Pétition contre «Exhibit B», vandalisme sur le plug: Paris, capitale de l’art contemporain... ou de la censure?
CULTURE•Après les multiples polémiques, la capitale peut-elle encore attirer les artistes contemporains?...Oihana Gabriel
Qu’ils évoquent l’esclavage, la sexualité ou Jésus, les artistes risquent la polémique quand ils dévoilent leur travail à Paris. En octobre, l’œuvre de Paul McCarthy en forme de sextoy Place Vendôme est vandalisée, l’artiste agressé. En novembre, une photographie de Diane Ducruet qui pouvait évoquer l’inceste est censurée.
Une pétition demande l'interdiction de la performance du Sud-Africain Brett Bailey Exhibit B (voir encadré) qui commence cette semaine à Saint-Denis. Le collectif contre Exhibit B menace d’organiser un rassemblement de protestation devant le Théâtre Gérard Philipe ce vendredi. Et le groupe UMP au Conseil de Paris a présenté un vœu pour l'interdiction mardi 18 novembre. Pourtant, selon des observateurs de premier plan, ces polémiques à répétition ne freinent pas le bouillonnement artistique de la capitale.
«On n’a jamais vu autant d’artistes à Paris»
Christophe Girard (PS), président du Conseil d’administration du Centquatre, a découvert Exhibit B en novembre 2013, lors d'une première programmation moins tendue. «J’ai assisté à la performance avec des responsables de la Cimade et des scolaires. C’était très intéressant de comprendre le comportement de leurs ancêtres. André Malraux [ministre de la culture RPF de 1959 à 1969] s’étoufferait s’il savait que sa famille politique demande la censure d’une œuvre pédagogique qui parle d’aliénation, d’humiliation.»
Pour le maire du 4e arrondissement, qui fut adjoint chargé de la culture à Paris de 2001 à 2012, malgré des conservatismes très exacerbés et organisés, Paris reste la capitale des arts. «Les tentatives de censure ne sont pas nouvelles, pour l’exposition Larry Clark au Musée d’Art moderne, nous avions interdit l’accès aux moins de 18 ans. Mais la Manif pour tous a libéré une parole violente et vulgaire.» Pas de quoi refroidir les artistes. «Au contraire, je pense que ça les stimule, assure Christophe Girard. On n’a jamais vu autant d’artistes à Paris. Ils vont là où ça bouge, ça pense, ça réagit.» Les trois spectacles programmés au festival d’Automne de l’Italien Romeo Castellucci, victime des foudres de catholiques intégristes lors de son spectacle en 2001 Sur le concept du visage du fils de Dieu, semblent lui donner raison.
Enorme succès de l'art contemporain à Paris
Des manifestations d’intolérance incapables de briser l’élan de l’art contemporain à Paris? Pour Jennifer Flay, directrice de la Foire internationale d'art contemporain (Fiac), «l'art a toujours eu la faculté de déranger. Et ce qu'il faut retenir de la détérioration de l'œuvre de Paul McCarthy, c'est le soutien clair de politiques et personnalités. De nouveaux lobbies, très bruyants et actifs sur les réseaux sociaux, se sont constitués autour de débats sociétaux, mais je ne pense pas que nous ayons entamé une période de régression des libertés. Les réactionnaires ne sont pas plus nombreux en France qu'ailleurs. Mais il faut continuellement résister face à la recrudescence des pensées sclérosantes.»
Un constat partagé par Chiara Parisi, directrice de la Monnaie de Paris, qui se félicite que la Chocolate Factory de l'artiste n'ait pas suscité la même polémique. «L’agression de Paul McCarthy n’était le fait que d’une petite partie du public qui a tenté d’instrumentaliser l’œuvre pour parler de leur combat. L’artiste n’était même pas au courant de la Manif pour tous! Il a répondu par une œuvre d’art, une vidéo exposée à la Monnaie de Paris sur le rôle de l’artiste. Aujourd’hui la censure peut venir du public alors qu’avant c’était l’administration ou les questions judiciaires qui bloquaient. Mais ces polémiques ne sont rien par rapport à l’investissement et le succès de l’art contemporain à Paris. Qui va d’ailleurs dans les deux sens: la création française est acclamée à l’étranger et Paris soutient de plus en plus l’art contemporain.» Le lancement de l'exposition de Jeff Koons ce mercredi au Centre Pompidou en est la preuve.