nouveaux ménages de ces classes populaires ne peuvent plus accéder à ces quartiers devenus trop chers.

Quels sont les prochains quartiers populaires parisiens à se gentrifier?

Le quart nord-est de la capitale réunit les ingrédients pour se gentrifier, notamment le 18e arrondissement, au nord de la gare du Nord vers la goutte d’Or. Dans ce secteur, il y a d’ores et déjà une pression sur les prix des logements du parc immobilier privé. Des réaménagements d’espaces publics, des créations d’espaces culturels ou d’infrastructures de transport y sont aussi en cours et contribuent à la gentrification du secteur.